16 août 2014 : Il y a un an se tenait à Bruxelles « La première convention en la mémoire des victimes du putsch du 5 juillet 1973 »

Une année vient de s’écouler depuis ce 16 août 2014, où les familles, les amis, les  proches, ainsi qu’une foule d’anonymes  se sont réunis en l’Eglise Saint Alix de Bruxelles pour rendre un hommage posthume aux femmes et aux hommes assassinés à la suite du putsch du 5 juillet 1973 [1]. Nous nous remémorons encore aujourd’hui ce jour avec beaucoup de joie, de fierté, et de gratitude pour tous ceux  qui par leur présence, leurs actions et leurs conseils ont permis sa réussite. La rencontre du 16 août 2014 dite  « première convention en la mémoire des victimes du putsch du 5 juillet 1973 » restera dans le conscient collectif comme l’événement qui, après plus de quatre décennies de peur, a brisé le mur du silence et de l’indifférence qui entourait l’assassinat des « Politiciens de la première République ». Une date hautement symbolique.

En cette période où nous célébrons le premier anniversaire de cet événement, l’occasion nous est donnée encore une fois d’avoir une pensée particulière pour nos chers défunts et de mettre devant Notre Seigneur  nos interrogations face aux tragédies qui ont émaillé l’histoire de notre pays et continuent d’endeuiller nos familles. Tout ce sang innocent nous engage tous à lutter pour que la paix et la prospérité deviennent enfin une réalité pour tous les habitants de notre beau pays.

Cet anniversaire nous offre également  l’occasion de  rappeler le sens et les objectifs de notre convention et de jeter un regard rétrospectif sur le chemin parcouru depuis.

Comme chacun l’aura compris, cet événement n’est pas une fin en soi, mais un acte fondateur : le début d’une série d’actions et d’initiatives visant à honorer la mémoire des défunts, et à avancer dans la recherche de la vérité. Où est-ce que nous en sommes aujourd’hui ?

Après la cérémonie, nous avons reçu un grand nombre de messages de  félicitations, de soutien, et d’encouragement. Des réactions qui nous ont montré que beaucoup de personnes attendaient ce moment avec impatience,  beaucoup d’espoir et plaçaient  de grandes espérances dans cette initiative.  Quelques  réactions hostiles nous sont également parvenues. De la part notamment de personnes qui  croyaient pouvoir nous dénier le droit à la mémoire et prétendaient nous empêcher de rechercher et dire la vérité sur ce qui s’est passé. Dans les deux cas nous n’avons choisi ni la voie de l‘enivrement, ni celle du découragement, et sommes restés fidèles aux objectifs que nous nous étions fixés, ainsi qu’ils avaient été portés à la connaissance du public  dans  un communiqué de presse ad hoc. Ces objectifs ont été repris et développés lors des discours prononcés au cours de la cérémonie.

1°) Honorer la mémoire des nôtres 

L’objectif premier de la convention du 16 aout 2014 était de s’acquitter d’un devoir filial, celui de tout enfant envers ses parents défunts : les accompagner dignement à leur dernière demeure et honorer leur mémoire. Les femmes et les hommes assassinés à la suite du putsch du 5 juillet 1973 n’ont jamais reçu de sépulture, ni bénéficié de la moindre cérémonie d’adieu. La cérémonie du 16 aout 2014 nous a permis de nous acquitter de ce devoir, mais seulement en partie. L’objectif ultime est qu’ils puissent eux aussi recevoir un jour une sépulture. C’est la moindre des choses. Pour cela, il faudra qu’on puisse d’abord identifier et accéder aux différents endroits où leurs corps ont été jetés.

Ainsi que nous le soulignions dans notre manifeste du 16 août,  parmi les femmes et les hommes assassinés à la suite du putsch du 5 juillet 1973 figuraient de grands patriotes qui par leur lutte et leurs actions ont beaucoup fait pour le Rwanda et son peuple. Après les avoir assassinés dans des conditions qui leur déniaient toute humanité, et leur ôtaient toute dignité, leurs meurtriers ont tenté de les  faire disparaître à jamais, en éliminant tout ce qui pouvait évoquer, rappeler, susciter une mémoire admirative. Notre espoir, notre souhait est que leur mémoire soit réhabilitée et qu’ils reçoivent la reconnaissance nationale auxquels ils ont indéniablement droit.

2°) Briser le silence, avancer dans la recherche de la vérité, faire reconnaître ce crime odieux qui a emporté les nôtres.

Ainsi que nous l’avons dit et redit au cours des différentes interventions qui ont émaillé la cérémonie du 16 août, l’emprisonnement et l’assassinat des « prisonniers politiques de 73 » ont été entourés d’un blackout total. Assignées à résidence, réduites au silence et privées de toute possibilité d’apprendre quoi que ce soit à leur sujet, les familles ont dû se terrer et se taire. Ce sort funeste qui nous enchaînait dans les abîmes de la peur, de l’indifférence et de l’oubli a été brisé le 16 aout 2014.

Depuis cette date, nous sentons le léger frémissement d’une parole qui se libère, et de la vérité qui prend lentement le dessus sur la peur et le mensonge. Malgré de fortes intimidations, ou le choix délibéré de certains de ne rien dévoiler, quelques personnes cependant ont décidé de se décharger de ce funeste fardeau  et commencent peu à peu à sortir des écrits où elles livrent quelques vérités sur cette infamie et ses auteurs

Le témoignage du Colonel Serubuga est à ce propos d’une importance capitale. Comme cela a déjà été dit dans un autre article, le fait que quelqu’un comme lui qui a joué un rôle majeur dans le putsch qui a provoqué la mort de ces politiciens, et qui dans la suite a occupé de hautes fonctions au sein de l’armée rwandaise (le n°2) reconnaisse que «face à ce drame qui a endeuillé les familles des victimes et blessé profondément l’Etat, celles-ci ont droit de connaître la vérité » et se décide enfin à livrer son témoignage sur les faits graves qui se sont déroulés après ce coup d’Etat, constitue sans aucun doute un événement majeur. C’est à la fois un geste de reconnaissance pour les nôtres et de condamnation des souffrances inutiles et injustes qui leur ont été infligées. C’est aussi un acte de soutien plus que symbolique, à notre initiative du 16 août 2014.

Son témoignage aura permis de comprendre comment, où et surtout par qui a été organisé l’assassinat des « prisonniers politiques de 73 ». On y lit en effet qu’après la mort  de trois prisonniers, un mois seulement après le putsch, une réunion d’Etat Major présidée par Juvénal Habyalimana en personne s’est tenue, non pas pour examiner les causes de ces décès, ou établir les responsabilités et décider des mesures à prendre pour y mettre fin, mais pour organiser le blackout autour de l’extermination de ceux qui restaient, et transférer toute la gestion de ce dossier à l’armée.

Grâce à ce témoignage, que nous invitons chacun  à lire très attentivement, nous savons maintenant, pourquoi à part les trois premiers décès, rien n’a filtré au sujet des autres. Nous savons aussi par quelles manœuvres le Commandant Lizinde, chef des services de renseignements, est devenu maître à bord dans les prisons où étaient détenus ces « Politiques » et pourquoi une cour présidée par des militaires (Cour Martiale) a été saisie de ces dossiers, chaque fois au détriment des services  plus compétents et moins investis émotionnellement du Ministère de la Justice !

Nous saluons l’initiative du Colonel Serubuga et lui demandons de continuer dans ce sens pour nous aider, aider le peuple rwandais à éclaircir  les nombreuses zones d’ombre qui subsistent dans cette affaire. Aussi, nous demandons à d’autres personnes qui comme lui ont été des acteurs clés, des protagonistes majeurs de cette tragédie  de prendre exemple sur son geste et livrer à leur tour leurs témoignages. Nous pensons, notamment parmi les plus connus, au Colonel Ntibitura Bonaventure également camarade du 5 juillet et président de la dite Cour Martiale, au Colonel Biseruka ; Commandant de place à Ruhengeli à l’époque, celui-ci n’ignore rien non plus sur la mise en œuvre de l’assassinat des « Politiques » détenus dans sa zone de commandement), et au Préfet de Ruhengeli de l’époque, Mr Protais Zigiranyirazo. Cet appel s’adresse aussi à toute autre personne qui par ses  fonctions ou sa position au sein de l’armée, du ministère de la justice ou de l’intérieur à l’époque, a pu accéder à des informations liées à cette affaire.Ou simplement parce qu’elle vivait à Ruhengeli ou Gisenyi.

Pour nous les proches des victimes, la vérité et la reconnaissance sont indispensables pour nous aider  à mieux trouver notre  place au sein de la nation rwandaise, dont nous nous  sentirons toujours exclus tant que les souffrances infligées aux nôtres, les injustices  qu’ils ont subies n’auront pas été reconnues ».C’est une question de justice pour les victimes et pour nous, leurs enfants. Mais c’est aussi un devoir envers la nation rwandaise qui jusqu’à maintenant continue de subir les conséquences de ces ignobles assassinats et du mensonge qui les entoure. Comme nous le soulignions déjà le 16 aout 2014, « la négation de cette tragédie, sa banalisation, toute autre forme de travestissement ou d’enfouissement de la vérité ne servent nullement la cause d’une véritable réconciliation entre les Rwandais. Seule la  vérité peut permettre d’aller dans ce sens. Elle est nécessaire pour que cette tragédie finisse d’en engendrer d’autres ».

3°) Entamer un travail de deuil

Cette cérémonie était aussi pour nous une manière d’essayer de nous défaire de la douleur laissée par la disparition tragique des nôtres, pour pouvoir enfin aller de l’avant. La cérémonie du 16 août nous a permis enfin d’entamer ce travail de deuil.  Celui-ci restera cependant inachevé, aussi longtemps que les engagements pris le 16 août 2014 n’auront pas été entièrement honorés.

En conclusion,

Après une année, nous pouvons nous réjouir d’avoir fait d’un sujet tabou une actualité dont la légitimité n’est plus remise en cause que par quelques rares irréductibles. La reconnaissance de notre action est matérialisée quotidiennement par des messages de sympathie et d’encouragement, mais aussi par des témoignages comme ceux que vous avez pu lire ici et là sur la toile ou ailleurs. Cependant, la tâche reste  immense, et le chemin est encore long et sinueux, mais de tout ceci rien n’entamera notre détermination. C’est notre atout majeur. En plus de la sympathie et du soutien de nos compatriotes.

Face à une actualité socio-politique assez difficile dans notre région, nous sommes intimement convaincus que la dynamique issue de la première convention en la mémoire des victimes du putsch du 5 juillet 1973 concourt à une recherche globale de solutions aux problèmes qui se posent aujourd’hui et auxquels on ne saurait répondre durablement en s’attaquant uniquement  aux  effets et en oubliant les  véritables causes.

Les Compagnons du Devoir Mémoriel.

Bruxelles ce 16 août 2015

[1] Cet hommage s’adressait également et de manière tout à fait particulière au Président Grégoire Kayibanda et à son épouse, mystérieusement  décédés  à leur demeure de Kavumu (près de Kabgayi) où ils étaient assignés à résidence