APPEL À LA JUSTICE POUR LE CRIME DE GÉNOCIDE CONTRE LE PEUPLE HUTU

Le crime de génocide commis contre le peuple Hutu est une histoire longue et complexe. Cependant, par souci de concision, nous nous utilisons l’exemple d’une période importante allant d’octobre 1996 à mai 1997, au cours de laquelle des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants Hutu rwandais, congolais et burundais ont été massacrés dans leurs villages et leurs camps de réfugiés, ensuite pourchassés à travers le vaste territoire de la République démocratique du Congo (Leaning, et al., 1996).

Octobre 1996, les troupes tutsies de l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), soutenue par le Rwanda, attaquent des camps de réfugiés dans l’est de la RDC, accueillant 527 000 et 718 000 réfugiés hutus dans le Sud-Kivu et le Nord-Kivu respectivement. Des éléments de l’AFDL et, plus précisément, de l’Armée patriotique rwandaise (APR) ont systématiquement bombardé de nombreux camps et commis des massacres avec des armes légères. Ces premières attaques ont coûté la vie à 6 800 à 8 000 réfugiés et forcé le rapatriement de 500 000 à 700 000 réfugiés au Rwanda. (Ezimet, 2000)

Lorsque les survivants ont fui vers l’ouest de la RDC, les unités de l’AFDL les ont traqués et ont attaqué leurs camps de fortune, tuant des milliers d’autres (Reyntjens, 2009). Ces attaques et ces meurtres ont continué à s’intensifier au fur et à mesure que les réfugiés se sont déplacés vers l’ouest jusqu’à 1 800 km. Le rapport de la Commission conjointe des Nations Unies fait état de 134 sites où de telles atrocités avaient été commises. Le 8 juillet 1997, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme par intérim déclarait qu’«environ 200 000 réfugiés hutus auraient été massacrés». Ces attaques contre les Hutus étaient de nature systématique, méthodologique et préméditée.

1. LES TACTIQUES DU GENOCIDE

Selon Roberto Garretón, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Congo, « la tactique consistait à assiéger des camps avant de les attaquer; en convoquant les habitants de villes à prédominance hutu à des réunions dans des écoles ou des églises pour les massacrer; lancer des appels auprès des stations de radio officielles exhortant tous ceux qui se cachent dans les forêts à venir se faire soigner et à recevoir une aide alimentaire afin de les assassiner; et entraver ou s’opposer aux opérations humanitaires dans les camps « (Garretón, 1997; Ezemet, 2000)

Human Rights Watch et Médecins Sans Frontières ont signalé plusieurs incidents dans lesquels des meurtres avaient été perpétrés presque exclusivement avec des couteaux, des machettes ou des baïonnettes afin d’éviter d’alerter les autres réfugiés dans les environs et de laisser moins de traces de meurtres.

Femmes et enfants
Des enfants aux côtés des adultes ont été tués sans distinction, parfois de manière particulièrement cruelle, à coups de hache, la tête contre un mur ou un tronc d’arbre. D’autres auraient été brûlés vifs chez eux, avec leurs familles.

Le rapport ‘DRC Mapping Exercise report’ effectué par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme pour la RDC énumère les cas de femmes violées avant d’être tuées, par exemple, lors des massacres de réfugiés à Hombo en décembre 1996. Des femmes ont également été torturées et soumises à des mutilations, en particulier sexuelles, lors de ces massacres.

Aide humanitaire bloquée et utilisée comme appât
À plusieurs reprises, les rebelles ont empêché l’aide humanitaire de parvenir aux réfugiés affamés, épuisés et malades, soit en leur interdisant l’accès soit en les plaçant hors de portée des secours, les privant ainsi de ressources essentielles à leur survie ( HCDH, 2010). Les rebelles ont utilisé à maintes reprises des agences d’aide humanitaire pour localiser des réfugiés ou les attirer hors de la forêt afin de les éliminer (Médecins Sans Frontières, 1997).

Preuve cachée
Le massacre des réfugiés s’est poursuivi parallèlement au nettoyage des lieux de massacres. Selon les enquêtes de l’ONU (Garretón, 1997), de Human Rights Watch (Campbell, 1997) et de Médecins Sans Frontières (Bradol & Guibert, 1997), les auteurs du massacre de réfugiés ont consenti des efforts concertés pour dissimuler les preuves en nettoyant les sites de massacre, brûler des cadavres et tuer ou intimider des témoins.

Massacres de Hutu de toutes nationalités
Il convient de noter que de nombreux réfugiés hutu burundais vivant dans le Sud-Kivu ont partagé le sort de leurs compagnons rwandais et congolais. Beaucoup ont été tués quand leurs camps ont été attaqués ou alors qu’ils fuyaient à l’ouest avec les Rwandais. D’autres se sont noyés lorsqu’ils ont tenté de traverser le lac Tanganyika à la recherche de sécurité. Des soldats tutsis de l’AFDL ont massacré des Hutu congolais dans les villages du Kivu (ex. Musekera le 20 octobre 1996, Bisoko, Mugwata le 30 octobre 1996, marché de Mugogo le 18 novembre 1996, etc.) où ils vivaient depuis des siècles.

2. ACTES COMMISES VIS-À-VIS DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION DE GÉNOCIDE

Les attaques apparemment systématiques et généralisées révèlent un certain nombre d’éléments inculpatoires qui les qualifient de crimes de génocide. Tous ces meurtres étaient prémédités et sont condamnables par le droit international.

Deux rapports distincts des Nations Unies, en 1997 et 1998, ont examiné si des crimes de génocide avaient été commis contre des Hutu et d’autres réfugiés en RDC. Dans les deux cas, les rapports ont conclu que certains éléments pouvaient indiquer qu’un génocide avait été commis:

« Au moment des incidents couverts par le présent rapport, la population hutu du Zaïre, y compris les réfugiés rwandais et burundais, constituait un groupe ethnique au sens de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 » (HCDH , 2010, page 280). L’ampleur des crimes commis par l’APR contre des centaines de milliers de Hutus de toutes nationalités [rwandaise, congolaise et burundaise], y compris les Hutus établis depuis des décennies de la RDC, confirme que ce sont tous les Hutus qui ont été visés» (HCDH, 2010).

L’usage intensif d’armes légères (principalement des marteaux) et le caractère systématique des massacres de survivants (enfants, femmes, personnes âgées et malades, sous-alimentés) après la prise des camps indiquent que les nombreux décès ne sont pas imputables aux aléas de la guerre ou à des dommages collatéraux. « La majorité des victimes étaient des enfants, des femmes, des personnes âgées et des malades, souvent sous-alimentés et ne représentant aucune menace pour les forces attaquantes. De nombreuses atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe ont été commises, avec un très grand nombre de Hutus tués par balle, violés, brûlés ou battus »(HCDH, 2010, p. 14).

Les attaques ont eu lieu dans chaque localité où des réfugiés hutus ont été détectés par l’APR sur une très grande partie du territoire congolais d’est en ouest et la recherche incessante de réfugiés hutu a duré des mois. L’aide humanitaire destinée aux réfugiés hutus a été délibérément bloquée par l’armée rwandaise, en particulier dans la province orientale, les privant ainsi de ressources essentielles à leur survie (OHCHR, 2010).

Le massacre de réfugiés au Congo était une tragédie visant à éliminer une grande partie du groupe ethnique hutu et, selon l’article 2 de la convention sur le génocide de 1948, il s’agissait d’un crime de génocide. De tels crimes méritent d’être enquêtés davantage par une instance compétente, indépendante et impartiale, chargée de poursuivre en justice les auteurs des violations commises (Amnesty International, 1998).

Dans un entretien avec le Washington Post du 9 juillet 1997, le président rwandais Paul Kagame (alors ministre de la Défense) a reconnu que les troupes rwandaises avaient joué un rôle clé dans cette campagne de l’AFDL. Selon le président Paul Kagame, la stratégie de la campagne comportait trois éléments: a) détruire les camps de réfugiés, b) détruire les ex-FAR et les Interahamwe [une milice qui a commis le crime de génocide contre le peuple tutsi au Rwanda en avril-juillet 1994] et c) renverser le régime de Mobutu (Campbell, 1997).

Suite à ses recherches sur l’histoire complète du génocide rwandais et des crimes du Front patriotique rwandais (FPR), lors d’entretiens sans précédent avec des transfuges du FPR, d’anciens soldats et d’anciens survivants d’atrocités, appuyés par des documents du tribunal des Nations Unies, Judi Rever, une journaliste d’investigation canadienne et auteur, est d’avis que le président Paul Kagame est « ultimement responsable du meurtre d’environ 200 000 Hutu rwandais et hutu congolais au Zaïre/RDC en 1996-97 et d’innombrables Hutus qui sont rentrés au Rwanda des camps de réfugiés entre 1995 et 1998  » (Rever, 2018).

L’incapacité du Conseil de sécurité des Nations Unies à donner suite aux recommandations sur les massacres en République démocratique du Congo (RDC) est à nouveau une occasion manquée de mettre fin au climat d’impunité qui sévit tragiquement dans la région des Grands Lacs africains aujourd’hui. Les crimes de génocide commis par des soldats du FPR sur des Hutus sont bien connus. Cependant, à ce jour, aucun individu n’a encore été traduit en justice pour les crimes susmentionnés.

Certains des survivants de cette tragédie sont toujours dans des camps de réfugiés en RDC, où ils sont soumis à la même cruauté de la part des mêmes auteurs, 22 ans plus tard. Le déni et l’impunité de ce génocide ont ouvert la voie à de nouveaux crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans la région des Grands Lacs africains.

La prévention du génocide ne peut être réalisée sans lutter contre l’impunité. Il est important de tenir les auteurs pour responsables de leurs crimes. Faire face aux crimes du passé est une condition préalable à la prévention. Il y a des millions de personnes de la communauté Hutu dont l’expérience du génocide n’a pas encore été reconnue ni justice rendue.

3. RECOMMANDATIONS

« L’incapacité du Conseil de sécurité à donner effectivement suite aux recommandations de ses propre rapport onusiens montre le mépris envers les victimes de ces crimes » (Amnesty International, 1998).

  • Toutes les organisations qui œuvrent réellement pour la prévention du génocide doivent s’unir pour reconnaître, condamner et punir le génocide des Hutu.
  • Les Nations Unies devraient suivre les recommandations de leurs propres rapports et celles d’autres organisations de défense des droits de l’homme sur ces atrocités.
  • L’Organisation des Nations Unies devrait reconnaître officiellement le génocide commis contre les Hutus et veiller à ce que la politique « plus jamais » se concrétise en commençant par traduire en justice les auteurs de ce crime.
  • Toutes les organisations qui œuvrent réellement à la prévention du génocide devraient veiller à ce que les victimes du génocide qui se trouvent encore dans les camps de réfugiés et les forêts de la RDC soient reconnues en tant que réfugiés et installées en toute sécurité.
  • L’Union africaine et les gouvernements de la région des grands lacs africains devraient mettre en place des mécanismes de surveillance robustes capables de détecter les dynamiques politiques et les conflits susceptibles d’entraîner davantage de génocides dans la région.

REFERENCES

Amnesty International, 1998. Democratic Republic of Congo: A year of dashed hopes, s.l.: Amnesty International.
Amnesty International, 1998. UN Security Council shamefully abandons victims in Democratic Republic of Congo, London: AI.
Bradol, J. H. & Guibert, A., 1997. Le temps des assassins et l’espace humanitaire, Rwanda, Kivu, 1994-1997. Herodote, pp. 116-49.
Campbell, S., 1997. What Kabila is Hiding: Civilian Killings and Impunity in Congo, s.l.: Human Rights Watch.
Ezimet, K. N., 2000. The Massacre of Refugees in Congo: A Case of UN Peacekeeping Failure and International Law. The Journal of Modern African Studies, 38(2), pp. 163-202.
Garretón, R., 1997. Report on the Situation of Human Rights in Zaïre, prepared by the Special Rapporteur in accordance with Commission resolution 1996/77, New York: United Nations, Economic and Social Council (UNESC).
Leaning, J., Sollom, R. & Austin, K., 1996. Investigations in Eastern Congo and Western Rwanda, Boston: Physicians for Human Rights.
Médecins Sans Frontières, 1997. Forced Flight: A Brutal Strategy of Elimination in Eastern Zaire, Paris: MSF.
OHCHR, 2010. Report of the Mapping Exercise Documenting the Most Serious Violations of Human Rights and International Humanitarian Law Committed Within the Territory of the Democratic Republic of the Congo Between March 1993 and June 2003, Geneva: Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights.
Rever, J., 2018. In Praise of Blood, The Crimes of the Rwanda Patriotic Front. Toronto: Random House Canada.
Reyntjens, F., 2009. The Great African War: Congo and Regional Geopolitics, 1996–2006. New York: Cambridge University Press.

Source:

https://rwandansrights.org/call-for-justice-for-crime-of-genocide-against-hutu-people/