Conférence internationale organisée par le CRC à Montréal le 27 septembre 2014

Rwanda : Le deuil des morts, le souci des vivants,
20 ans après le génocide.

Dans la droite ligne des grandes conférences organisées par le Congrès rwandais du Canada
depuis plus de quinze ans maintenant, – comme celle avec le député européen Jan Van Erps
et Mme Martine Syoen en 1998, celle de Charles Onana et Dr Melchior Mbonimpa en 2004,
celle de M. Paul Rusesabagina en 2006, celle de Mme Marie Béatrice Umutesi en 2007, celle
avec Pierre Péan, Me Jordi Palu en 2008, sans oublier bien sûr celle de Mme Victoire Ingabire
en 2009 ou encore celle avec le documentariste Arnaud Zajtman et le professeur Stephen
Smith, en juin 2012 –, la conférence du 27 septembre 2014 en fut une de haut vol et d’un
niveau académique remarquable.

C’était sans surprise d’ailleurs, car les panélistes étaient de grands calibres, choisis en fonction
de leurs qualités de chercheurs et même d’experts dans le cadre des sujets qu’ils ont
développés relativement au drame rwandais et ses prolongements notamment dans la région
des Grands Lacs africains.

Les débats étaient dirigés par Mme Judi Rever, une journaliste indépendante de Montréal,
ancienne correspondante de Radio France Internationale, Agence France-Presse et Reuters;
auteure de plusieurs reportages sur la RDC, le Rwanda et de nombreux autres pays africains.
Elle a également à son actif le site Web « Rwanda Witness » très documenté sur les conflits
récents au Rwanda et en RDC.

Les thèmes du jour ainsi que le titre de la conférence avaient été choisis à dessein pour
amener les Rwandais à prendre une pause et réfléchir ensemble sur le passé et l’avenir de leur
pays d’origine 20 ans après le génocide de 1994.

Bien entendu, on ne reprendra pas in extenso les exposés des thèmes développés par les 4
conférenciers, mais, comme on vient de le voir, ces panélistes ont été à la hauteur des attentes
des participants dont le nombre était de l’ordre de 200 personnes.

Comme à l’accoutumée, chaque exposé était suivi par une période des questions et le public
s’en est donné à cœur joie! Et comme on pouvait s’y attendre également deux tendances se
sont clairement dégagées selon que les intervenants soutenaient les politiques de l’actuel
régime au pouvoir à Kigali ou, au contraire, exprimaient des opinions opposées à ce régime. Le
public qui n’avait pas choisi de prendre la parole s’exprimait par des applaudissements plus ou
moins nourris pour marquer son accord avec l’intervenant ou gardait un certain mutisme à
l’endroit de ceux dont il ne partageait pas l’opinion ou la manière. Pour ce qui est de la
manière, on déplorera cependant une certaine arrogance et intimidation chez certains
intervenants.

Thème I : Rendre justice après les massacres de masse

Mme Géraldine Faes, ancienne rédactrice en chef de l’Agence Hirondelle à ARUSHA, a présenté
quelques modèles de justice qui ont suivi des massacres de masse. Ces modèles auraient pu et
pourraient encore inspirer les Rwandais pour les aider à aller au-delà du génocide et passer au
chapitre d’une véritable réconciliation.

 Le modèle de justice répressive. C’est la justice des vainqueurs sur les vaincus. Un
exemple de ce modèle est le tribunal de Nuremberg qui a jugé les Nazis après
l’Holocauste. Mme Faes a tenu à souligner le fait que toute la population allemande
n’était pas collectivement considérée comme étant Nazie.
 Pour le modèle de justice réparatrice/réconciliatrice, Mme Faes a donné l’exemple
de l’Afrique du Sud qui a mis en place une commission-vérité et réconciliation
grâce notamment aux enseignements de Mgr Desmond Tutu. Les auteurs de crimes qui
acceptent de confesser publiquement leurs forfaits ne sont pas poursuivis. S’en suit
alors la phase de réconciliation. Les tribunaux gacaca du Rwanda sont basés sur le
modèle d’une justice réparatrice/réconciliatrice, puisqu’ils sous-tendent
théoriquement l`idée d’une réconciliation nationale.
 Le modèle de justice amnésique fait table rase des crimes commis par les deux
parties en conflit. En fait on oublie tout! Ce fut le cas au Mozambique où l’on a décidé
de renoncer à toute poursuite. En fait, tout se passe comme s’il n’y avait pas eu de
crimes commis.
 Mme Faes a parlé également du modèle de justice réhabilitative. Ici les coupables
sont considérés comme des malades qu’il faut soigner et guérir, avant de les réintégrer
dans la société.
Les questions et les réponses étaient centrées principalement autour du génocide, la
réconciliation et les tribunaux gacaca.

Thème II : TPIR, une justice en otage

Le professeur Luc Reydams de l’Université Notre Dame, USA, s’est d’abord excusé pour son faible
niveau de français qui manifestement rendait son exposé un peu difficile à suivre pour certains
dans le public. Son livre « The International Prosecutors » est un condensé de plusieurs années de
recherche et d’analyse de données de douze tribunaux internationaux et de tribunaux hybrides, de
Nuremberg à la CPI. IL a parlé de ses travaux de recherche en cours dont il a présenté une partie,
qui constitue le 2ème chapitre de son livre qui sortira bientôt. Ce 2ème chapitre traite d’un livre
étrange de 750 pages, écrit en seulement 4 mois et publié en septembre 1994 par une ONG
formée de deux personnes, sans aucune expérience ni formation en matière d’investigation et qui
a été distribué à tous les procureurs au TPIR. C’est une brique de couleur noire et pour cela, le
conférencier l’a appelé le « livre noir ». Avec le fameux bestseller de Philip Gourevitch (We Wish
to Inform You That Tomorrow We Will Be Killed with Our Families), « le livre noir » constituait une sorte de bible pour les avocats et les magistrats au TPIR. A votre arrivée au TPIR, raconte M. Reydams, on vous remet les deux bouquins et vous demande de les lire avant toute chose!

Pourtant son auteur, – qui ne connaissait aucun mot en kinyarwanda –, prétend avoir interviewé
des dizaines de personnes et qu’elle écrivait ses témoignages à la main. Il allait ensuite faxer ses
interviews à son collègue de Londres à partir de l’Ouganda! Le prof Reydams a expliqué que,
normalement, pour des enquêteurs formés et expérimentés, recueillir des témoignages dans une
zone en paix (pas de guerre ni d’autres complications procédurales), les analyser et les rassembler
dans un document cohérent, cela prend des milliers d’heures de travail par une bonne équipe.
L’exemple d’un tel travail est le livre publié par Human Rights Watch sur les mêmes évènements,
mais dont le travail a duré 5 ans (livre publié le 31 mars 1999, « Aucun témoin ne doit survivre »).

La période des questions fut un peu animée notamment à cause du fait que le professeur
Reydams n’avait pas voulu révéler le titre et le nom des auteurs lors de son exposé. Il voulait,
disait-il, prendre ses précautions étant donné qu’il continue à travailler sur ce dossier. Finalement,
on a su qu’il s’agissait de « Death, Despair and Defiance » écrit par African Rights une ONG
dirigée par Rakiya Omaar et son collègue londonien. Le deuxième chapitre du livre de Mr.
Reydams a pour titre : Justice NGO: African Rights et la poursuite de génocidaires.

La deuxième partie de la conférence après la pause a traité de la gouvernance
post-génocide et le rôle de la communauté internationale auprès des autorités
rwandaises.

Thème III: La gouvernance dans le Rwanda post-génocide

Ce fut le tour du professeur Filip Reyntjens (Université d’Anvers, Belgique) à prendre la parole
pour parler d’un sujet qu’il maîtrise parfaitement lorsqu’il est question du Rwanda et de sa
gouvernance.

Le prof. Filip Reyntjens a enseigné à l’UNR depuis 1976 et a consacré plus de 35 ans d’études sur
le Rwanda et la région des Grands Lacs africains. Il a écrit plusieurs livres sur les événements
survenus dans cette région et sort mensuellement des articles et chroniques très appréciés des
chercheurs sur ladite région.

Son plus récent livre « Rwanda, gouverner après le génocide » était au centre de sa
conférence. Rien à redire, Filip Reyntjens était égal à lui-même! Il a montré et démontré de façon
magistrale sa très grande connaissance du dossier rwandais, des acteurs principaux d’hier et
d’aujourd’hui et a mis en évidence les fissures très profondes de l’actuel pouvoir de Kigali. Il a mis
également en évidence les deux faces de la gouvernance actuelle du Rwanda. Il y a celle officielle,
très technocratique et qui est mise en promotion par les Bill Clinton, Tony Blair et autres Rick
Warren. C’est un Rwanda prospère et propre. L’autre face quant à elle contraste énormément avec
la première. C’est celle d’un Rwanda gouverné de main de fer, avec la terreur. Il s’agit d’un pays
sans liberté d’expression, avec des violations massives des droits de la personne, des assassinats
politiques intra et extraterritoriaux, bref un pays où un petit groupe au pouvoir exploite toujours le
crédit génocide pour perpétuer son hégémonie sur tout le pays.Revenant sur le TPIR, Filip Reyntjens a déploré le fait que ce tribunal n’ait pas rempli sa mission

première qui était de juger indistinctement les crimes commis par les deux belligérants d’hier afin
de favoriser la réconciliation des Rwandais, cette dernière étant pourtant un des objectifs
assignés au TPIR. Or comme chacun sait aucun membre du FPR n’a été poursuivi à ce jour par le
TPIR. Cela a éloigné l’espoir que les Rwandais puissent se réconcilier à courte échéance. Pire, le
programme « Ndi umunyarwanda » inauguré par le président Kagame lui-même, a rendu les
choses encore un peu plus difficiles. Ce programme est extrêmement dangereux dans la mesure
où il consacre l’humiliation des vaincus par les vainqueurs.

Sans surprise, à la suite de son exposé, M. Reyntjens a essuyé des attaques acerbes, voire
arrogantes des participants pro-Kigali; mais les réponses fournies par le professeur, avec des
données factuelles à l’appui lui ont valu des applaudissements très nourris.

Thème IV : Le monde extérieur : pris à témoin ou à partie

Le professeur Stephen Smith (Université Duke, USA) est un ancien journaliste du Monde et de
Libération qui a écrit énormément sur le Rwanda. Il a fait un exposé méthodique et de haut niveau
du rôle de la communauté internationale sur la crise rwandaise. Il a démontré comment la
bipolarisation de la communauté rwandaise induit une polarisation de la communauté
internationale lorsqu’il s’agit de traiter des questions rwandaises. Le monde extérieur continue à
regarder le Rwanda à travers le prisme génocide. Ceci entrave un jugement lucide sur les
violations massives des droits de la personne par exemple, en cours dans le pays. Si la
communauté internationale se sentait coupable de n’avoir rien fait en 1994, il est très difficile de
comprendre comment ce crédit génocide a encore autant de vigueur 20 ans après les faits.
Toutefois, constate M. Smith, au fil des années et surtout depuis les élections manipulées de 2003
et de celles de 2010, le soutien de la communauté internationale est beaucoup moins important et
plus nuancé qu’on ne le pense.

Avec Reyntjens, Smith croit que le climat de suspicion au sein même du cercle restreint des
proches de Kagame pourrait être le présage d’un changement brutal, un coup d’État par exemple.
Reyntjens trouve cependant qu’il faut être plusieurs pour réussir un coup d’État et comme la
meilleure garantie de survie pour certains est d’aller dénoncer leurs amis, on comprend qu’il est
difficile de prédire la fin d’un régime comme celui de Kagame!

Des questions sur le refus de la communauté internationale à trouver des pays d’accueil aux
prévenus acquittés d’Arusha ont retenu l’attention de l’auditoire qui semblait unanime pour
condamner l’inconséquence de la communauté internationale à ce sujet.

La conférence s’est terminée dans la bonne humeur et tous les conférenciers ont assuré aux
organisateurs qu’ils reviendront avec plaisir lorsque leur participation sera sollicitée.

Congrès Rwandais du Canada (CRC)

Pierre-Claver Nkinamubanzi