Chut ! On n’insulte plus, on « parle » français…

Il ne cessera donc jamais d’étonner et son peuple et ses amis d’hier qu’il s’ingénie aujourd’hui à traîner dans une boue désobligeante. Vingt ans après une victoire que l’Occident lui a aveuglément offert sur un plateau, on le croyait apaisé ; on voulait surtout croire que sans être obligé d’oublier, il allait tourner une page : celle de l’invective gratuite et permanente, mais surtout celle de l’usurpation d’un malheur. Il n’en est rien du tout. L’ex-maquisard du Front patriotique rwandais n’a donc rien perdu de la capacité de nuisance que lui confère les clichés qui parent son monde irréel et personne, même son mentor Museveni, ne semble en mesure d’arrêter les délires qu’il débite à chaque grande occasion. De ce fait, la démonstration faite par Kagame ce 7 avril, fait rebondir l’atmosphère socio-politique de son pays de deux décennies en arrière.

Le maillon faible (France) et le nain (Belgique), écrivais-je ici il y a encore une année. Vingt ans se sont donc écoulés depuis Ishyano et toujours la même rengaine : ces deux pays ont joué un rôle très important dans le drame rwandais de 1994. Qu’y a-t-il donc de nouveau dans cette demi-vérité accusatrice ? Eh bien, pour la toute première fois, le bouchon est poussé trop loin : après un intermède négocié par l’éphémère et trop pédant Kouchner ainsi que les innombrables courbettes et autres ménagements de la diplomatie belge, le couperet est maintenant tombé. Sans appel. « Jusqu’à la fin des temps, je ne vous lâcherais jamais », a semblé dire le dictateur Kagame à ses deux partenaires occidentaux. Même la pourtant inconditionnelle supportrice du Soir n’en revient pas (voir son édito du 7 avril). Le problème avec une demi-vérité toutefois, c’est que, par définition, elle renferme toujours un demi-mensonge et ce dernier est occulté depuis au moins 1994.

Demi-mensonge : les responsabilités ne se trouvent que chez les autres ! Les faits sont têtus, tonnait l’autre, fier de lancer une pique dans une langue qu’il avait jusque-là rechigné à parler. Un détachement des fameux marines américains languissaient à Bujumbura dès le 6 avril. Ils n’ont personne sauvé. C’est un fait. Le Brigadier général Anyidoho du bataillon ghanéen et Deputy Force Commander and Chief of Staff de la Minuar fut « prié » de quitter Byumba en 24 heures. Il s’exécuta. C’est un fait (relaté par le concerné dans Guns over Kigali). Enfin, le Fpr, par la voix d’un de ses ténors, a affirmé qu’il n’était pas la Croix-Rouge. C’est un fait. Tout cela sans parler de l’habileté de Kagame à cacher son rôle dans l’acte terroriste du 6 avril qui a servi de signal aux Interahamwe (infiltrés – c’est aussi un fait – par les techniciens de Kagame). Appuyer donc insidieusement sur la culpabilité des uns en omettant sciemment ses propres responsabilités disqualifie résolument Kagame et son imposture par rapport à quelque accusation que ce soit.

Il y a cependant lieu de se réjouir de ce nouveau comportement présidentiel : jadis, lorsqu’il éprouvait une de ces furies, Kagame se mettait à proférer des insultes tirées d’un lexique inconnu des Rwandais qui se veulent dignes (agaciro, vous savez…). Aujourd’hui, il parle français ! Comme hier, pour feinter son courroux à l’égard des Français et des Belges. C’est déjà ça de gagné. Double message : démasqué par les Anglo-saxons qui en ont marre de son entêtement (piggish and ungrateful, dit-on de lui), Kagame a voulu revenir à ses fondamentaux : diaboliser un ennemi extérieur tout en faisant presque la cour aux rescapés francophones à l’égard desquels il n’avait qu’un dédain allant jusqu’à les sommer de garder leur peine dans un frigidaire. En gros : ceux qui m’ont soutenu me renient et ceux avec lesquels j’ai combattu me fuient, faisons donc un U-Turn vers ceux que nous ignorions jusqu’à présent, les vraies victimes du génocide. Cajolons-les par nos diatribes anti-Occident. Il n’est pas si obtus que ça…

Et comme par un banal hasard, Kagame s’en est pris aux Occidentaux pendant que son parrain, l’Ougandais Museveni, s’apprêtait à pester contre des Africains qu’il a nommés « traitres ». Dans ce qui a semblé être plus un cours d’ethno-histoire que ses habituels soliloques pseudo-nationalistes, le Vieux Kaguta a tout falsifié (Gregoire Kayibanda whom they had trained in their seminaries in Europe ?) jusqu’à étaler sa suffisance traditionnelle. « We are now much stronger in every sense of the word: politically, militarily, socially and economically », a-t-il assuré. Quelle périphrase! Tout ça pour dire qu’«ils» sont en fin de course et que pour le cacher si bien, ils crient très fort à la manière des bêtes blessés qui veulent éloigner ou retarder un danger imminent. Much stronger… Qu’est-ce à dire ? Que sa sénilité va le sauver ? Celui qui n’a pas su faire face à quelques lobbies gay veut donner la leçon aux Rwandais, c’est ça ? Le vrai problème de M7, c’est qu’il se croit toujours dans les années 90, tout au faîte de sa gloire.

« Un diarrhéique n’a jamais pu sauver quelqu’un qui vomit » (adage rwandais). Dans le rôle du premier, Museveni ne peut absolument rien pour son disciple. Après leur déroute du Kivu, tout indique que les deux compères ne sont plus vraiment dans les bonnes feuilles de leurs employeurs. Ne touchez pas à vos constitutions, leur a-t-on d’ailleurs intimé l’ordre tout récemment. Ce mois d’avril leur a donc offert une tribune idéale pour obtenir beaucoup plus d’écho à leur nervosité et frustration. En attendant le discours tout aussi attendu au mois de juillet. Comme l’a donc dit Edgard Faure un jour, « ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ». Preuve par la pression subie par les deux : l’un sur les dossiers Soudan du sud (et les homosexuels), l’autre sur ceux ayant trait au manque d’espace politique (et son banditisme transfrontalier). Alors, l’exercice de transfert sémantique auquel l’un et l’autre se sont adonnés en ce moment de deuil n’est juste qu’un effet de l’entêtement et ça aussi, c’est un fait. Comme quoi, l’autotomie de deux régimes se poursuit…

Cecil Kami