Beni : La continuation de la guerre rwando-tanzanienne en RDC ?

Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu

L’attaque menée le 7 décembre 2017 contre un casernement des casques bleus tanzaniens a occasionné quinze tués du côté tanzanien, 59 blessés et trois disparus dans les rangs des FARDC et des casques bleus. Les assaillants ont ciblé une base de la MONUSCO tenue par un contingent tanzanien à Semuliki, selon des sources onusiennes, qui ajoutent que les combats ont duré trois heures. Cette attaque est consécutive à une précédente attaque des casques bleus tanzaniens le 9 octobre 2017 lors d’un assaut contre une base de la MONUSCO à Mamudioma, toujours dans le territoire de Beni.

Ces attaques, d’une extrême violence, avec les armes lourdes, illustrent la situation volatile et très instable dans laquelle la RD Congo se trouve depuis que le mandat présidentiel constitutionnel de Joseph Kabila a expiré le 19 décembre 2016. Cette situation risque de se détériorer davantage si rien n’est fait pour trouver des solutions politiques et sécuritaires pragmatiques et durables adaptées au contexte particulier de la crise institutionnelle généralisée congolaise avec des autorités illégitimes.

Mais au-delà des enjeux internes de cette crise, comme nous le mentionnons souvent, un des grands aspects de la crise généralisée en RD Congo trouve ses motivations dans les facteurs exogènes. Cette approche semble malheureusement souvent minimisée par bien des analystes lorsqu’ils abordent la problématique de la crise congolaise de ces deux dernières décennies. Une crise qui trouve principalement son élément catalyseur dans les guerres imposées et subies par la RD Congo par des acteurs internationaux, multinationaux, transnationaux et dans les enjeux des acteurs de proxys régionaux.

La thèse d’une déstructuration de l’est de la RDC, suivie d’un chaos relatif ou prononcé, c’est-à-dire la stratégie du désordre ordonné[1], dans un pays à la dérive, accompagné de pillages de ses ressources naturelles par les Africains eux-mêmes ou par les acteurs multinationaux étrangers reste constamment présente. Ce désordre ordonné, voulu par certains acteurs régionaux, vise le maintien de la RDC dans un état d’instabilité politique permanente dans les stratégies géoéconomiques de captation des richesses congolaises par l’établissement d’une « économie de guerre », bénéfique aux ‘nouveaux prédateurs’.

La présente analyse, sans avoir la vocation de déterminer les éléments factuels de la récente attaque des casques bleus, qui est loin d’être isolée à une affaire purement congolaise,  tente plutôt de ressortir les éléments de sa compréhension en les inscrivant dans un cadre conceptuel géopolitique régional. L’objectif est de donner un cadre de réflexion beaucoup plus large qui pourrait servir de matrice aux enquêteurs chargés d’élucider cette attaque. L’analyse livrera également les premières informations brutes reçues par DESC autour de cette attaque.

La Tanzanie, fer de lance de la défaite du M23 soutenu par le Rwanda et l’Ouganda

La défaite en novembre 2013 du M23, une rébellion soutenue explicitement par le Rwanda et l’Ouganda, l’a été grâce notamment à l’action déterminante de la brigade d’intervention de la MONUSCO[2] au sein de laquelle le bataillon de la force spéciale tanzanienne a joué un rôle décisif. Pour rappel, cette brigade, constituée d’environ 3069 hommes et composée de 1345 Sud-Africains, 1247 Tanzaniens et des Malawites, avait été créée par la Résolution 2098 du Conseil de sécurité de l’ONU du 28 mars 2013. Elle était dotée d’un mandat offensif en soutien aux FARDC contre les groupes armés négatifs sévissant dans l’est du pays, dont le M23.

La première chose à relever est que les tractations sur la formation de cette force furent laborieuses. Le Rwanda et l’Ouganda ont tenté par tous les moyens de dissuader voire d’intimider les Etats de la SADC, organisation contributrice de cette force, à fournir des troupes à cette brigade. Il paraît dès lors clair que la participation des soldats tanzaniens, voisins du Rwanda, n’était pas très appréciée par Kagame pour qui la présence de cette unité, mettait en difficulté ses ambitions hégémoniques en RD Congo.

La Tanzanie, cible du Rwanda, dans une guerre de leadership régional et dans un contentieux ethnique

Déjà, lors de l’offensive finale contre le M23, les unités tanzaniennes ont particulièrement été prises pour cible par le M23 appuyé par l’armée rwandaise. Et nous avions bien décrit ce contentieux dans un article intitulé : « Désemparé, le M23 veut pousser le Rwanda et la Tanzanie à l’escalade militaire »[3].

Dans cet article, nous avons mis en évidence l’escalade verbale entre les présidents rwandais, Paul Kagame, et tanzanien de l’époque, Jakaya Kikwete, lorsque la Tanzanie avait consenti d’envoyer ses troupes au sein de la brigade d’intervention. Porte-voix de son géniteur, le Rwanda, le M23 est allé même menacer les pays contributeurs de la brigade d’intervention en promettant l’enfer à leurs troupes. Cela n’a pas été du goût du président tanzanien, qui ayant compris la manœuvre du M23 téléguidé depuis Kigali, a exigé au Rwanda et à l’Ouganda d’ouvrir un espace politique de dialogue avec leurs rébellions respectives installées en RDC. Ce que le Rwanda a considéré comme un sacrilège. La Tanzanie avait en outre expulsé des réfugiés rwandais au motif qu’ils étaient des illégaux[4]. Depuis, c’est le grand jeu de je t’aime moi non plus entre Kagame et Kikwete, au moment où la Tanzanie s’imposait comme un Etat-pivot[5] de la politique régionale des Etats-Unis en Afrique des Grands-Lacs, au détriment du couple Ougando-rwandais.

C’est ainsi que, par exemple, en juillet 2013, après les premières défaites militaires du M23, les chefs de ce mouvement avaient exhibé la carte et les photos d’un militaire tanzanien du nom de Christopher George Yohana, capturé lors des combats, dans une stratégie de guerre médiatique. Celle-ci visait à heurter la sensibilité de  l’opinion publique tanzanienne afin de faire pression sur leur président pour qu’il retire ses troupes de la RDC. La même stratégie, sûrement, derrière l’attaque du 7 décembre dernier qui a causé la mort des 15 casques bleus tanzaniens.

Par ailleurs, dans le cadre de l’info-guerre entre le Rwanda et la Tanzanie, Paul Kagame, dans une allocution tenue le 30 Juin 2013 devant la jeunesse Rwandaise sur la culpabilité des jeunes Hutu tenus pour responsables des crimes commis par leurs parents, s’est permis de s’attaquer au Président Tanzanien, Kikwete, en ces mots d’abord en Kinyarwanda : « Ces gens [le président tanzanien Jakaya Kikwete] vous venez d’entendre prendre langue avec les Interahamwe et FDLR et exhortant des négociations … des négociations ? Moi, je n’ai même pas à discuter de ce sujet, parce que [s’exprimant ensuite en anglais pour que Kikwete le comprenne clairement] « je vais t’attendre » [le président tanzanien Jakaya Kikwete] à la bonne place et je vais te frapper! Il [le président tanzanien Jakaya Kikwete] ne méritait pas ma réponse. Je ne perds pas mon temps à lui répondre … c’est bien connu. Il y a une ligne qu’il ne faut jamais franchir. C’est impossible … de négocier avec les FDLR ».

Mais, la réponse du berger à la bergère ne s’était pas fait attendre. Jakaya Kikwete avait directement réagi avec fermeté en swahili cette fois-ci [pour que Kagame le comprenne bien et les analystes apprécieront cette rhétorique diplomatico-belliqueuse] en prévenant Kagame qu’il sera frappé comme un gamin.

Voilà une passe d’armes diplomatiques qui continue à avoir ses effets sur le terrain militaire congolais où les deux pays continuent de se livrer une guerre à distance par procuration. Surtout que le Rwanda accuse également la Tanzanie d’être le soutien de Pierre Nkurunziza dont la stratégie de maintien au pouvoir s’accompagne également d’une sorte de chasse aux sorcières aux Tutsi-burundais, accusés principalement d’être en intelligence avec le Rwanda pour le renversement de son régime.

Comme on le sait, Nkurunziza est en conflit quasi ouvert avec Paul Kagame. Les rapports entre les deux présidents, amis opportunistes d’hier, sont exécrables. Les deux présidents en sont même au stade de la confrontation militaire. En effet, dans un discours de Nkurunziza en Kirundi (langue qui ressemble au kinyarwanda), à propos de la tentative de putsch manqué mené en 2015 par le général tutsi Niyombare, il désigne un instigateur (qui n’est rien d’autre que son voisin du nord, Kagame). Et il dit que ce qui s’est passé ne doit pas se reproduire. Il a même déclaré que si le Rwanda ose menacer le Burundi, c’est au Rwanda que va se dérouler la guerre[6].

La fausse thèse des ADF, démontée par DESC dès le début des massacres, pour justifier les attaques de Beni 

Point n’est besoin de mentionner que dès la reprise des attaques à Beni, après le décès suspect du général Lucien Bahuma, commandant de l’Opération Sukola2 contre les ADF (Allied Defense Forces, Forces démocratiques alliées), DESC a été le premier, preuves techniques et matérielles à l’appui, à réfuter la piste terroriste des ADF. Nos analyses ont été confortées notamment par le rapport (novembre 2014) de la mission parlementaire d’information et de réconfort des populations de Beni et environs sur les tueries du 02 au 21 octobre 2014. Ce rapport avait entre autres relevé les constats suivants :

  • Difficulté de se battre contre un ennemi non encore identifié, quand bien même il serait vaguement qualifié d’ADF ;
  • Immobilisme ou inaction de la MONUSCO face aux tueries alors que ses éléments sont postés non loin des lieux des drames ainsi interprété par la population comme une complicité.

Le rapport du Groupe d’étude sur Congo (GEC) nous a emboité le pas en remettant méthodiquement en cause, sur base d’une enquête minutieuse menée sur le terrain, la version de la thèse défendue publiquement par la MONUSCO et le gouvernement congolais. Ces derniers ont toujours déclaré publiquement que les massacres sont l’œuvre des rebelles ougandais des Forces démocratiques alliées (ADF)[7].

Pourtant, un rapport du Bureau des Nations Unies pour les Droits de l’Homme (BCNUDH), publié en mai 2015, avait déjà indiqué que les FARDC avaient participé à des massacres conjointement avec des ADF[8]. Il s’agissait notamment des régiments ex-CNDP, composés majoritairement d’anciens rebelles tutsis du CNDP, autrefois soutenus par le Rwanda. En effet, selon les informations que j’ai vérifiées sur le terrain, les 808ème, 809ème et 1006ème régiments d’infanterie, impliqués dans les massacres de Beni selon ces rapports, sont en majorité des unités ex-CNDP intégrées  au sein des FARDC durant la période préélectorale de 2011. A titre de rappel, le CNDP fut un allié politique et électoral de Kabila et membre de l’AMP, devenue la MP, durant les élections de 2011. Le 808ème régiment d’infanterie était déployé dans le grand nord sur l’axe Beni-Lubero. Ce régiment a opéré dans l’opération Sokola 2 contre les FDLR à Kitchanga, dans le Masisi[9].

Les mêmes régiments, selon les informations recueillis par DESC, sont des assaillants qui ont tué les casques bleus tanzaniens dans l’est de la RD Congo, le 5 mai 2015. D’autant que cette attaque, selon nos sources militaires sur le terrain, s’est déroulée dans une zone d’où les ADF avaient été chassées en avril 2014. La zone d’attaque des casques bleus tanzaniens était une zone sous contrôle des régiments ex-CNDP intégrés dans les FARDC[10]. Cette information été confirmée par les conclusions des experts des Nations unies.

Fait curieux de cette attaque, il s’est fait que dans leur riposte, les forces spéciales tanzaniennes, appuyées par un groupe d’éléments des FARDC n’étant pas proches de Mundos, ont tué les colonels FARDC Innocent Binombe et Richard Mungura.  Pour rappel, le colonel Richard Mungura était un tutsi, ex-membre du RCD-Goma. Il fut responsable de la police militaire dans l’ex-Province orientale sous la rébellion RCD-Goma et a fait l’objet de plusieurs rapports d’experts de l’ONU, notamment dans la répression brutale des soldats congolais du RCD qui se sont mutiné en mai 2002 à Kisangani[11]. Des sources militaires FARDC nous avaient également confirmé le décès du colonel rwandophone Binombe lors du même raid des forces spéciales tanzaniennes contre les présumés ADF. Selon une source militaire formelle : « le colonel Innocent Binombe est bien mort à Beni, surpris par l’unité spéciale tanzanienne en pleine action de tuerie et massacre des populations »[12]. Une attaque de trop que les forces tanzaniennes devraient tôt ou tard payer de la part du Rwanda via des unités issues des rébellions qu’il a créées à l’est de la RD Congo.

Outre la participation des régiments ex-CNDP, nos analyses ont également indexé la participation du général Akilimani Muhindo, dit Mundos, bras armé de Joseph Kabila, dans la mise en scène de ces massacres. Ce dernier a installé son poste de commandement à Kamango, d’où il planifie des opérations sécrètes dans le secteur de Beni. L’arrivée du général Mundos à Beni, après le décès du général Bahuma, a coïncidé avec le déclenchement des massacres. Après plusieurs mois de tueries et des rapports l’accusant d’être derrière les tueurs, des voix vont s’élever pour exiger son départ. Il sera muté dans le secteur opérationnel de Kalemie, ex-Katanga, et remplacé à la tête de l’Opération Sukola 1 par le général Marcel Mbangu Mashita, en juin 2015. On a alors observé une accalmie d’environ deux mois. Mais par la suite, le général Mundos a été discrètement ramené dans la région, à Mambasa, et placé aux commandes de la 32ème Brigade mécanisée  et du secteur opérationnel Mambasa-Nyanya-Nyakunde. Les massacres ont repris, les assaillants se repliant dans les zones sous contrôle de ses troupes[13].

L’ONU commence peu à peu à douter de la présence des ADF à Beni, mais DESC conforte sa thèse des assaillants militaires au sein des FARDC

On constate un début de changement de rhétorique dans la désignation des auteurs des attaques à Beni. Alors qu’elle identifié formellement les rebelles ougandais des ADF comme étant responsables de ces attaques, l’’ONU pointe désormais la responsabilité de membres présumés des ADF. Un petit détail qui étale les réserves de l’ONU et qui pourrait vite dévoiler la supercherie communicationnelle montée autour des auteurs de ces attaques à répétition si l’ONU se donne les moyens et la volonté politique de mener une enquête sérieuse et indépendante à laquelle DESC se dit disposé d’apporter son expertise criminologique.

C’est depuis longtemps que DESC ne croit plus à la thèse des ADF. La récente attaque des casques bleus montre clairement que le mode opératoire utilisé par les assaillants, les troupes visées (casques bleus tanzaniens), la puissance de feu utilisée par les assaillants avec des armes lourdes dont disposent a priori les forces armées plus que les rebelles ainsi que la tactique utilisée, renvoient à une minutieuse opération militaire coordonnée et menée par des militaires professionnels auxquels sont impliqués les soldats à la solde du Rwanda et les FARDC. L’analyse balistique et criminalistique poussée de cette attaque peut facilement mener par exemple à la traçabilité des douilles et des munitions utilisées et les types d’armes adaptés à ces douilles. Ce qui peut remonter jusqu’aux vrais détenteurs de ces armes.

Une autre observation primaire de cette attaque remet en cause une attaque des ADF du fait de la durée des combats. Alors que les ADF mènent généralement des actions éclairs et limitées dans le temps, seules des unités de combat militaires, aux prises aux techniques particulières d’attaque offensive, peuvent mener un tel assaut bien ciblé contre des unités (spéciales) bien outillées et entrainées, et tenir plus de trois heures de combat sans décrocher. L’assaut a vraisemblablement été minutieusement préparé et mené par des centaines d’assaillants déterminés, soutenus par des moyens militaires impressionnants et coordonnés par un échelon de commandement militaire professionnel, qui maîtrise tactiquement ce terrain militaire.

Autre fait pouvant dédouaner les ADF est qu’après l’attaque contre le convoi du général Mbangu, le 18 octobre 2017, une première analyse que j’ai livrée était que les militaires FARDC à Beni sont en train d’être décimés par un réseau parallèle opérant à partir de leur propre hiérarchie. J’ai rappelé que les ADF n’existent plus en tant que force militaire organisée depuis que le mouvement a été défait par le général Jean-Lucien Bahuma, en avril 2014. Même à l’époque où ils étaient actifs, les ADF opéraient avec un faible armement et procédaient surtout à des prises d’otages. Ce qui n’est plus le cas des assaillants de Beni depuis octobre 2014, qui utilisent l’arme lourde (fournie par les FARDC) et les méthodes violentes d’attaque similaires à celles des tueurs rwandais. L’ouvrage du coordonnateur de DESC, Boniface Musavuli, « Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes»[14], dévoile le visage des vrais assaillants de Beni. Il décrit les réseaux par lesquels ces tueurs ont été acheminés au fil des mois jusque dans les maquis de Beni, et les complicités dont ils ont bénéficié de la part des autorités de Kinshasa, de Goma et même de Beni[15].

Pour mieux comprendre le visage des vrais assaillants qui se cachent derrière les massacres de Beni et les attaques militaires qui s’y perpètrent, nous vous recommandons la lecture de l’ouvrage de Boniface Musavuli intitulé « Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes ».

 

Carte de l’ancienne zone d’action des ADF. Source Rapport S/2015/797 du Groupe d’experts de l’ONU du 16 octobre 2015, p. 67.

Les premières informations brutes collectées par DESC

  1. L’attaque a été lancée le jeudi 7 avril vers 17h00 contre une position des casques bleus tanzaniens près de la rivière Semliki (voir photos). Une première vague a été repoussée, puis est venue une seconde vague, plus massive et plus déterminée.
  2. Notre source, proche du contingent tanzanien, estime à plusieurs centaines les assaillants, vêtus d’uniformes FARDC et venant d’une direction supposée être sous contrôle des FARDC.

« Plusieurs centaines d’assaillants » signifie que l’ennemi disposaient des effectifs plus fournis. A titre de rappel, Les effectifs des ADF (ou ce qu’il en reste), selon les enquêtes de l’ONU, ne dépassent pas une centaine d’individus dispersés, faiblement armés, dépourvus de ravitaillement et sans coordination. Le mouvement n’existe plus en tant que force militaire organisée après les opérations menées en janvier-avril 2014 par les troupes du général Jean-Lucien Bahuma, le successeur du colonel Mamadou Ndala à la tête de l’opération Sukola1. Le leader des ADF, Jamil Mukulu, en compagnie d’une trentaine de fidèles avait disparu de Beni dès février 2014. Il a été arrêté en Tanzanie en avril 2015 puis transféré en Ouganda où, depuis, il se trouve en prison. Ses lieutenants ont été soit tués soit dispersés dans la brousse  où ils sont plutôt sur le qui-vive. Des maquisards dans une situation aussi précaire ne peuvent pas mobiliser des centaines de combattants, les équiper, les discipliner et les mener dans une bataille de plusieurs heures contre une force onusienne.

  1. Selon l’armée, au moment de l’attaque, les unités FARDC les plus proches étaient à 45 km, ce qui ne peut pas être vrai. La zone où se produisent les violences attribuées aux ADF (le triangle de la mort) ne fait pas plus de 30 km de diamètre : les axes Mbau – Eringeti – Kamango – Mbau (voir carte). Et même si c’était vrai, pourquoi avoir laissé une unité des casques bleus, des soldats étrangers, aussi loin, si ce n’est pas dans l’intention de les livrer à l’ennemi ?
  2. Notre source indique qu’il y a environ un mois, le pouvoir de Kinshasa a demandé aux Tanzaniens de rapatrier chez eux des armes lourdes (muzinga, mot utilisé dans le jargon swahili pour désigner les mitrailleuses lourdes). Le pouvoir leur a dit que leur sécurité serait assurée par différentes unités FARDC. Un mois plus tard : cette attaque violente qui les décime littéralement. Ça rappelle la stratégie longtemps utilisée par les Rwandais contre les FARDC (les distraire, les mettre en confiance, les amener à baisser la garde, puis… les attaquer quand ils s’y attendent le moins. Cas de Mushake en décembre 2007, de Rumangabo en octobre 2008 et de Bunagana en juillet 2012).
  1. C’est la deuxième fois en l’espace de deux mois que les Tanzaniens sont visés alors qu’il y a d’autres contingents à Beni. Le message semble clair : chasser les soldats tanzaniens de ce coin de la RDC.

Fait curieux, mais pas anodin : le contingent tanzanien a bénéficié des renforts de la 31ème brigade des Forces de réaction rapide du général Kalonda. L’unité qui a subi l’attaque des mêmes assaillants le 9 octobre 2017. Les éléments de la task force de la GR, commandés par le Colonel Yves Kitenge sont également venus en renfort des soldats tanzaniens.

Conclusion

Cette attaque marque un tournant dans la violence qui frappe la population de Beni. Au-delà des motivations des planificateurs de l’attaque, il y a un constat implacable : désormais, il n’y a pas que les civils et les militaires congolais qui seront pris pour cible. Même les casques bleus vont être tués, et en grand nombre. C’est le résultat de trois ans de mensonges sur les vrais tueurs de Beni, de recherche de boucs émissaires et de la politique du laisser faire. Cette gradation dans la violence est telle que l’ONU et les partenaires extérieurs de la RDC ne doivent plus laisser pourrir la situation.

La dernière fois qu’on a laissé pourrir une crise, comme à Beni, c’était en Ituri dans les années 2000, et les conséquences furent lourdes pour l’ONU. Le 25 février 2005, neuf casques bleus bangladeshis furent tués par des miliciens près de la ville de Kafé, à 30km au nord-ouest de Bunia. Cette attaque est restée la plus meurtrière pour les soldats onusiens depuis le début de leur mission au Congo. La réaction de la communauté internationale, bien que tardive, fut l’arrestation des seigneurs de guerre locaux et des poursuites à leur encontre devant la Cour pénale internationale (Thomas Lubanga, Germain Katanga, Matthieu Ngunjolo).

Depuis trois ans, la population de Beni, la société civile et DESC réclament une enquête pénale internationale. Il est temps que la Mission onusienne se ressaisisse et implique le Bureau du procureur de la Cour pénale internationale dans la recherche des commanditaires des crimes de guerre et crimes contre l’humanité à Beni. Les rapports des experts de l’ONU ont déjà fourni plusieurs noms. Comme en Ituri, l’heure est sûrement venue de délivrer des mandats d’arrêt et de commencer à procéder à des arrestations. Il y va de la crédibilité de l’ONU en RDC.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Références et annexe

ANNEXE :

Liste provisoire des soldats tanzaniens tués : Pte Mwichumu ; 2. Pte Hali Haji Ussi ; 3. Pte Hamad Mzee Kamna ; 4. Deogratius Kamili ; 5. Juma Mossi ; 6. Paschal Misingo ; 7. Idd Abdala SMV ; 8. Cpl Issa Khamis ; 9. Pte Shaziri Nyandonde ; 10. Pte Hamad Haji Bakari ; 11. Sgt Makame Abdalah ; 12. Pte Nassor Daud ; 13.Pte Saleh Said Mahembano ; 14. Pte Vuai Mohammed.

[1] Laurent Gayer, « Ni guerre ni paix : guerres sans fin(s) ou désordres ordonnés. », in Nouvelles guerres. L’état du monde 2015, La Découverte, Paris, 2014, pp. 54-67.

[2] JJ Wondo, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, 2ème Ed, 2015, p.75.

[3] JJ Wondo, 25 juillet 2013, in http://desc-wondo.org/fr/desempare-le-m23-veut-pousser-le-rwanda-et-la-tanzanie-a-lescalade-militaire/.

[4] http://desc-wondo.org/guerre-au-kivu-ca-vole-tres-bas-entre-dar-es-salam-et-kigali/.

[5] C’est-à-dire capable de jouer un rôle d’influence et régulateur de puissance à un niveau géopolitique sous régional global.

[6] JJ Wondo, DESC, 3 juin 2015. La crise au Burundi et l’attaque de Goma : La fin de la triple alliance opportuniste Kagame – Kabila – Nkurunziza ? – http://desc-wondo.org/fr/la-crise-au-burundi-et-lattaque-de-goma-la-fin-de-la-triple-alliance-opportuniste-kagame-kabila-nkurunziza-jj-wondo/.

[7] http://congoresearchgroup.org/rapport-qui-sont-les-tueurs-de-beni/?lang=fr.

[8] Le massacre du 8 octobre 2014 à Oicha, par des soldats du 809ème régiment et le massacre de Ndalia dans la nuit du 25 au 26 décembre 2014 où sept civils avaient été égorgés par des soldats appartenant au 905ème régiment. Cf. Report of The United Nations Joint Human Rights Office on International Humanitarian Law Violations Committed by Allied Democratic Forces (ADF) Combatants in the Territory of Beni, North Kivu Province, Between 1 October and 31 December 2014, mai 2015, § 55 et 56. Lire Boniface Musavuli : Massacres de Beni : Le rapport qui éclabousse les régiments FARDC, 24 mars 2016. http://desc-wondo.org/fr/massacres-de-beni-le-rapport-qui-eclabousse-les-regiments-fardc-b-musavuli/.

[9] Boniface Musavuli : Massacres de Beni : Le rapport qui éclabousse les régiments FARDC, 24 mars 2016. http://desc-wondo.org/fr/massacres-de-beni-le-rapport-qui-eclabousse-les-regiments-fardc-b-musavuli/.

[10] JJ Wondo, Joseph Kabila et le Général « Mundos » créent-ils des faux ADF/Nalu ?, DESC, 13 mai 2015. http://desc-wondo.org/fr/joseph-kabila-et-le-general-mundos-creent-ils-des-faux-adfnalu-jj-wondo/.

[11] Human Rights Watch Août 2002, Vol. 14, No. 6 (A) 11 34. Entretiens avec Human Rights Watch, Kisangani, Kinshasa, Juin-juillet 2002.

[12] JJ Wondo, Les commandos tanzaniens de la Monusco ont-ils tué des éléments FARDC déguisés en ADF à Beni ?, DESC, 18 mai 2015. http://desc-wondo.org/fr/les-commandos-tanzaniens-de-la-monusco-ont-ils-tues-des-fardc-deguisees-en-adf-a-beni-desc/.

[13] B. Musavuli, Massacres de Beni : Ils vont blanchir le général Mundos, DESC, 23 novembre 2017.  https://desc-wondo.org/fr/massacres-de-beni-ils-vont-blanchir-le-general-mundos-b-musavuli/.

[14] L’ouvrage est disponible sur ce lien : https://www.amazon.fr/dp/152170399X.

[15] B. Musavuli, Attaques de Beni : L’ennemi se cache dans l’armée, DESC, 30 octobre 2017. http://desc-wondo.org/fr/beni-lennemi-se-cache-larmee-b-musavuli/.

 

Source: Défense & Sécurité du Congo – Wondo