Au nom des experts de l’ONU, Steve Hege se défend

Le chercheur américain Steve Hege a dirigé le groupe d’experts nommés par l’ONU pour enquêter sur l’implication de pays étrangers, nommément le Rwanda et l’Ouganda, dans la politique de soutien au M23, le mouvement militaire qui a pris Goma en novembre puis s’en est retiré moyennant l’ouverture de négociations actuellement en cours à Kampala.
Les trois rapports publiés par le groupe d’experts ont jeté une lumière crue sur les soutiens extérieurs dont ont bénéficié les soldats rebelles. Ils ont aussi exposé les experts et en particulier le chef de leur groupe, à de vives critiques, tant à Kampala qu’à Kigali. Aujourd’hui que le groupe a terminé son travail et qu’une autre équipe va reprendre le flambeau, Steve Hege, avec l’approbation de ses collègues, a accepté de répondre aux questions du Soir.
Quelle est la qualification des experts membres du Groupe?
Le Groupe d’experts est composé de 6 membres, chacun nommé par le Secrétaire Général de l’ONU après une évaluation par le Secrétariat ainsi que les quinze pays membres du Conseil de sécurité. Les membres sont des enquêteurs et chercheurs indépendants avec une expérience technique dans les différents domaines spécifiques du mandat, c’est-à-dire les enquêtes sur l’approvisionnement en armes, le financement des groupes armés, le commerce des ressources naturelles, les violations graves des droits de l’homme, et les problématiques transfrontalières.
Basée à l’est de la RDC pendant son mandat, l’équipe dispose d’une connaissance approfondie de la région des Grands lacs, notamment des dynamiques régionales concernant les groupes armés étrangers ainsi que nationaux.
Durant notre mandat de 2011-2012, nous avons bénéficié d’une plus grande expérience, étant donné que cinq des six membres faisaient déjà partie du Groupe précédent. Dans mon cas par exemple, c’était mon troisième mandat. Ceux qui contestent aujourd’hui l’objectivité et la crédibilité du Groupe en 2012 doivent garder à l’esprit qu’à une exception près, il s’agit de la même équipe que l’année précédente, où de telles critiques n’avaient jamais été exprimées.
Quelle fut votre méthodologie pour enquêter sur l’implication des pays voisins, dont le Rwanda, dans le soutien du M23 (visites sur le terrain, entretiens, témoignages de première main etc…)
Comme il est expliqué dans l’annexe 2 de notre rapport final, nous avons adopté une méthodologie très rigoureuse et approuvée par le Conseil de sécurité. Avant tout, nous avons privilégié les informations recueillies auprès des témoins directs des évènements, qui sont le plus souvent des ex-combattants des groupes armés. Pour le cas du M23, nous avons notamment interrogé individuellement plus de cent anciens combattants du mouvement rebelle, dont 57 qui ont déclaré être des citoyens rwandais. Tous ont donné des témoignages détaillés sur le soutien du Rwanda aux rebelles.
Nous avons corroboré ces informations avec un réseau de plus d’une centaine d’autres sources notamment des leaders locaux, de commerçants, de simples paysans, d’ex-officiers de l’armée rwandaise, ainsi que des anciens officiers du CNDP qui maintiennent de nombreux contacts avec leurs amis et membres de leurs familles qui ont adhéré au M23. Nous avons aussi suivi de très près des réunions entre les différents groupes armés et mobilisateurs qui ont eu lieu au Rwanda (annexe 41), enquêté sur les transferts d’argent (annexe 34), les relevés d’appels effectués par des individus liés aux groupes armés (annexe 59), des enregistrements de communications radio entre les rebelles et des officiers de l’armée rwandaise (annexe 26), des déclarations officielles des détenus comme Roger Lumbala (annexe 45), des communications par emails et messages sms (annexe 42), des documents d’identification de soldats décédés au combat (annexe 18 &37) ainsi que des images satellitaires montrant très clairement les pistes reliant les quartiers généraux du M23 à des bases militaires rwandaises, ce qui corroborait parfaitement les témoignages des ex-combattants (annexe 6). En plus, comme complément aux informations recueillies sur le ravitaillement en armes par le Rwanda, nous avons documenté l’utilisation quotidienne par le M23 d’armes et équipements traditionnellement utilisés par l’armée rwandaise — notamment certaines armes lourdes et munitions qui ne peuvent pas provenir d’un détournement des stocks officiels de l’armée congolaises, parce qu’elles n’y figurent pas (annexe 17) — ainsi que des tenues militaires rwandaises fabriquées à Kigali (annexe 15).
En plus, à travers nos descentes fréquentes sur le terrain dans des zones contrôlées par les groupes armés nous avons été témoins nous-mêmes d’une coopération étroite entre les rebelles et les forces spéciales de l’armée rwandaise et de livraisons d’équipement militaire en provenance de l’extérieur.
Nous avons également développé nos propres sources actives au sein du M23 qui ont eux-mêmes reconnu le soutien du Rwanda à leur mouvement. En dépit des menaces physiques proférées contre nous et contre nos collaborateurs, nous avons effectué sept visites au Rwanda, souvent dans des localités importantes dans le cadre du recrutement de civils pour le M23, afin de corroborer les détails fournis par les ex-combattants notamment pour l’hôtel Bushokoro à Kinigi, qui non seulement correspondait parfaitement aux descriptions qui nous avaient été données mais qui a aussi été encerclé par des soldats de l’armée rwandaise pour la protection de ce site tellement important pour le M23 (annexe 19).
Finalement, nous avons confirmé nos informations avec des services de renseignements comme ceux de l’Ouganda, du Burundi, de pays occidentaux (annexe 22) ainsi que du gouvernement congolais, même si ce dernier a officiellement refusé de collaborer avec nos enquêtes dans l’élaboration de l’addendum du rapport intérimaire.
Le gouvernement rwandais vous accuse d’être un sympathisant des FDLR et un négationniste du génocide avec un agenda anti-Rwanda, Quelle est votre réponse sur ce point?
Le gouvernement rwandais a d’abord tenté de répondre à notre addendum sur ces violations de l’embargo sur les armes pour que nous le modifions. Ayant échoué, faute d’explications crédibles et convaincantes, le gouvernement a choisi de mener une campagne médiatique, diplomatique et juridique à notre encontre, pour discréditer les conclusions de nos enquêtes.
Nos détracteurs se sont principalement concentrés sur un document de discussion interne, où j’ai été cité comme le point de contact,-ce document a été mis sur internet par inadvertance-, et qui avait pour butd’analyser les réactions éventuelles des FDLR contre la population civile lors des opérations militaires prévuesau début de 2009, ainsi que de réfléchir aux modalités de démobilisation et de rapatriement définitifs des membres de ce groupe dans le contexte politique et historique de la région, y compris les massacres documentés par le rapport « mapping » de l’ONU, qui sont très importants pour comprendre l’idéologie interne des FDLR. Il n’y a rien dans ce document qui nie en aucune façon le génocide rwandais. En revanche, il se réfère directement à l’implication des certains commandants des FDLR dans le génocide.
Cet exercice d’analyse prospective ne concernait d’ailleurs pas uniquement les FDLR, mais aussi d’autres groupes armés à l’Est de la RDC, y compris le CNDP à l’époque, mais cela non plus ne veut pas dire que je défends leurs perspectives.
Tout au début des attaques contre moi, j’ai personnellement demandé que ce document soit retiré d’internet car, en tant que simple document de discussion interne, il n’avait pas vocation à être rendu public et les autres analyses sur les autres groupes armés n’ont d’ailleurs pas été publiées.
Le gouvernement rwandais est parfaitement au courant de mon objectivité en tant qu’enquêteur sur les groupes armés, notamment sur les FDLR. Lors des mandats précédents du Groupe d’experts auxquels j’ai participé en 2010 et 2011, nous avions d’ailleurs établi une bonne coopération avec les services de renseignements rwandais.
Ces derniers nous ont fourni de nombreux éléments d’information que nous avons par la suite tenté de confirmer avec d’autres sources indépendantes, surtout des ex-combattants des FDLR. Même si nos partenaires rwandais n’ont pas été tout-à-fait satisfaits de nos conclusions à propos de liens entre les FDLR et l’opposant Kayumba Nyamwasa en 2011, ils ont, à l’époque, respecté notre approche objective et impartiale qui s’appuie strictement sur les standards de preuve exigés par le Conseil de sécurité.
Par ailleurs, le Groupe d’experts, et moi-même en particulier, avons également coopéré avec les procureurs allemands dans les procès en cours contre l’ancien Président et vice-président des FDLR. En fait c’est dans une large mesure grâce aux efforts du Groupe d’experts pour exposer et documenter les réseaux d’appui externe aux FDLR que le mouvement rebelle se retrouve plus isolé et affaibli aujourd’hui que jamais, malgré ses efforts récents pour renaître dans le contexte actuel de la rébellion du M23.
De plus, avant de rejoindre le Groupe d’experts, en 2006 et 2007, j’ai travaillé comme officier de démobilisation de la MONUC, un poste pour lequel j’ai parcouru à pied à maintes reprises le fin fond des forêts des deux Kivu pour rencontrer des centaines de FDLR et tenter de les convaincre, avec un certain succès, de déposer les armes et de rentrer pacifiquement chez eux. Le gouvernement rwandais a pourtant utilisé ces accusations à mon égard comme un élément clé de sa défense et il a même payé certains officiers FDLR pour qu’ils donnent de faux témoignages, assurant que je leur aurais fourni des armes depuis quatre ans !
Bien que le gouvernement rwandais ait régulièrement exigé ma démission, aucun des membres du Comité de sanctions du Conseil de sécurité ne m’a posé la moindre question à propos de ma soi-disant « partialité ».
Le Rwanda nie absolument toute implication et affirme que vous ne lui avez pas donné un droit de réponse, ni considéré les explications et critiques de vos enquêtes rendues publiques en juillet. Que répondez vous à ces accusations ?
En réalité, nous avons donné au gouvernement rwandais plusieurs opportunités de répondre aux résultats de nos enquêtes. Ils ont refusé une première fois de nous recevoir lors d’une visite officielle à Kigali au mois de mai, en disant que notre présence au Rwanda n’avait rien à voir avec l’embargo sur les armes, un argument assez faible étant donné que l’embargo est la raison d’être-même du Groupe d’experts. Ensuite, lorsque le Comité des sanctions nous a demandé expressément de retarder la soumission de notre addendum au rapport intérimaire sur les violations rwandaises de l’embargo, la ministre rwandaise des affaires étrangères a refusé de me donner la moindre réponse quand je lui ai exposé nos conclusions. Quelques heures après notre rencontre, la ministre a pourtant déclaré, lors d’une conférence de presse, que personne n’avait partagé avec le Rwanda les résultats de nos enquêtes.
En ce qui concerne le démenti officiel écrit par le gouvernement rwandais, c’est un document que nous avons bien étudié et auquel nous avons répondu exhaustivement dans l’annexe 3 de notre rapport final. Nous avons eu l’occasion, lors d’une deuxième visite officielle à Kigali au mois de juillet, d’écouter les remarques du gouvernement rwandais, mais il nous a semblé que nos interlocuteurs cherchaient plus que toute autre chose à nous interroger pour connaître nos sources – qui doivent pourtant rester confidentielles selon la méthodologie du Groupe d’Experts.
Pour l’essentiel, les officiels du gouvernement ont essayé de nous convaincre que nous avions été en fait les victimes d’un grand complot ourdi par le gouvernement congolais et plus particulièrement par ses services de renseignement. En réalité, au début de nos enquêtes, c’est-à-dire entre février et début juin, les autorités congolaises ont tenté de nous bloquer l’accès à des informations sensibles sur l’implication du Rwanda, car elles cherchaient alors à résoudre le problème discrètement avec Kigali. Il n’est d’ailleurs pas non plus très logique que le gouvernement rwandais maintienne d’un côté que le Congo est un Etat en faillite, « un trou noir », et qu’il avance par ailleurs l’argument que ce même gouvernement serait efficace au point de pouvoir fabriquer les faux témoignages de plus d’une centaine d’ex-combattants du M23, sans compter également les centaines de sources locales et témoins directs de l’implication du Rwanda, tous éparpillés entre l’Ituri, le Nord Kivu et le Sud Kivu. Après le mois de juin, nous avons effectivement observé plus de coopération de la part du gouvernement congolais, mais les informations de source congolaise n’ont jamais été la base de nos enquêtes.
Concernant certains détails de l’explication fournie par le gouvernement rwandais, notamment sur les questions d’armement du M23 lors de notre visite à Kigali en juillet, le gouvernement nous a présenté de vieux AK-47 détruits comme la preuve qu’ils n’avaient pas fourni d’armes aux rebelles, y compris des obus de 75 mm. Lorsque que j’ai exprimé mon manque de compréhension à ce propos, le chef des renseignements militaires a répondu que les obus de 75 mm en question avaient été détruits depuis un certain temps, mais qu’ils n’étaient pas visibles car ils se trouvaient par hasard « en-dessous » des AK-47. Un mois plus tard, nous avons appris que le Rwanda a sollicité un appui technique pour détruire des obus de 75 mm etde 120 mm, du même type que ceux que les rebelles ont utilisé pour attaquer Goma.
Même après la reconnaissance officielle par le gouvernement rwandais du fait qu’il pourrait en effet y avoir eu des recrues du M23 en provenance du Rwanda, le gouvernement n’a pas effectué la moindre enquête à ce sujet. Lorsqu’aucune de nos conclusions n’a pu être réfutée, ils sont passés aux attaques personnelles contre nous. Depuis août, ils ont tout simplement refusé de nous rencontrer et de coopérer à nos enquêtes. Pendant cette période, nous n’avons fait qu’observer une augmentation du soutien et de l’emprise directe du gouvernement rwandais sur le M23, culminant avec la prise de Goma en novembre.
Quand est-ce que cette guerre du M23 a commencé à être préparée ? Et quels ont été les premiers signes de l’implication du Rwanda?
Dans notre rapport final de 2011, nous avions souligné le fait que des commandants ex-CNDP se préparaient déjà à un retour à la guerre, car ils s’attendaient à ce que les élections présidentielles soient très contestées. Non seulement Bosco Ntaganda plaçait ses hommes à des postes stratégiques au Nord et au Sud Kivu et contribuait à la manipulation des élections dans le territoire de Masisi, mais Sultani Makenga, de son côté, avait déjà commencé à accumuler de très importantes quantités d’armes grâce à ses réseaux d’appui déjà établis au Rwanda et en Ouganda.
En janvier 2012, Makenga a échoué dans une première tentative de mutinerie à Bukavu, essayant de mobiliser les sympathisants de Vital Kamehre contre la proclamation des résultats des élections présidentielles. Tout en appuyant officiellement la campagne du Président Kabila, les autorités rwandaises avaient aussi contacté des membres de l’opposition à Kinshasa pour leur dire que Kabila s’apprêtait à tricher et les inciter à mobiliser leur base pour l’en empêcher.
Néanmoins, l’implication directe du Rwanda n’a jamais a été aussi évidente que lors que les forces gouvernementales ont mis en débandade les mutins de l’ex-CNDP fin avril. C’est à ce moment-là quand le Rwanda a envoyé des éléments de son armée pour faciliter l’arrivée de Makenga et de Ntaganda à Runyoni, à moins de 7 km de leur frontière, en vue d’y établir le M23 comme un plan B. A partir de ce moment, l’armée rwandaise a déployé ses troupes d’une manière permanente aux côtés des rebelles congolais du M23 et renforcé chaque opération importante au Congo avec des unités entières en provenance des bases militaires de Ruhengeri et Kinigi au Rwanda.
Dans l’interview accordée au Soir par James Kabarebe, le Ministre rwandais de la Défense, y a-t-il des points que vous contestez ?
Lors de notre entretien avec lui en juillet, le Général Kabarebe nous a raconté la même histoire détaillée sur les réunions auxquelles le Rwanda a participé dès le début de la mutinerie de l’ex-CNDP en avril, comme preuve de sa bonne volonté. Effectivement, le gouvernement rwandais a tenté de se positionner comme médiateur et pacificateur de la situation en appui au gouvernement congolais, mais, les faits accablants établis par nos enquêtes permettent de remettre en cause la stratégie du Rwanda. En se positionnant à la fois comme juge et partie, cela leur garantissait, quoi qu’il arrive, l’imposition d’une solution convenant à leurs intérêts à l’est de la RDC.
Kabarebe n’a fait que justifier toutes les revendications du M23 et sa raison d’être, en nous affirmant notamment que tous les groupes armés congolais, y compris les groupes Mai-Mai – lesquels sont d’ailleurs impliqués dans des violations du droit international humanitaire très graves- constituaient avec le M23 une seule et même résistance crédible face au gouvernement congolais. Nous avons trouvé ce discours assez surprenant de la part d’un ministre essayant par ailleurs de se distancer des accusations sur son implication dans le soutien au M23.
Mais dans son interview publiée dans le journal Le Soir, Kabarebe a oublié de mentionner que les leaders congolais du M23 étaient eux-mêmes parmi les pires responsables des travers de l’armée congolaise. Le Groupe d’experts a documenté à maintes reprises les exactions de l’ex-CNDP, les mafias que le mouvement contrôlait au sein de l’armée nationale, notamment pour le trafic illicite des ressources naturelles, le détournement des soldes, les actes de pillage, les viols, l’imposition du travail forcé, ainsi que les assassinats directs de tous ceux qui s’opposaient à leur domination de l’armée. Il n’a également pas mentionné que les évènements déclencheurs de la mutinerie en avril étaient justement les séminaires tenus à Kinshasa sur la réforme de l’armée. Ntaganda, Makenga et Baudoin Ngaruye qui exerçaient déjà un contrôle quasi-total sur l’armée à l’est de la RDC, ont tout fait pour faire échouer les tentatives de réforme et maintenir l’impunité dans les rangs des FARDC.
Dans ses efforts pour décrire le M23 en termes positifs, comme étant un groupe rassembleur composé de toutes les ethnies à l’est de la RDC, Kabarebe a aussi oublié de mentionner le fait que de nombreux groupes ethniques ont refusé d’adhérer au M23, justement parce qu’ils voient très clair dans l’implication et le contrôle direct de ce mouvement par le Rwanda. Ceci est notamment le cas de deux communautés rwandophones très importantes, celle des Banyamulenge, qui sont des Tutsis Congolais vivant Sud Kivu,et celle des Hutus des territoires de Masisi, de Rutshuru, et de Kalehe.
En plus, Kabarebe vous a dit que pour rejoindre le territoire rwandais depuis le quartier général du M23 à Runyoni, il fallait onze heures de marche car il n’y a pas de routes. Cela n’est absolument pas vrai, car il n’y a en réalité que sept kilomètres entre Runyoni et la frontière rwandaise via des pistes en forêt, dont nous avons des photos satellite (annexe 6). Celles-ci ont été établies par l’armée rwandaise en vue de ravitailler les rebelles, ce qui réduit e voyage à une heure et demie de marche maximum. Kabarebe vous a également affirmé que les ex-CNDP ont amené leurs armes et équipements du Masisi vers Runyoni, mais il est impossible de transporter des armes lourdes — comme celles que le M23 a commencé à utiliser une semaine après – à travers deux volcans sans piste, au cœur du parc national des Virunga.
Finalement, Kabarebe vous a aussi affirmé que « les grosses ambassades au Rwanda » n’avaient pas confirmé l’implication du Rwanda en RDC, mais cela est aussi faux. La réalité des relations internationales est telle que des pays ne prennent jamais des décisions comme la suspension de l’aide à un partenaire aussi important comme le Rwanda sans avoir leurs propres confirmations. Un rapport du Groupe d’experts ne sera jamais perçu par ces ambassades de la même façon que des rapports de leurs propres services diplomatiques et de renseignements. L’organigramme dans l’annexe 22 de notre rapport final qui situe Kabarebe comme commandant suprême du M23 n’est qu’un simple exemple illustratif des informations dont les pays occidentaux disposent eux-mêmes.
Dans votre rapport final, vous avez conclu que l’Ouganda est également impliqué dans le soutien au M23. Quel est la différence entre leur appui aux rebelles et celui du Rwanda ?
En fait, nous avons conclu que le gouvernement du Rwanda a créé, équipé, entrainé, et commandé le M23, mais que les rebelles bénéficiaient d’un soutien aussi très important de la part des réseaux composés d’individus au sein du gouvernement ougandais. L’un des faits les plus palpables, c’est la présence de troupes ougandaises venues renforcer les rebelles lors de la prise de Kiwanja et de Rutshuru fin juillet 2012. Cette présence a été confirmée par des dizaines d’ex-combattants, y compris deux Ougandais, des cartouches de l’armée ougandaise trouvées sur les champs de bataille (annexe 28), ainsi que par beaucoup de témoins directs dans les localités où ils ont été déployés.
En outre, nous avons établi grâce à de nombreuses sources, y compris au sein du M23, que les rebelles ont bénéficié d’un appui direct d’officiers de l’armée ougandaise dans leur ravitaillement en armes, logistiques, et recrues. Quand il a fait défection de l’armée congolaise pour rejoindre le M23, Makenga a laissé dans sa résidence à Bukavu des boites vides d’armes lourdes qui appartenaient au Ministère de la défense ougandais (annexe 27). En établissant leur bureau politique à Kampala les rebelles ont bénéficié de conseils techniques de responsables ougandais sur leur stratégie militaire et politique. Au niveau régional, au sud-ouest de l’Ouganda, nous avons constaté une coopération très étroite entre des officiers de l’armée ougandaise et leurs homologues rwandais dans la coordination du soutien aux rebelles déployés au niveau des frontières des deux pays avec le Congo. En outre, des interceptions de communications radio du M23 ont confirmé l’implication d’officiers ougandais (annexe 26).
Même si ce soutien aux rebelles n’est pas le fait d’une politique officielle de l’Etat, nous avons constaté que le gouvernement avait eu une politique de « laissez-faire » vis-à-vis des activités du M23 en Ouganda, en leur laissant notamment un libre passage aux frontières, selon des agents des services de l’immigration ougandais. Nous avons été, nous-mêmes, les témoins directs de la réception d’une cargaison de bottes en plastique à destination des rebelles dans la localité de Bunagana, à la frontière avec l’Ouganda.
Plusieurs sources crédibles au sein du gouvernement ougandais ont confirmé ce soutien aux rebelles à partir de l’Ouganda. Même un haut officier de la police ougandaise, désigné par le gouvernement comme notre interlocuteur officiel pour les questions relatives au M23, nous a avoué qu’en effet, il y avait des individus au sein du gouvernement qui soutenaient les rebelles en leur fournissant des armes, des financements, et en facilitant leur recrutement, mais que le gouvernement allait enquêter et arrêter tous ceux qui étaient impliqués. Plus tard, officiellement, le gouvernement ougandais a changé de position en nous disant que cet officier n’était pas autorisé à parler au nom du gouvernement, et que les rebelles étaient seulement présents à Kampala à la demande du président congolais dans le cadre des initiatives régionales de paix. Cependant nous avons établi que certains officiers rebelles étaient déjà à Kampala en juillet, et collaboraient avec des officiers militaires ougandais avant même que Kabila en soit informé.
Quel est l’impact des rapports auprès du Comité des sanctions de l’ONU?
Le rôle principal du Groupe d’experts est d’informer le Comité de sanctions sur les violations de l’embargo sur les armes et du régime des sanctions le plus rapidement et fréquemment possible. Il n’a pas en tant que tel à se préoccuper des conséquences de ses rapports. Il nous est également demandé de soumettre une annexe confidentielle d’individus et entités que nous recommandons pour inclusion sur la liste des sanctions, qui consistent en un gel des avoirs et une interdiction de voyager. Il est de la prérogative des membres du Comité de sanctions d’examiner nos recommandations.et de mettre à jour la liste officielle. Il n’est pas possible qu’un candidat proposé par le Groupe d’experts soit inclus sur cette liste sans que plusieurs pays membres du Comité de sanctions aient eux-mêmes vérifié et confirmé les conclusions du Groupe.
Le Comité a récemment désigné pour sanctions plusieurs hauts commandants et dirigeants du M23, ainsi que le mouvement entier –de même que les FDLR– et le Conseil de sécurité a réitéré son intention de sanctionner ceux qui apportent un appui externe aux groupes armés en RDC.
Certains diplomates estiment qu’il ne faut pas, dans le cadre de la recherche en cours d’une solution pacifique, accuser ni le Rwanda ni certains officiers ougandaises, mais ces questions ne sont pas de notre ressort. Le Groupe a un mandat très clair et nous n’avons fait que l’accomplir en identifiant les responsables des violations de l’embargo et apolitique.
Pour le groupe des experts, quelles seront les conséquences de l’accession du Rwanda au Conseil de sécurité ?
Le Rwanda est devenu membre du Conseil de sécurité cette année, mais le mandat du Groupe d’experts avait déjà été renouvelé à travers la résolution 2078 et une nouvelle équipe est en train de se mettre en place. Après déjà trois mandats d’un travail très intensif et ardu, je n’ai pas présenté ma candidature pour pouvoir passer plus de temps avec ma famille.
Le Groupe d’experts est un mécanisme ad hoc du Comité de sanctions du Conseil de sécurité qui doit, tout en conservant son indépendance dans ses enquêtes et ses conclusions, prendre en considération les avis de tous les pays membres du Comité de sanctions dans l’exercice de ses fonctions. En faisant partie du Conseil de sécurité, le Rwanda sera obligé de dialoguer et de coopérer avec le Groupe d’experts, ce qu’ils ont refusé de faire l’année passée à partir du mois d’août.
Néanmoins, les réticences du Rwanda à propos de l’utilisation de drones en RDC pour que les Nations Unies puissent prévenir et vérifier les violations de l’embargo sur les armes constitue déjà en soi un exemple des défis qui se présenteront dans le cadre de la nouvelle composition du Conseil de sécurité. En plus, étant donné que le Comité travaille sur la base du consensus, un pays membre pourrait bloquer des candidats proposés pour des sanctions, ainsi que des membres du Groupe d’experts pour des prochains mandats.

Source: Le carnet de Colette Braeckman