Affaire Karegeya : cordelettes, cynisme et claque

« You should have been the ones » (who killed Karegeya)… Vous auriez dû être ceux qui ont étranglé à mort le colonel Karegeya au lieu de geindre et de vous confondre en dénégations inutiles sur les réseaux sociaux. J’en avais entendu des phrases présidentielles et des plus provocantes, mais celle qu’il a prononcée en ce mi-janvier 2014 restera sans nul doute dans le best of du dictateur rwandais. Plus que la confession publique d’un crime à propos duquel bien de spéculations allaient pourtant bon train, Kagame vient de froidement faire un appel au meurtre de ceux qu’il appelle « traîtres du Rwanda ». Je ne sais s’il s’agit de l’indifférence aux victimes ou encore de la faiblesse du sens moral propres aux criminels, mais ce discours poursuivra son auteur jusqu’à la fin de sa vie. Le comble toutefois, ce sont toutes ces personnes censées venir pour prier et qui l’écoutent faire cette homélie sordide et qui, avec cynisme, applaudissent à la façon de quelques pom-pom girls effectuant une blâmable claque…

La claque ou cheerleading, nous renseigne Wikipédia, désigne cette activité qui consiste, pour une équipe de pom-pom girls, à exécuter de façon rapide et énergique un programme constitué d’un mélange de sauts, de danse, d’acrobatie et de gymnastique au son d’une musique rythmée et dynamique. Chez Kagame, on les appelle Intore et il a formellement exhorté ces derniers à s’en prendre ouvertement à leurs compatriotes qui n’ont pas la même philosophie d’assassinats ciblés. Aux gouttes de la DMI, succède maintenant ses cordelettes qui étranglent. Non, vraiment, il m’échappe ce président et j’avoue ne plus savoir comment le décrire. En lui, un jour j’ai vu un dictateur avide à la Mobutu (Crystal Venture), puis un insolent suicidaire à la Dadis Camara (mépris flagrant de la politesse élémentaire); à un moment, j’ai cru déceler chez lui une stalinisation assumée (mensonges et purges à répétition) et voici, qu’à la faveur de ce discours, il se révèle au monde entier en clone des Boers qui ont traqué et assassiné Steve Biko, Ruth First, Dulcie September, Chris Hani et bien d’autres sud-africains qui s’opposaient à l’apartheid. Je n’en reviens pas.

Comment, demain, pourra-t-il encore oser prononcer le mot justice, lui qui fait fièrement l’apologie d’un crime ? Comment ? C’est fini et bien fini. Ah, j’allais oublier le fait qu’il expliqua dans ce discours désormais d’anthologie, qu’ailleurs, pour défendre les intérêts de la nation, l’on faisait ce qu’il a fait au milluple; traduisez : « les autres tuent mille fois plus que je ne le fais » ! Un air du déjà… entendu. « Pourquoi nous accuser de piller le Congo puisque beaucoup d’autres le font depuis très longtemps ?» s’indignait-il déjà en enfant gâteux s’agrippant au bifteck kivutien. Bien avant cette intervention, un de ses collaborateurs, le particulièrement zélé James Kabarebe n’avait pas lésiné sur les comparatifs : « Lorsqu’on choisit d’être un chien on meurt comme tel; ceux qui se chargent de la propreté nettoient », disait-il en faisant allusion au colonel défunt. En d’autres temps, on se souvient de l’effet que le mot inzoka (serpent) avait produit comme « dégâts » sur le plan national. Question : ayant longtemps collaboré avec celui qu’il traite aujourd’hui de « canin », de quelle espèce le général Kabarebe et son maître sont-ils donc ? J’irais (encore) relire le Mapping report et peut-être que…

En attendant, l’un et l’autre me font étrangement penser à un film, « Le cauchemar de Darwin ». Ce documentaire de Hubert Sauper sorti en 2004 (Oscar du meilleur documentaire) parle d’un poisson, la perche du Nil que certains « bienfaiteurs » ont introduit dans le lac Victoria dans les années 1960. Ce centropomidé a depuis, causé la disparition d’une grande partie des 200 espèces différentes de poissons, entraînant une modification du biotope et l’extinction de nombreuses autres espèces. Son commerce, devenu florissant, alimente depuis près de vingt ans les tables et les restaurants des pays du Nord. Comment ne pas y voir une similitude avec l’introduction, en 1990, dans le paysage politique des Grands lacs, d’un groupe de soldats sans frontières qui est directement ou indirectement responsable de la disparition de plus de 6 millions de personnes aujourd’hui ? Et à qui profite tous leurs odieux crimes ? Ben, aux marchands de canons des pays nantis d’abord, à leurs valets africains ensuite ! Et dire qu’ils se veulent nationalistes enjoignant aux autres de demander pardon.

Se moquant des Rwandais, Kagame a dit que nulle part au monde le peuple n’obéissait aussi aveuglement à ses dirigeants qu’au Rwanda. « C’est une marque de confiance », a-t-il même expliqué. Ciel ! Pourquoi confondre terreur du régime (et ses cordelettes étranglant) et confiance patriotique ? Trust. Plutôt manque de confiance car il n’y a pire eau que l’eau qui dort. Mobutu est mort pauvre, triste et abandonné, Dadis Camara a reçu une balle « bien placée » par son entourage, Staline s’est éteint dans une flaque d’urines (son médecin n’a pu le secourir car il se méfiait de tout le monde) et Frederik De Klerk a eu la « sagesse » de s’effacer devant Mandela. Afandie, le choix est tien. Pour que vive mon pays.

Cecil Kami