Burundi, le 29 avril 1972 : La grande imposture!

Quarante-huit ans se sont écoulés depuis cette triste soirée du 29 avril 1972.                      Le Burundi, dirigé d’une main de fer par un jeune officier, Michel Micombero, un psychopathe au néfaste destin, allait sombrer dans l’enfer dont il ne s’est pas relevé encore aujourd’hui.

Introduction

L’histoire a retenu les faits comme « Ikiza », la grande calamité, aussi redoutable que la peste. L’armée et la police, guidées par les milices du parti unique, organisent des rafles sur toutes les communes du pays. Les suspects sont brutalisés, frappés, blessés, hués et couverts de crachats. Ils sont couchés les uns sur les autres dans des camions à marchandises. Des militaires montent sur leurs corps, les écrasent de leurs bottes et s’amusent à enfoncer leurs baïonnettes maudites dans la chair humaine. Destination : des salles de prison où ils sont séquestrés, en laissant croire à leurs familles qu’ils vont subir un simple interrogatoire et rentrer à la maison.

De ces prisons bondées, ils ne sortiront pas vivants. Leur mort ne sera pas douce. Elle sera extrêmement violente : la strangulation, l’étouffement, les coups de gourdin, de marteau, de bambou, de baïonnette. Les sicaires doivent faire vite, à tour de bras, pour libérer l’espace avant le lever du jour, pour d’autres arrestations. Tous les soirs de mai et de juin, dans les campagnes, loin des regards, des fosses communes sont creusées au Caterpillar et des camions se relayent pour y déposer leurs charges macabres à la faveur de la nuit.  

Silence, on tourne ! Le monde extérieur n’aura que de lointains et vagues échos de ce premier génocide des Grands-Lacs africains, exécuté à huis clos, par le gouvernement tutsi de l’époque. Le nombre des victimes est estimé à 300.000 sur une population de 3,2 millions ! En deux mois, le Burundi perd la presque totalité des Hutu les mieux formés, les mieux entreprenants, bref, les forces vives de la nation.

La république est devenue folle. Elle massacre ses propres enfants. Comment en est-on arrivé là ? 

‘ Ce qui est certain, c’est que les massacres attribués à des « bandes de Hutus », qui parfois drogués, dit-on, ont bel et bien démarré au sud du pays, sur les bords du lac Tanganyika ‘. 

C’est un journaliste qui a pignon sur rue, Antoine Kaburahe, qui écrit ces lignes volontairement laconiques. Il reprend ici la version officielle qui n’a jamais été mise en doute. Les historiens sont tellement unanimes qu’on n’a plus besoin d’enquêter.  Des Hutu burundais, inspirés par la révolution rwandaise, n’aspirent qu’à se libérer de la domination tutsi. Quoi de plus normal qu’ils prennent des machettes pour couper la tête à ces aristocrates notoires ! 

Tout le monde s’engouffre dans cette brèche offerte par les théoriciens de l’« auto-défense » tutsi, une minorité menacée d’extinction par une foule de génocidaires hutu. Les plus sceptiques imaginent le schéma : provocation – jacquerie populaire mal organisée – répression. Tous finissent par absoudre la réaction disproportionnée de l’Etat. Il n’y a pas eu de génocide. Le Burundi de 1972 a été « aux bords des génocides ».

Nous allons montrer que les faits résistent à cette description. On le sait, « les faits sont têtus ». Notre analyse commence par le contexte général des années 60, puis rappelle la tension qui régnait à Bujumbura les années 69-71 et examine enfin certains faits de mars/avril qui précèdent immédiatement le déclenchement du génocide. Vous verrez que nous avons eu plutôt affaire à la plus grande imposture du 20ème siècle. 

  1. Le contexte général des années 60.
  2.  Des indépendances mal préparées. 

Les indépendances du Congo (1960), du Rwanda et du Burundi (1962) laissent monter au pouvoir des élites peu préparées à la gestion des affaires publiques. La Belgique porte ses responsabilités dans ce domaine, elle qui dirigeait ces territoires sans jamais imaginer qu’un jour ils exigeraient leur entière autonomie. 

Au Congo, en 1965, c’est un Mobutu ambitieux qui émerge des sanglantes luttes éclatées au lendemain de l’indépendance, avec l’élimination scandaleuse de Patrice Lumumba. Les rescapés de la guerre civile du Kivu pèseront sur le Burundi où subsistent des poches de résistance « muléliste » ou « mayi-mayi ».

Au Rwanda, en 1959, le jeune monarque Kigeli V, âgé d’à peine 23 ans, fait face aux revendications populaires. Privé du soutien des colons, il est incapable de prévenir la guerre civile. La monarchie est abolie et la jeune république encore fragile peine à reconstruire la nation. D’anciens hauts dirigeants, déboutés du royaume, s’installent à Bujumbura dans l’espoir ferme de reconquérir le pouvoir à Kigali. 

Au Burundi, c’est le calme avant la tempête. Le Mwami Mwambutsa IV, au trône depuis 1915, exerce un pouvoir incontesté. Mais des nuages pointent à l’horizon. Le prince héritier, chef du parti indépendantiste victorieux aux législatives, est tué par balle en octobre 1961. Trois mois plus tard, en janvier 1962, c’est la chasse aux syndicalistes. L’indépendance se célèbre sous un climat qui ne présage rien de bon.  

  1.  La pression exercée par la présence rwandaise

Au lendemain de la « Toussaint rwandaise » (1959) qui vit l’effondrement de l’autorité tutsi, ce sont des milliers de réfugiés tutsi qui se déversent sur le Burundi. 

Les Tutsi rwandais et burundais s’instruisent mutuellement et secrètent « le péril hutu ». Il faut mater les Hutu avant qu’ils ne montent en puissance et ne s’emparent du pouvoir comme au Rwanda. 

La tension est d’autant plus palpable que les Tutsi rwandais mènent des incursions militaires au Rwanda à partir du Burundi. La dernière expédition (décembre 1963) faillit prendre Kigali et provoqua des vagues d’assassinats et un flux important de nouveaux réfugiés. 

Les Hutu burundais vont le payer cher. En décembre 1964, le premier évêque Hutu nommé, Mgr Gabriel Gihimbare, aumônier militaire de son état, est descendu comme un vulgaire gibier lors d’une partie de chasse. Et en janvier 1965, le premier ministre Pierre Ngendandumwe est abattu par un Tutsi rwandais.

  1.  Le complot hima qui mit fin à la monarchie.

L’assassinat du prince Rwagasore avait été attribué aux princes Batare. Les Bahima vont saisir l’occasion pour gagner la confiance du roi : un long travail d’infiltration de la cour royale. « Micombero épousera la nièce du roi Mwambutsa, tandis que son ami Shibura épousera la fille du très puissant Muhirwa, lui-même gendre du roi. Leur fulgurante ascension ne fut due ni au mérite personnel, ni à une quelconque loterie…mais uniquement au succès du plan d’infiltration de la monarchie finissante pour la miner de l’intérieur. »  Le capitaine Micombero a 23 ans quand il est nommé (par le roi) Secrétaire d’Etat à la Défense Nationale en juin 1963 ! Il sera rejoint par Artémon Simbananiye le 10 septembre 1965 au poste de Secrétaire d’Etat chargé de la Justice. Voilà le noyau hima qui va superviser le coup d’octobre 1965, une répétition grandeur nature du génocide de 1972.

Les législatives du 10 mai 1965 avaient été gagnées par le parti Uprona dominé par    les Hutu. Les leaders Tutsi contestent les résultats. Le roi est absent des mois durant.  Il doit nommer un premier ministre. Pour calmer les tensions, il écarte Gervais Nyangoma, le candidat de la majorité parlementaire, et installe à la primature son secrétaire particulier, le prince Léopold Biha. Un calcul malheureux qui va accélérer la crise et précipiter sa chute. 

Le soir du 18 octobre 1965, le palais royal est attaqué. Un coup de force entouré de mystères comme le décrit si bien Laurent Kavakure. La structure de l’armée et sa chaîne de commandement ne permettait pas aux Hutu d’opérer seuls un mouvement sans éveiller le soupçon. Hutu et Tutsi ont pris une part active à l’attaque. Penser que des Hutu aient voulu prendre le pouvoir et massacrer les Tutsi n’est pas réaliste. 

« L’opinion a eu droit à la seule version du pouvoir en place ou de personnes proches qui en ont attribué la responsabilité exclusive aux Hutu. Par la suite, ces derniers ont été objet d’un génocide qui n’a pratiquement pas laissé de survivant parmi les victimes visées de prime abord ».  

Le roi Mwambutsa est détrôné par ceux-là mêmes qui lui assuraient de veiller à sa sécurité menacée par les Hutu. Le comble de l’imposture : Micombero lui propose de rejoindre Uvira, le temps qu’il ramène de l’ordre en ville. Le roi ne sera plus jamais autorisé à revenir au Burundi !

Nous sommes comme dans un marché de dupes où le roi est le dindon de la farce et les Hutu des boucs-émissaires. 

Micombero est l’architecte de tout le montage. Nous partageons totalement l’analyse de Laurent Kavakure : « Les officiers et soldats hutu qui ont participé à cette tentative de putsch l’ont fait de bonne foi, obéissant à des ordres hiérarchiques. Ils ont participé à un mouvement insurrectionnel dont ils ne connaissaient ni les tenants ni les aboutissants, discipline militaire oblige. Parler de « manipulation » ou de « naïveté » serait manquer de respect à l’égard de ces vaillants militaires. L’assertion selon laquelle les politiciens et cadres hutu auraient été impliqués est tout simplement ridicule. »

L’épreuve passée avec succès, Micombero et son groupe hima en sortent grandis.         Ils vont mener tout le monde en bateau, massacrer librement les paysans de Muramvya, convaincre le jeune Charles Ndizeye à monter au trône contre la volonté de son père et finalement le démettre quelques mois plus tard. A 18 ans, le roi Ntare V n’était pas de taille à tenir tête aux officiers Hima à la haine tenace contre l’institution monarchique. 

  1. Le climat délétère des années 69-71.

La monarchie abolie, Micombero lance sa révolution. Il faut sauver la république. Pour ce faire, il s’entoure d’une équipe de jeunes cadres parmi lesquels émerge la figure du commandant Martin Ndayahoze. Il est dans le cercle restreint des collaborateurs de Micombero. En 1966, il est ministre de l’Information jusque fin 1969. Puis ministre de l’Economie jusqu’en mars 1971. Il occupe également un poste de grande importance, celui de Secrétaire Général du Parti. Hutu de mère tutsi, originaire du centre, il avait épousé une fille rwandaise, en 1967. 

On dit que lors des fiançailles, les notables tutsi exilés au Burundi avaient tenté de dissuader son père d’accorder la main de sa fille à ce Hutu. « Ta fille sera veuve car nous allons bientôt tuer tous ces Hutu. Pense à l’avenir de tes enfants ». Le noble Karambizi, fidèle à son esprit d’ouverture, ne les écouta pas. Cet homme intègre avait été protégé par ses sujets hutu du Rwanda lors de la révolution rwandaise. Ils avaient assuré sa retraite afin qu’il parvienne sain et sauf, avec toute sa famille, à Bujumbura.

Le commandant Ndayahoze, convaincu des idéaux de la Révolution, ne cessera de fustiger les dérives du pouvoir et d’en faire rapport au président Micombero. La liste est impressionnante : le virus du tribalisme, la corruption, les suspicions, le péril hutu, l’apartheid tutsi, les rumeurs de coup d’Etat, la peur…Un de ses rapports a eu un grand retentissement. Il dévoile le projet d’un génocide contre les Hutu. Il est officiellement connu sous le code 093/100/CAB/68 et daté du 18 avril 1968. « Cette élite de demain, prévient-il, qui s’embourbe dans des mesquineries raciales ne sera capable que de mener la nation à la ruine ». On est autorisé à se demander ce qu’en pensait Micombero, le premier destinataire du rapport. 

L’objectif primordial de Micombero est de contrôler tous les leviers du pouvoir. Il sait que pour y parvenir, il devra écarter les Tutsi « banyaruguru » et royalistes, les ennemis de la révolution, et endiguer la classe montante des Hutu qui aspirent au pouvoir. Il va entreprendre deux actions qui sont dans la ligne directe du génocide de 1972.

  1.  Le complot de 1969 : « L’affaire Kanyaruguru »

Sa première cible, ce sont les officiers Hutu de la récente promotion arrivée après les purges de 1965. La plupart rentrent d’Europe où ils étaient allés faire des études. Ils sont promis à des postes de responsabilité. Micombero ne l’entend pas de cette oreille. Il va s’en débarrasser au plus vite. On les accuse d’ourdir un complot contre le Président et d’attenter à la Sûreté de l’Etat. Ce qui donne lieu à des arrestations en masse, à l’emprisonnement et aux tortures, puis à la cour martiale et à l’exécution capitale.    Le monde n’a pas le temps de réaliser ce qui se passe à Bujumbura. Encore aujourd’hui, personne ne veut faire la lumière sur ce drame. 

Les gens sont aveugles et croient à tout ce qu’on leur dit. Ainsi la rumeur va : « On a découvert qu’ils complotaient pour renverser le pouvoir et commettre un génocide sur les Tutsi. A croire que les Hutu ne rêvent que de cela ! Et qu’en plus, ils le font exprès pour se faire prendre la main dans le sac ! Alors, pourquoi ne pas instruire un procès pour que tout le monde sache ? Que des preuves accablantes soient exhibées. Non !      Les Hima préfèrent la discrétion. Ils ont des choses à cacher.

On estime à 500 les victimes de ces massacres où se retrouvent indistinctement officiers et sous-officiers, simples soldats et fonctionnaires de l’Etat.

  1.  Le complot de 1971 : « le dossier Ntungumburanye »

La seconde cible, ce sont les Tutsi « banyaruguru ». Ce sont des concurrents coriaces. Et parmi eux se cachent des monarchistes impénitents qui pourraient faire très mal.  Pourquoi ne pas recourir à la méthode des complots qui a si bien marché en 1969 ? Aussitôt dit, aussitôt fait. N’en déplaise au commandant Ndayahoze ! 

Le 5 juillet 1971, le ministre de l’Information Jérôme Ntungumburanye et le ministre de l’Economie Libère Ndabakwaje sont arrêtés. Pourquoi ? S’agit-il de la lutte ancestrale entre les Bahima du sud et les Banyaruguru du nord ? Ou d’un combat des « républicains » contre des « monarchistes » ? On aime entretenir le flou. Entretemps, les arrestations se multiplient et les prisons se remplissent. 

Cette fois-ci, les détenus sont sauvés. Ils ont droit à un procès public. C’est déjà ça de gagné ! Le 24 janvier 1972, le verdict tombe. Il est implacable même si les Hima auraient souhaité un jugement plus intransigeant. Car quelques inculpés ont été acquittés. Mais le gang des Hima est obligé de céder devant les recours en grâce. 

Micombero fait bon prince. Il élargit tous les condamnés sans exception.                           Ce spectaculaire revirement, jusque-là inconnu au Burundi, dévoile un échec chez Micombero. Il se sait désapprouvé et cherche à sauver son fauteuil présidentiel.                Il s’agira de refaire l’unité entre les Tutsi mise à mal par le procès Ntungumburanye et rassembler le peuple dispersé sous une seule bannière. « Gira amahoro na Micombero yayaduhaye » ! Paix à toi et à Micombero le dispensateur de la paix !

  1.  Vers l’accomplissement d’un génocide planifié.

Le dossier Ntungumburanye a échoué. Micombero et sa bande ont un urgent défi à relever. Ils sont presque acculés devant la pression des Banyaruguru. Ils ne vont pas s’avouer vaincus. Par des intrigues incessantes, ils vont désamorcer la bombe en deux temps. Ce qui leur ouvrira le boulevard vers le génocide, point d’orgue de leur symphonie funèbre.

  1.  L’arrestation de Ntare V

Micombero apprend que le mwami Mwambutsa IV s’est réconcilié avec son fils.            Il subodore une stratégie de reconquête du trône. Surtout que l’aile Tutsi des Banyaruguru  est favorable à la monarchie et que le peuple burundais se souvient avec fierté du Tambour sacré « Karyenda ».

La première cible sera donc la monarchie en la personne du Roi Ntare V renversé six ans plus tôt (1966). L’étude de Jean-Pierre Chrétien et de Jean-François Dupaquier décrit en détail la saga de son arrestation. Nous vous épargnons le détail. Le 30 mars au soir, l’ex-roi atterrit à Bujumbura en provenance de Mbarara sur invitation du président Micombero et avec l’accord du président ougandais Idi Amin. 

Dès qu’il foule le sol burundais, il est privé de liberté. Les communiqués officiels lancés par la radio nationale en kirundi et en français l’accablent : « Il est venu attaquer le pays, accompagnés de mercenaires étrangers… Le Burundi vient d’échapper à un complot impérialiste », vocifère le speaker sans fournir la moindre preuve de cette grave accusation. De Bujumbura, le prisonnier est acheminé directement à Gitega.

On n’a jamais montré ces mercenaires. On n’a jamais décrit ni qui ils étaient, ni quels étaient les moyens déployés pour renverser le pouvoir. 

L’affaire est dans le sac. Premier acte. 

  1.  La rébellion qui se prépare en Tanzanie.

La deuxième cible ce sera ce groupe d’exilés. Une rumeur de plus en plus insistante atteste qu’ils préparent une imminente attaque. Qui sont-ils ? C’est une poignée de fugitifs Hutu rescapés des pogroms de 1965 et 1969. Trois parmi eux sont connus : l’ex-député Ezéchias Biyorero, l’ex-étudiant Celsius Mpasha et son compagnon Albert Butoyi. La Sûreté Nationale envoie des espions pour évaluer leur capacité de nuisance. Elle est nulle. Et ses leaders n’ont pas le charisme de meneurs de peuple. 

On est surpris de constater que les plus hautes autorités du pays étaient bien au courant : Albert Shibura, le ministre de l’Intérieur et de la Justice, André Yanda, le ministre de l’Information et Secrétaire général du Parti, tous les cadres administratifs de la province de Bururi, tous Tutsi hima, sont très informés.  

La situation devient avantageuse : on sait à qui on a affaire. On connaît ses moyens, ses effectifs, ses faiblesses. Et on va s’en servir. 

La solution envisagée par Bujumbura sera radicale. Ce que les rebelles ne savent pas faire, on le fera à leur place. On déclenchera bien une attaque et on la leur attribuera.  Ils seront obligés d’intervenir pour sauver les leurs. Et comme tout le monde s’y attendait, le doute ne sera plus permis. Cela servira de prétexte pour exterminer sans états d’âme tous les Hutu en âge de comprendre.

Tout le dispositif est en place. Fin du deuxième acte. Rideau.

  1. Le soir du 29 avril 1972 : l’accomplissement du génocide.
  2.  La démission du Gouvernement.

A 13h, le président congédie en bloc son gouvernement, les membres des cabinets ministériels et le secrétaire général du Parti. Une telle décision ne peut qu’intriguer. Qu’est-ce qui se passe au Palais ? Surtout que la présidence est au courant de l’imminence d’une rébellion ! N’est-ce pas une façon d’avoir les coudées franches ?   Pour faire quoi ?  Micombero a sans doute une petite idée derrière la tête.

Mais il n’est pas seul. Il y en a qui veillent au grain. Plusieurs décrets présidentiels vont placer le pouvoir aux mains du fameux noyau Hima : la nomination du Procureur général de la République, des gouverneurs militaires et surtout la nomination d’Artémon Simbananiye comme ambassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire qui n’a de compte à rendre qu’au seul président.

Très rapidement, toutes les pièces sont mises en place. L’équipe de choc des Hima de Bururi est là au complet : Albert Shibura, Artémon Simbananiye, André Yanda et les cadres de la JRR (les milices du parti).

Que le gouvernement soit révoqué en journée et qu’en soirée l’attaque des rebelles qu’on attendait soit lancée, c’est trop gros pour faire une simple coïncidence !

  1.  L’identification des assaillants.

La Radio a des instructions précises : semer le trouble dans les esprits pour mieux les manipuler. C’est le coup classique. 

Laurent Kavakure a très bien relevé cet aspect de la tricherie : 

« Le régime Micombero a délibérément créé des confusions à ce sujet et fait des amalgames invraisemblables. De présumés ennemis de la nation étaient désignés au gré des événements : Ntare V, les mercenaires blancs, les impérialistes, les monarchistes réactionnaires, les tribalistes, les mulélistes, une invasion étrangère par un groupe hétérogène de Burundais, de Zaïrois et de Rwandais… »

Pourquoi cette volonté de mentir alors que l’on connaît très bien les assaillants ? Qu’est-ce qu’on nous cache et qu’est-ce qu’on veut nous faire croire ? Il n’y avait, à l’époque, qu’une seule radio, la radio nationale aux mains du noyau Hima. Elle ne touchait qu’une petite tranche de la population, celle des gens aisés. Les rares journaux publics et privés sont paralysés. L’aéroport est fermé et toutes les frontières également. L’équipe à la manœuvre va donc jouer à son aise et rouler dans la farine les auditeurs assoiffés d’information. La rumeur, folle et insolente, fera le reste. Voyons cas par cas les allégations officielles :

  1.  Les forces royalistes 

Contrairement à ce que la radio avait avancé, nous savons maintenant que la ville de Gitega, où Ntare V était séquestré, est restée dans le calme toute la soirée du 29 avril. Aucune attaque ne s’y est déployée. Le mensonge voulait couvrir l’exécution programmée du jeune monarque. Si Micombero n’avait pas voulu l’éliminer, il aurait recueilli sa dépouille afin qu’elle reçoive les honneurs d’un ancien chef d’Etat. Plus tard, dans une interview, il crachera toute sa haine contre le défunt roi. Et si l’on voulait des preuves du régicide approuvé par tous les leaders Hima, demandez-leur où ils ont jeté la dépouille royale. Personne ne veut savoir !

  1.  Les impérialistes, les mulélistes et les réfugiés rwandais

C’est un discours destiné aux étrangers car il ne saurait convaincre les Burundais.        Le Zaïre de Mobutu y a été sensible et a dépêché des légionnaires. La Tanzanie de Nyerere a marqué ses sympathies. Le Rwanda est le seul à avoir fleuré le piège.                Il n’y avait pas d’impérialistes. Il n’y avait pas de Rwandais. Mais plusieurs indices montrent la présence des mulélistes. Nous y reviendrons.

  1.  Les exilés burundais de Tanzanie

Nous avons déjà vu que leur volonté d’attaquer n’était plus qu’un secret de polichinelle. Leur niveau d’organisation était encore faible. On va leur attribuer une logistique qu’ils n’ont pas, élargir leur zone d’action alors qu’ils ne sont qu’une poignée, grossir les effectifs jusqu’à 25.000 assaillants. Vous vous imaginez un déferlement de 25 mille hommes à l’attaque ! Du n’importe quoi !

Les agents de la sûreté et les militaires qui ont évalué leurs forces ne sont pas bêtes. S’ils les avaient trouvés forts et organisés, ils auraient eu le temps et les moyens de parer à l’attaque, de protéger la population et d’installer un dispositif de défense.

Les soi-disant rebelles n’ont tenté aucune diversion dans leur attaque. Ils ont suivi le littoral, exactement là où on les attendait. Pas de surprise non plus quant à  leur équipement : des machettes que les espions de la sûreté avait déjà vu fabriquer…

Il ne faut pas être un stratège pour comprendre que c’est un montage qui ne tient pas la route. Ou alors, le major Shibura devrait passer devant la cour martiale pour avoir failli à son devoir. 

  1.  Les mulélistes d’origine zaïroise

Laurent Kavakure a relevé toute une page où il cite le livre de notre ministre Albert Shibura. Nous n’avons pas eu accès à la documentation. Nous reprendrons                      les références de Laurent. Ce texte a retenu notre attention.

« J’affirme que la majorité des rebelles qui ont massacré la population, le long du lac, n’étaient pas de souche murundi. Avant la tragédie de 1972, très peu de Barundi habitaient le long du lac. En vérité, les montagnards craignaient les maladies endémiques de la plaine. Voyez même les gens de Buhonga préfèrent se percher sur les sommets plutôt que de s’installer dans la plaine.  En 1965, juste avant les sanglants événements, à la demande de l’Etat major de l’armée, j’ai fait une reconnaissance qui consistait à relever les ouvrages sur l’axe Nyanza-Lac-Bujumbura ainsi que recenser les populations qui l’abordent. Il était fort rare de trouver un petit village d’authentiques Barundi. On trouvait des Bafurero, Bashi, Barega etc…Très souvent les gens parlaient leur langue maternelle, le swahili mais très rarement le kirundi ou du très mauvais. Les barundi n’étaient pas et ne sont toujours pas pêcheurs. Pour être pêcheur, il faut vivre de la pêche et de la cueillette. Il faut vivre dans la forêt et l’eau. Notre peuple est agro-pastoral. Le peuple murundi agro-pastoral n’a pas participé au génocide de 1972, sauf quelques extrémistes. 

Pourquoi de si nombreux Zaïrois dans notre plaine ? Ils sont venus d’abord pour pêcher. Ensuite après la défaite de Mulele, les partisans de Soumialot ont fui et se sont installés le long du lac.  En 1972, il y avait plus de 50.000 réfugiés zaïrois le long du lac.

La pratique de la drogue, de fétiche, initiation, tatouage et scarification ne sont pas de la culture murundi. Eventrer une femme enceinte ou manger des organes génitaux d’un être humain ne sont pas de la culture murundi. Nangayivuza est une pratique importée par les gens qui allaient en Uganda et en Tanzanie.

Le cri de guerre mayi mulele qui terrorisait les troupes d’un pays voisin n’a eu aucun effet sur nos troupes, ni sur la population, car, il n’avait aucun sens pour nous (…). J’affirme encore une fois, sans peur d’être contredit, que la très grande majorité des massacres de 1972 était d’origine étrangère ».

Que dire de ce témoignage d’Albert Shibura ? Kavakure y trouve l’expression la plus vulgaire du mépris des Tutsi des hauteurs envers les Hutu de la plaine. Sa lecture est vraisemblablement faussée par la conviction qui est la sienne : les Hutu ont réellement attaqué les Tutsi. Il ne voit pas que Shibura avance le contraire.  Le mensonge Hima a tellement pris chair dans nos analyses que nous ne savons plus nous en défaire. Comme les gens qui n’arrivent pas à se départir de l’idée que le paradis est au-dessus des nuages. 

Quel intérêt aurait le commandant Shibura à décharger les Burundais (entendez ici les Hutu) de l’attaque qu’on leur colle sur le dos ?  Remarquez avec quelle insistance ! Shibura n’est pas n’importe qui. C’est un des témoins majeurs de la scène, avant et après le drame. Quel intérêt aurait-il à s’opposer à la version officielle et à tordre le coup à l’infamante narration qui accable les Hutu ? A notre avis, aucun. Selon toute vraisemblance, Albert dit la vérité. Ne l’oubliez jamais : dire la vérité ça libère le cœur !

De cette déclaration, nous relevons plusieurs points :

3241.La région du littoral où s’est déchaînée la rébellion n’était pas très peuplée par les Hutu encore moins par les Tutsi. Nous savons que les rares Tutsi qui vivaient dans la région étaient surtout des responsables de l’administration locale et quelques enseignants. Si vous voulez tuer des Tutsi, ce n’est pas là que vous irez ! Il faut aller dans les hauteurs où ils ont établi leur demeure.

 3242.Au Burundi, si vous voulez tuer les Tutsi, ne venez pas la nuit. La nuit, tous les chats sont gris. Déjà en journée, on n’est pas sûr de ne pas se tromper entre un Hutu et un Tutsi. Comment s’en sortir le soir dans une cité comme Rumonge, sans éclairage.  Mauvais choix d’heure et de localité pour des Hutu supposés connaître la région et sa démographie.

3243.Les atrocités qu’on a ressassées ad nauseam et qui provoquaient l’effroi, le dégoût et la haine, étaient destinées à convaincre les Tutsi qu’ils n’avaient pas à se gêner lorsque le temps de la répression serait venu. Ce qui, bien sûr, explique les réactions impitoyables de la communauté Tutsi.

3244.Si ce ne sont pas les Hutu qui ont tué ces Tutsi qu’on dit avoir perdu la vie au début des troubles, qui est l’auteur des massacres ? Avant de répondre à cette question, nous avons une autre question qui nous brûle les lèvres. Qu’est-ce qu’on a fait des morts ? Ils étaient nombreux et on les aurait jetés dans des fosses communes ? Que ceux qui les ont ensevelis indiquent à la CVR l’emplacement de ces fosses. Mais est-ce imaginable que des Tutsi aient jeté les leurs dans des fosses communes, humiliation suprême qui était réservée aux Hutu ?

3245.Ou alors, qu’on nous montre ces 50.000 tombes alignées quelque part sur une colline sacrée. On ne peut pas avoir pleuré leur mort, vengé leurs vies affreusement fauchées, sans penser à leur construire ne fût-ce qu’un petit monument à leur mémoire. Ce ne sont pas des œuvres de piété que les Burundais doivent apprendre. On les a vus édifier un mausolée au prince Rwagasore, élever un tumulus à Kibimba, bâtir une chapelle à Buta et j’en passe. Si l’Etat Tutsi-Hima n’a rien fait de semblable, c’est que les morts n’étaient pas Tutsi. Après tout, qui serait venu sur place pour éventer la supercherie ? Un Muzungu ou un quelconque expatrié ? Il n’a aucune idée de la différence entre un Hutu et un Tutsi. Un Hutu aurait pu percer le secret ?  Il n’y avait aucun survivant pour témoigner. Conclusion : exception faite de quelques imprudents, qui n’ont pas été prévenus à temps, ce ne sont pas des Tutsi qui sont tombés sous les coups de machettes. La sûreté nationale a eu le temps d’évacuer les personnes qu’il fallait protéger.

3246. Nous pouvons maintenant revenir à la précédente question (244). Qui a tué les gens dès la tombée de la nuit du 29 avril ? Des tueurs à gages. Dur à imaginer ! Des mulélistes zaïrois à qui la Sûreté burundaise a demandé de simuler une attaque dans le double but d’attirer les exilés campés en Tanzanie et de fournir le prétexte tant attendu d’un génocide bien préparé et mis en œuvre. Le crime parfait !

Que des Hutu se soient spontanément associés à la horde des tueurs, ce n’est pas vrai non plus. Même Jean-Pierre Chrétien se refuse d’y croire. Citant un témoignage publié par le journal belge La Cité, il écrit : « La révolte a fait des victimes tant parmi les Hutus qui ne voulaient pas y participer que parmi les Tutsis… et c’est ensemble que Tutsis et Hutus… résistèrent à leurs assaillants. »

Ce témoignage et beaucoup d’autres corroborent notre thèse : les tueurs ne choisissaient pas leurs victimes. Ils massacraient à l’aveuglette. 

Nous avons un autre indice intéressant pour démontrer la non-implication des exilés burundais censés assoiffés du sang des Tutsi. Que sont devenus les leaders présumés de cette rébellion ? Tous ont coulé des jours tranquilles dans leur exil après l’hécatombe de 1972. Et curieusement, la Sûreté burundaise ne s’est plus intéressée à eux. Pourquoi ? Mystère !

Dans un ouvrage à paraître, des jeunes sont allés interviewer Celsius Mpasha. Ils ont trouvé un homme bien installé dans son exil mais complètement dépassé par les événements. Il ne se rend même pas compte que son nom est inscrit en caractères gras et noirs dans le livre le plus tragique du Burundi.

3247. Enfin qui sont les victimes ? Nous n’allons pas suivre le cynisme des concepteurs du génocide qui donne le vertige. Comment peut-on être pervers jusqu’à ce point ? Les tueurs à gages qui massacraient les passants au hasard et qui pillaient les maisons ont eu le temps de pavoiser. Pourquoi l’armée a-t-elle attendu jusque lundi pour intervenir ? Parce qu’elle savait tout. Que pour faire une omelette, il faut casser des œufs ! Autrement, elle aurait été à Rumonge au plus tard à minuit. Mieux : l’armée aurait dû placer un dispositif de défense depuis la mi-avril ! 

Quand l’armée a jugé que la nouvelle du « génocide des Tutsi » avait fait le tour du pays, et que l’opinion était bien galvanisée, elle a sorti la grosse artillerie et ratissé la campagne. Mitraillettes, hélicoptères, jeeps, tout l’arsenal disponible, mais cette fois-ci tourné vers les Hutu exclus de toute citoyenneté. Le génocide est lancé et fera le tour du pays. 

Quant aux sicaires, ils ne sont pas récompensés ni rappelés au camp. Ils sont broyés sans pitié, jouant jusqu’au bout le sinistre rôle pour lequel ils avaient été payés : celui des rebelles hutu venus de Tanzanie dans l’intention d’exterminer les Tutsi. Ils sont devenus muets comme une tombe et ont emporté leur lugubre secret dans les entrailles de la terre.

  1.  Quelques énigmes encore à résoudre.
  2.  Ils voulaient tuer tous les Tutsi du Burundi. 

Nous accorderions crédit à cette lourde accusation si la rébellion avait montré qu’elle disposait d’une vraie logistique : des armes à feu, des véhicules pour transporter           les troupes, des agents compétents pour encadrer les territoires conquis. Or qu’est-ce qu’on voit ? Rien de tout cela. Des crédules se plaisent à relever l’ignorance des leaders Hutu. Certains auteurs s’empressent de ridiculiser les Hutu et leur collent la paternité d’une jacquerie paysanne, spontanée et irréfléchie. Ils ne se rendent pas compte qu’ils participent au génocide. Car il s’agit de déshumaniser le Hutu, de le réduire à l’état d’une machine à tuer, à violer et à éventrer les femmes Tutsi sans défense. Une fois dépouillé de sa nature humaine, on l’écrasera sans pitié ! Ces chercheurs concluent candidement que les Hutu sont bêtes. L’histoire de l’arroseur arrosé !

3252. Tous les Hutu étaient complices. 

Nous avons déjà vu combien les Hutu de la région du sud ont résisté sans armes à l’envahisseur acceptant de mourir avec les Tutsi. Ce n’est pas une exception. Nos parents avaient fini par croire que leurs enfants, encore à l’école secondaire, avaient cessé d’étudier pour faire de la politique. Et que c’est pour cela qu’on les arrêtait pour les punir. On leur avait sans cesse répété que faire de la politique, c’est criminel ! C’est détourner les fonds de l’Etat. Et c’est vouloir assassiner ses adversaires. Certains ont même poussé leurs enfants à se dénoncer : ils avaient déserté l’internat avant la fin de l’année scolaire. Ironie du sort ! Les parents ont péri avec leurs rejetons.

Et dans le sud, quand l’armée est arrivée, c’était pour massacrer les survivants Hutu !

Si les Hutu avaient eu la moindre information concernant une attaque visant à massacrer les Tutsi, la plupart se seraient désolidarisés. Car, dans le Burundi profond, la cohabitation entre les Hutu et les Tutsi était sans faille. Les tensions que regrettait amèrement le commandant Martin Ndayahoze se limitaient à quelques cadres de l’administration. 

Le génocide de 1972 a créé une déchirure profonde dans la société burundaise et nous n’avons pas encore fini d’en payer les conséquences.

Si les Hutu avaient eu la moindre information concernant une attaque visant à massacrer les Tutsi, très probablement, le plan du génocide conçu par le groupe Hima aurait lamentablement échoué. Car personne ne se serait prêté au jeu des arrestations. Ces jeunes Hutu et ces hommes mûrs qui étaient dans l’armée et dans l’administration centrale ne se seraient pas laissé faire sans réagir. Mais ils n’avaient jamais eu vent d’une quelconque organisation travaillant en ce sens. La preuve : nulle part on n’a eu de scènes de révolte. Aucun militaire tutsi, aucun administrateur, aucun milicien n’a été blessé lors des quotidiennes descentes dans les quartiers populaires et sur les collines. 

Beaucoup ont refusé de se cacher car ils ne se reprochaient de rien. Fiers de leur innocence au regard des accusations qui étaient proférées contre les prisonniers, ils sont restés ouverts à l’autorité, et stoïques dans l’adversité. Ils disaient à leurs proches : ce n’est qu’un malentendu. Je vais m’expliquer et je vous rejoins. Depuis le jour où ils sont partis, on ne les a plus revus.

3253. La rébellion est parvenue aux portes de Bujumbura et de Gitega.

Nous avons déjà vu que la ville de Gitega n’a pas été inquiétée par les soi-disant rebelles. En revanche à Bujumbura, il y a eu quelque chose de bizarre. 

Un témoin nous a dit qu’effectivement certains boulevards étaient assaillis de bandes incontrôlées qui arrêtaient les rares voitures du samedi soir. Pas un mot de kirundi. Des étrangers. 

On saura plus tard que c’étaient des mercenaires mulélistes, venus expressément de Bukavu, sur commande du ministre Shibura. Ceux-ci avaient mission de semer la diversion en ville. Ceux qui avaient attaqué Rumonge au sud devaient, quant à eux, simuler l’attaque des rebelles à la poursuite des Tutsi. Ils ont tué sans distinction.

Selon les informations dont nous disposons, les Tutsi de Bujumbura n’ont pas eu à s’inquiéter outre mesure. Si cela avait été le cas, on les aurait croisés sur les routes de l’exil. Le seul Tutsi qui a perdu la vie, c’est le capitaine Kinyomvyi, de la garde présidentielle, envoyé par ses supérieurs dans un guet-apens pour faire croire que le président était en danger et que l’ennemi était déjà au cœur même de la cité. Mise en scène, quand tu nous tiens !

Vous direz que c’est exagéré ? Pourquoi, à votre avis, le capitaine Kinyomvyi, mort pour la patrie, n’a pas eu de sépulture digne de sa mémoire et qu’il aurait fini dans le monument dédié au soldat inconnu ? Nous espérons nous tromper et qu’on pourra nous montrer sa tombe.

3254. Les rebelles avaient un drapeau et une monnaie.

Que les rebelles arboraient un drapeau de la « République du Soleil » et qu’ils avaient eu le temps de frapper une nouvelle monnaie ? Rien que du vent ! Qui a saisi ce drapeau pour nous le montrer et pour savoir dans quel atelier il a été confectionné ? Qui a conservé ces pièces de monnaie pour qu’un jour on poursuive la société qui les a livrées ? Et comme on dit, le mensonge prend l’ascenseur pendant que la vérité emprunte l’escalier. Mais elle finit par arriver.

Conclusion.

Pour clôturer notre analyse, il nous plaît de rappeler ce mot d’Alain Berberian : « On peut tromper une personne mille fois, on peut tromper mille personnes une fois, mais on ne peut pas tromper mille personnes mille fois ».

Quarante-huit ans après les faits, la vérité va bientôt à s’imposer. On nous avait roulés dans la farine. L’émotion aidant, nous avions refusé de voir la vérité en face, tellement on nous avait manipulés et tellement nous avions honte du crime de nos aînés alors qu’ils étaient innocents. Il n’y a pas eu de rebelles Hutu qui ont attaqué le sud du Burundi le soir du 29 avril 1972. C’est une imposture sortie tout droit des ateliers des planificateurs du génocide.

L’heure de la vérité a sonné ! Les fosses communes commencent à parler et le monde ne saurait continuellement se boucher les oreilles. Un terrible génocide a été conçu, planifié, exécuté et occulté par les gouvernements Tutsi-Hima qui se sont succédé au Burundi quarante ans durant.

Les nombreuses victimes réclament vérité, justice et réparation. Que ce qui s’est passé en 1972 soit pleinement reconnu comme un génocide commis contre les Hutu. Cela leur permettra de faire le deuil et de purifier la mémoire de leurs parents de l’opprobre qu’on a toujours voulu leur coller sur le dos. 

Le Burundi profondément blessé cherche la guérison. Vaillamment il se relève et veut se reconstruire. Par notre ouverture à la vérité, offrons-lui la chance d’une paix réelle et d’un développement durable.

Abbé Daniel Nahimana

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1 Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier, Burundi 1972. Au bord des génocides, Editions Karthala, paris 2007, Page 19

Laurent Kavakure, Le conflit burundais II, La tragédie de 1972, Editions du Centre Ubuntu, Genève 2002, page 19

2 Jean-Marie Sindayigaya, Grands-Lacs : Démocratie ou Ethnocratie ? L’Harmattan, Paris 1998, page 122.

3 Antoine Kaburahe, Hutsi, Au nom de tous les sangs, Editions Iwacu, Bujumbura 2019, p.42

4 Le seul qui se soit méfié de cette lecture nous semble être Augustin Nsanze, Burundi : Le passé au présent. Tome 2. La république contre le peuple (1966-1993), Nairobi 1998. Les autres acceptent le récit officiel sans se méfier : R. Lemarchand, J-P Chrétien, B. Kiraranganya, M. Manirakiza etc…

5 Voir les travaux de Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier.

6 JM Sindayigaya, op.cit. page 186

7 Laurent Kavakure, Le conflit burundais I, Les coups des années 60, Editions du Centre Ubuntu, Genève 2002, page 95

8 Laurent Kavakure, op.cit. page 116.  Les figures les plus importantes sont Joseph Bamina, ex-premier ministre et président du Sénat, Paul Mirerekano, cofondateur de l’Uprona et2ème vice-président de l’Assemblée nationale, Gervais Nyangoma, ex-ambassadeur à l’ONU et directeur général au Premier Ministère. Total des suppliciés : 50 mille.

9 Laurent Kavakure, ibidem, page 117

10 Les Tutsi rwandais ne bluffaient pas. Le cdt Ndayahoze sera arrêté et mourra sous la torture le 30 avril 1972.

11 Rose Karambizi-Ndayahoze, Le commandant Martin Ndayahoze. Un visionnaire, Editions Iwacu 2016, pp 26-31

12 Les noms les plus célèbres sont : les commandants Charles Karorero et Nicodème Katariho, le capitaine Mathias Bazayuwundi, les civils Ferdinand Bitariho, ancien ministre des Finances, Joseph Cimpaye, ex-premier Ministre et achevé en prison en 1972, Dr Cyprien Henehene, André Kabura, plusieurs fois ministre, Barnabé Kanyaruguru, ex-ministre du Plan.

13 Cfr Jean-Pierre Chrétien, op. cit. page 56 et suiv.

14 Idem, pp 75-77

15 Idem, p 118

16 Idem, p. 83

17 Laurent Kavakure, op. cit. page 45

18 Chiffre avancé par le pouvoir.

19 Albert Shibura, Burundi. Témoignages, inédit, Bujumbura 1993, page 109, cité par L. Kavakure, Le conflit burundais II, La tragédie de 1972, page 47. C’est nous qui soulignons. 

20 La guerre des chiffres : « De sa part, Micombero, cité par Colin Legum, a parlé de 50.000 Tutsi tués, affirmations qui ont été démenties par les missionnaires qui ont fait fuir les survivants, qui ont estimé que le chiffre des tués atteindrait un maximum de 2.000 personnes avec possibilités qu’il descende jusqu’à 500 ». Jean Ngendanganya, Incidence des conflits ethniques sur l’intégration nationale au Burundi (de 1959 à mars 1977), Mémoire UNAZA, Lubumbashi, juillet 1977, p.96 cité par Laurent Kavakure, op.cit. p 57

21 Jean-Pierre Chrétien réfute cette éventualité. Ce qui n’est pas notre cas, vu les nombreuses incohérences de la version officielle.

22 Jean-Pierre Chrétien, op.cit. page 101

1 COMMENT

  1. […] exécuté, d’autres refusant, craignant de graves répercussions. Le soir, entre 20 et 21 heures, Bujumbura raisonne de tirs. Les hutus se sont rebellés et ont investi la ville avec l’aide d’anciens rebelles mulelistes […]

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