De la normalisation à l’anormalisation de la langue rwandaise (Instructions ministérielles No 001/2014 du 08/10/2014)

La normalisation du kinyarwanda récemment adoptée, suscite des questions pertinentes, cela a été relevé non sans raison par beaucoup de personnes s’intéressant à la langue rwandaise.

Certains mots lexicaux ou certaines transcriptions orthographiques existantes ont été supprimés ou modifiées sans aucune explication linguistique. Cela va ainsi entraîner une orthographie s’éloignant de la morphologie du kinyarwanda ou des formes courantes de la langue rwandaise

La normalisation linguistique est une étape importante en matière de politique linguistique (celle-ci renvoie à toute forme de décision prise par l’autorité politique pour orienter et réglementer l’usage d’une ou de plusieurs langues).

La normalisation consiste à établir les normes d’usage d’une langue sur un territoire, c’est-à-dire la rendre habituelle par l’adoption d’un usage plus ou moins standardisé. Le processus de normalisation renvoie donc à l’évaluation, au jugement ; à la sélection des formes linguistiques normatives. Ceci concerne le choix des formes à l’écrit (l’orthographe), la prononciation ainsi que leurs significations. (Cf. Standardisation et déstandardisation Estandarización y Desestandarización , publié par Jürgen Erfurt,Gabriele Budac)

Interrogations et confusions :

Quelques exemples parmi tant d’autres :

– Le mot « Injyana » courant dans la langue rwandaise a été remplacé par le mot « urujyano ». On ne sait pas pourquoi ce mot « injyana » a été écarté alors qu’il est bien intégré à la langue. L’utilisation de ce mot est fréquente comme on peut le constater dans les exemples suivants: injyana nyarwanda (rythme rwandais), ibyo uvuga nta njyana bifite (ce que tu dis n’est pas cohérent), etc.

D’où est donc sorti le mot « urujyano » qui semble être une déformation de la langue rwandaise? Pourquoi doit-on recourir à un néologisme alors qu’on a un mot courant et adapté à tous les contextes linguistiques ?

– Par ailleurs, beaucoup de changements orthographiques ont été opérés sans tenir compte de la construction de la langue. Faisant ainsi croire qu’on simplifie la langue, on la complique davantage en adoptant une orthographie confuse, décalée des unités linguistiques connues.
Des exemples :
– Une forte confusion dans les combinaisons consonantiques (ibihekane) : nts, ns, cy, njy, etc..
* Le mot « icyi » (été) sera désormais écrit « iki » indifféremment de « iki » (ceci). La prononciation changera-t-elle aussi ???

* Le mot « icyibo » (petit panier/corbeille) sera désormais écrit « ikibo ». Avec quelle prononciation ?? Sachons que le pluriel de « icyibo » est « ibyibo », d’où la justification de son ancienne orthographe au singulier « icyibo ».

* Le mot « intsinzi » (victoire) avec la nouvelle loi sera écrit « insinzi ». En réalité ce mot dérive du verbe « gutsinda : ku-tsind-a » (vaincre), d’où la justification de l’écriture « intsinzi » et non « insinzi » récemment adopté, qui dérive du verbe « gusinda : ku-sind-a » (s’enivrer).

*Le mot « amajyepfo » sera remplacé par « amagepfo », or ce mot « amajyepfo » dérive de deux mots : le verbo « kujya » et « epfo » (advebe de lieu). L’ancienne écriture est plus justifiée que la nouvelle car ce mot ne dérive pas du verbe « Kuga »qui n’existe pas par ailleurs.

Il existe encore d’autres changements préconisés par la nouvelle loi et qui posent aussi beaucoup d’interrogations (voirhttp://www.igihe.com/amakuru/u-rwanda/article/hasohowe-itegeko-ryangiza).

Sans pour autant affirmer que tout ce qui a été proposé doit être balayé du revers de la main, on constate tout de même qu’il y a beaucoup d’approximations dans l’analyse linguistique du kinyarwanda. On remarque aussi une sorte d’aventure dans ce travail de normalisation qui requiert une compétence en linguistique.

Bref, il faut éviter de changer pour changer. La normalisation linguistique s’impose lorsqu’il y a une vraie demande à laquelle on essaie de trouver des réponses réfléchies, après avoir consultés les chercheurs et d’autres personnes compétentes.

La langue rwandaise semble actuellement être à la croisée des chemins ou plutôt privée de vraies instances de protection et de promotion autre que le ministère des sports !!! Quoi qu’on en dise, le kinyarwanda restera une vraie richesse rwandaise qui n’est malheureusement pas exploitée à sa juste valeur.

Faustin Kabanza