Complexité de la crise burundaise : qui sera le « dindon de la farce » ?

Depuis mi- avril 2015, le Burundi vit une crise politique et militaire sans précédent. Tout est parti de l’interprétation de certains articles de la Constitution et de l’Accord d’Arusha quant aux mandats et au mode de scrutin du président de la République. Le mandat de 5 ans  que Pierre Nkurunziza entamé en 2010 devant s’achever cette année, celui-ci estime qu’il peut se représenter pour un autre mandat  n’ayant été élu qu’une seule fois ( en 2010) au suffrage universel comme le stipule la Constitution. Par contre, ses opposants sont d’avis qu’étant au pouvoir depuis 2005 quand il fut élu par le parlement, il ne peut plus se représenter pour un nouveau mandat qu’ils considèrent comme le troisième donc contraire aux dispositions de la Constitution.

Echos inattendus et difficilement compréhensibles

Jusque là, on pouvait logiquement s’attendre à ce que la Cour Constitutionnelle du Burundi pouvait trancher dans ce débat juridique étant justement la seule habilitée à donner une interprétation de la Constitution. Mais, sans même attendre que cette Cour soit saisie par eux-mêmes ou par d’autres corps politiques, les opposants commencèrent des manifestations violentes dans certains quartiers de Bujumbuara. Même quand la Cour Constitutionnelle saisie par le Sénat rendit son arrêt, les opposants l’ignorèrent et même dénoncèrent cette Cour qui pourtant jusque là faisait le consensus entre tous les protagonistes. Paradoxalement, la presse internationale fut un écho démesuré de ces manifestations en les couvrant à la minute et en grossissant et les effectifs et les faits sur le terrain. Pire encore, le Conseil de Sécurité des Nations Unies se réunit pour donner une interprétation des dispositions de la Constitution du Burundi allant dans le sens de la thèse des opposants. Du jamais vu dans les annales de l’ONU qui compte plus de 180 Etats membres aux Constitutions diverses. Le Conseil de Sécurité ne pourrait pas se substituer aux Cours Constitutionnelles de ces Etats, mais pour le cas du Burundi, une Résolution donnant une interprétation de la constitution a été rejetée in extremis par cette institution internationale.

Effets d’annonce

Comme pour alerter le monde que la situation au Burundi était dramatique, dès le lancement de ces manifestations à Bujumbura, des milliers de simples citoyens habitant les zones frontalières du Rwanda, à l’autre bout du pays, furent invités à fuir vers ce pays où les bus et les camions chargés de rations alimentaires déjà conditionnées les attendaient . Chose extraordinaire, ces curieux « réfugiés » ont même obtenu le statut de réfugiés de manière collective sans passer aucune interview individuelle comme le prescrit le HCR. « Last but not least », ils seraient majoritairement issus d’une seule ethnie : celle qui règne au Rwanda depuis 1994 !

Spectre du Rwanda d’avant avril 1994

Comme au Rwanda  d’avant avril1994, des « témoins-clés » présentés comme des hauts cadres des services de renseignement du régime sont sortis de nulle part pour affirmer qu’ils font partie de ceux qui distribuent des armes aux jeunes du parti au pouvoir et font des caches d’armes et de munitions en vue des prochaines massacres. Ces « révélations » ont curieusement faites par les avocats de Paul Kagame dans le dossier judiciaire de l’attentat du 6 avril 1994. Les témoignages accablants qui chargent la jeunesse du parti au pouvoir et à travers elle tout le pouvoir du CNDD-FDD sont acheminés directement à l’ONU à New York, comme les fameux témoins du Général Dallaire en 1994 signalés par le fameux fax qui se révélera plus tard, lors des procès devant le TPIR à Arusha, être un faux. Mais la messe avait déjà été dite.

Autres coïncidences : ces révélations sont relayées dans la presse par les mêmes journalistes qui, en 1994 en se targuant d’être des spécialistes du Rwanda, ont désinformé le monde sans être contredits. Le procédé est le même : diabolisation du parti au pouvoir, fabrication de faux témoignages accablants, recrutement d’aventuriers qui vont s’accuser de ces crimes en échange d’argent ou d’asile, accusations en miroir…en attendant de s’en servir le moment venu. Déjà dans la presse rwandaise, la propagande bat son plein pour accréditer la thèse que les FDLR seraient au Burundi à côté des forces de Nkurunziza. Quand on sait que même la MONUSCO estime que l’effectif de ces FDLR n’atteint pas 1500 combattants, mal armés, physiquement affaiblis et traqués par l’armée congolaise tout comme les troupes de l’ONU, on se demande comment le régime Nkurunziza, accusé par ailleurs d’avoir enrôlé des jeunes de son parti en leur distribuant armes et uniformes, aurait besoin de recourir à quelques dizaines de Hutu rwandais pour assurer sa survie, comme s’il en manquait au Burundi.

Etude du coup d’Etat  avorté du 15 mai 2015

Le 15 mai 2015, un général qui venait d’être limogé de son poste de Chef des renseignements a annoncé sur les ondes d’une radio privée que le président Nkurunziza venait d’être destitué. Ce denier était en dehors du pays plus précisément en Tanzanie pour un sommet régional. Après quelques heures d’euphorie des opposants et d’une certaine presse internationale, la déception fut autant plus forte quand les putschistes eux-mêmes ont déclaré que leur coup avait échoué. Sans entrer dans les détails de ce nième coup d’Etat dans ce pays, on peut considérer que son échec est dû : soit à la baraka de Pierre Nkurunziza, soit à l’amateurisme des conjurés ou alors que ce n’était qu’un coup d’essai de ceux qui tirent les ficelles et qui vont récidiver, mais cette fois-ci pour en finir avec ce régime.

Alliés objectifs mais aux intérêts et buts divergents

La crise actuelle a révélé une convergence et une alliance objective entre trois entités dans le combat pour renverser le régime burundais : les opposants politiques au CNND-FDD, les « activistes » ou ceux qui se cachent derrière ce paravent ainsi que la Superpuissance mondiale (et ses sous-traitants) dans ses prérogatives de redessiner politiquement et pourquoi pas géographiquement la région.

Seulement voilà : ces trois acteurs n’ont pas de but commun et chacun entend faire aboutir ses désirs ou revendications. Les opposants au régime qui, pour la plupart ont gouté aux délices du pouvoir pendant la longue période de transition quand il suffisait d’avoir un parti politique, même sans adhérents, pour obtenir un maroquin ministériel, ne rêvent qu’à restaurer ce beau vieux temps. Ils comptent exiger un partage du pouvoir avec le parti CNDD-FDD pour faire cesser le chaos.

Quant à ceux qui sont présentés comme des activistes, ils ont un autre agenda. Ils comptent sur ce mouvement insurrectionnel pour diaboliser le régime et pour le provoquer suffisamment pour qu’il riposte. Les confrontations seraient alors présentées comme des massacres à grande échelle, voire de « génocide », ce qui justifierait une intervention armée pour chasser les tenants du régime « génocidaire », le bannissement non seulement du parti CNDD-FDD mais aussi des autres partis issus de la mouvance démocratique d’après octobre 1993. Les opposants actuels se retrouveraient donc dans le même sac que les partisans de Nkurunziza. Un tribunal international serait alors créé pour les traquer partout où ils auraient réussi à fuir.

La Superpuissance ( et ses sous-traitants) est pour sa part préoccupée par le mauvais exemple démocratique que constitue le Burundi face au régime atypique qu’elle a installé au Rwanda voisin ( des pays jumeaux).Tout sera donc fait pour rééditer les événements du Rwanda de 1994 au Burundi afin d’y installer aussi un régime « fort » et non critiquable car puisant sa légitimité dans « l’arrêt d’un génocide »

Enjeu : Pierre Nkurunziza ou le système démocratique en vigueur depuis 2005 ?

Il serait simpliste et naïf de croire que l’enjeu de la lutte actuelle serait la personne de Pierre Nkurunziza. Après tout, le pauvre président est définitivement condamné, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, il est victime de se trouver « au mauvais endroit (la présidence), au mauvais moment (quand on est en train de redistribuer les cartes dans la région). La parenthèse démocratique risque d’être définitivement fermée. Le Hutu burundais sera alors stigmatisé à jamais car il lui sera collé l’étiquette de « génocidaire » et il ne vivra au Burundi que comme « Hutu de service » que l’on pourra ou non associer au pouvoir selon sa docilité, mais sans plus jamais rêver le contrôler.

En fin de compte, dans cette tragédie qui est en train de se jouer, le dindon de la farce sera les opposants hutu au régime du CNDD-FDD dont le sort sera comme celui des opposants hutu au régime Habyarimana au Rwanda en 1994, qui ont porté le FPR sur leurs épaules mais aujourd’hui qui broient du noir soit dans des pays d’exil soit dans les prisons des Nations Unies.

Zédoc Bigega,
EdA Press