Dénonciation et condamnation de l’extradition politique des sieurs Jean Baptiste MUGIMBA et Jean Claude IYAMUREMYE vers le Rwanda

Joseph Bukeye

A Monsieur Ard Van der Steur,
Ministre de la Justice du Royaume des Pays-Bas
À LA HAYE

Objet :
Dénonciation et condamnation de l’extradition politique
des sieurs Jean Baptiste MUGIMBA et Jean Claude IYAMUREMYE vers le Rwanda
N/REF 01611008/CAJDH/0076

Monsieur le Ministre,

C’est avec tristesse, colère et amertume que les FDU-Inkingi viennent d’apprendre l’extradition , par les Pays-Bas , de messieurs Jean Baptiste Mugimba et Jean Claude Iyamuremye ce 12/11/2016 vers Kigali.

Les FDU-Inkingi dénoncent avec force cette action et regrettent que la sagesse dont a fait preuve la justice britannique, ainsi que le propre avis d’un expert néerlandais, Monsieur Witteveen, n’aient pas inspiré le ministère de la justice qui a autorisé cette extradition. Les FDU-Inkingi remercient au passage tous les hommes politiques et la société civile néerlandaise qui se sont mobilisés pour empêcher cette extradition, et qui doivent avoir le même sentiment de déception que nous.

Les FDU-Inkingi soulignent qu’elles s’opposent à cette extradition non pas pour couvrir qui que ce soit de ses responsabilités dans le génocide, mais par principe. En effet, il n’est pas possible, dans les conditions actuelles de la justice rwandaise d’obtenir un jugement équitable. Le procès de Madame Victoire Ingabire dans lequel, rappelons-le, les autorités néerlandaises ont encore collaboré avec la justice rwandaise, devrait ouvrir les yeux sur l’incapacité de cette justice à éviter le piège de la politisation.
Beaucoup d’experts neutres se sont exprimés dans ce sens (Amnesty International, Human Rights Watch, Avocats sans frontières, le Département d’Etat USA, le Foreign Office Britannique, etc.). Le documentaire « Rwanda Untold Story » de la BBC, que le gouvernement rwandais a tenté sans succès d’interdire, en est aussi une illustration.

Nul n’ignore que la bataille que livre le régime dictatorial de Kigali contre les opposants, réels ou supposés, s’inscrit dans une stratégie globale qui se déploie dans toute une série de domaines dont celui de la justice. En effet, après une première phase militaire gagnée par le FPR, celui-ci devait s’assurer, en complicité avec certains lobbies étrangers, que toute velléité d’opposition soit anéantie, quels que soient les moyens utilisés (mensonges et diabolisations relayés par les grands médias de l’establishment mondial, assassinats et disparitions, neutralisations judiciaires et autres…). L’extradition de Mugimba et Iyamuremye s’inscrit dans cette stratégie.

Il n’est pas inutile d’observer que le régime actuel de Kigali est dans de mauvais draps car les atrocités commises par le FPR-Inkotanyi au Rwanda et dans la région des Grands Lacs africains sont en passe de rattraper les auteurs. En témoignent la réouverture de l’enquête française sur l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, et qui, selon tous les experts crédibles, a été l’élément déclencheur du génocide.

Il sied aussi de rappeler les contenus des rapports d’experts tels Robert Gersony en 1994 , les tueries de Kibeho le 22 avril 1995, Roberto Garreton en 1998 sur la situation des droits de l’homme au Congo , et le Mapping report sur la RDC pour la période 1993-2003 pour ne citer que ceux-ci.
Il est inimaginable que tous ces rapports soient classés sans suite, mais que la chasse aux sorciers continue contre des supposés « génocidaires », 22 ans après les faits. Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité répertoriés dans ces rapports sont tout aussi imprescriptibles.

Le geste posé par les Pays-Bas, d’extrader ces deux rwandais , pose un problème d’éthique dans la mesure où les Pays-Bas sont sensés assurer la coordination de l’aide budgétaire de toute l’Union Européenne au système judiciaire rwandais.
L’on sait également que les Pays-Bas sont parmi les principaux partenaires financiers et économiques du régime dictatorial de Kigali et qu’ils interviennent, entre autres dans la formation des magistrats du parquet.

Les Pays-Bas sont censés être les premiers à constater la faillite et la politisation de l’appareil judiciaire rwandais. Le rapport de leur expert Witteveen, qui a été entendu par la justice néerlandaise dans cette affaire, non sans peine, est assez fouillé.

Les Pays-Bas ne peuvent donc pas prétendre ignorer la réalité. Montrer chaque fois en vitrine les bâtiments de la fameuse prison de Mpanga sans considérer ce qui se passe à l’intérieur, ni les conditions dans lesquelles les gens s’y retrouvent, est faire la politique de l’autruche.

Les FDU-Inkingi dénoncent la tentation des autorités néerlandaises de démontrer mordicus que le système judiciaire rwandais qu’ils ont aidé à mettre en place mais qui peine à convaincre de son équité et indépendance, est crédible, viable et fiable.
Les ratés dans le procès de Mugesera Léon, tout comme dans le dossier du pasteur Uwinkindi, remis à la justice rwandaise par le TPIR, devraient suffire à convaincre de l’inutilité de déférer d’autres cas à la justice rwandaise, qui n’y voit que des marques de reconnaissance, de caution de sa politique répressive.

L’extradition des sieurs Mugimba et Iyamuremye vers le Rwanda, s’apparente à une manœuvre de diversion pour camoufler les graves difficultés auxquelles doit faire face le régime, embourbé non seulement dans des problèmes intérieurs (défection des anciens alliés, insécurité grandissante, etc.) mais aussi extérieurs (tension avec les voisins burundais et congolais, rapports des organisations internationales très critiques, etc.)
Le refus des autorités néerlandaises de discuter du fond de la demande d’extradition des sieurs Mugimba et Iyamuremye en Hollande est interpellant à tous les égards.

Alerté par les familles des deux malheureux victimes, plusieurs groupes de députés néerlandais, vous a demandé Monsieur le Ministre, de mettre fin à cette opération pour que les présumés puissent être jugés au Pays-Bas. Ce n’est pas inédit, par ce que d’autres pays voisins comme la France et la Belgique l’ont fait. Les Pays-Bas eux-mêmes ont déjà jugé plusieurs cas du genre dont le dernier en date fut celui de la regrettée Madame Yvonne Basebya. Rien n’y fait, les deux sieurs ont tout de même étaient extradés. Une preuve de plus que les leçons de démocratie et des droits humains promues et vendues par certains un peu partout dans le monde ne s’appliquent qu’en fonction des intérêts et des groupes financiers et industriels concernés.

La quasi marchandisation des extraditions de réfugiés rwandais risque fort de radicaliser les exclus du régime de Kigali et de provoquer un effet boomerang, plutôt que d’aider le régime du FPR.

Au moment où des personnalités du FPR recherchées par la justice ou dont l’implication dans des actes pouvant être qualifiés de génocide selon les rapports de l’ONU dont Mapping report, se prélassent au soleil sans inquiétude, personne n’est dupe pour considérer que le geste des Pays Bas soit simplement mu par la justice. Et l’histoire ne tardera pas de rattraper ceux qui, au lieu d’aider le peuple rwandais à éviter une autre catastrophe, attisent le feu en caressant dans le sens du poils, un régime dont le seul souci est de se maintenir au pouvoir par la terreur. Les citoyens hollandais méritent mieux que de laisser cet héritage.

Les Pays-Bas entretiennent des relations séculaires avec le peuple rwandais, notamment à travers l’église presbytérienne. Ils ont été parmi les premiers pays à ouvrir leur ambassade après la prise du pouvoir par l’actuel régime du FPR. Ils ont donc une certaine responsabilité à stabiliser la situation au Rwanda, en se montrant plus constructifs, et en évitant ainsi d’être accusés par l’histoire, en cas de nouvelle catastrophe, d’avoir été du mauvais côté.

Les FDU-Inkingi trouvent que le spectacle des extraditions de réfugiés exclusivement Hutu qui sont fêtées à Kigali comme des trophées de chasse, creuse davantage le fossé entre le régime et la diaspora, et hypothèque encore plus la chance pour une transition pacifique, vers une nouvelle gouvernance. Une gouvernance qui garantit une coexistence pacifique et durable entre toutes les composantes de la population rwandaise. Les vrais amis du peuple rwandais seront ceux qui sauront s’inscrire dans cette logique non partisane.

Les FDU-Inkingi voudraient dire, à tous ceux qui ne l’auraient pas encore compris, que l’actuelle dynamique de lutte pour une démocratisation véritable, initiée par l’opposition rwandaise, n’est pas dirigée contre un homme ou un groupe, mais contre un système. Elle ne s’arrêtera pas avant que le peuple n’ait trouvé tous ses pleins droits. Banaliser les revendications de ces centaines de vendeurs ambulants brutalisés par la police, de ces motards, de ces paysans affamés, des parents des victimes des disparitions forcées, de ces exécutions sommaires par la crucifixion des condamnés en prison tels que ceux de la prison de Muhanga, de ces corps flottants dans le lac Rweru, tout cela n’est pas constructif et ne sert pas du tout les intérêts des rwandais, ni des bailleurs de fonds du Rwanda sur le long terme. Plutôt que de chercher à écraser cette dynamique, il faut essayer de la canaliser en lâchant du lest. Les manœuvres militaires à grande échelle, tout comme les extraditions à grand renforts de publicité, renforcent la détermination, plutôt que de la dissuader.

Nous invitons le gouvernement hollandais à être du bon côté de l’histoire en s’inscrivant dans cette dynamique. Nous sommes convaincus que c’est aussi le souhait du peuple hollandais dans sa majorité, qui s’était mobilisée contre cette extradition.

Les FDU Inkingi sont prêtes à coopérer avec le gouvernement hollandais dans une logique de Win Win, pour assurer une transition pacifique qui puisse mettre fin à l’exode des populations rwandaises et au cycle des violences. Elles invitent ardemment le gouvernement hollandais à être du bon côté de l’histoire, en faisant une bonne lecture de la volonté de changement du peuple rwandais. Un peu comme l’eau qui cherche une brèche, cette volonté de changement est en marche et ne peut plus être arrêtée.

Maintenant que le mal est fait, les Pays-Bas ont la responsabilité morale de veiller à l’intégrité physique de ces extradés et d’éviter le spectre du traitement infligé aux autres compagnons d’infortune tels que Léon Mugesera, Léopold Munyakazi et le pasteur Jean Uwinkindi. C’est le minimum qu’ils doivent aux familles des extradés et aux nombreuses personnes qui s’étaient mobilisées contre cette extradition.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de notre haute considération.

Fait à Bruxelles, le 18 novembre 2016

FDU INKINGI
Joseph BUKEYE
Deuxième Vice-Président
[email protected]

Signé

Avenue des Cerisiers, 11
6224 WB
Belgium

CPI :
– Son Excellence Monsieur Mark Rutte, Premier Ministre du Royaume des Pays-Bas ;
– Son Excellence Monsieur Ban-Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies à New-York ;
– Son Excellence Monsieur Charles Michel, Premier Ministre de la Belgique ;
– Honorable Député Chef de file du Parti au Parlement Néerlandais (tous) ;
– Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères du Royaume des Pays-Bas à La Haye ;
– Monsieur Didier Reynders Ministre des Affaires Etrangères de la Belgique ;
– Monsieur Salil SHETTY Secretary general of Amnesty International;
– Monsieur Kenneth ROTH, Executive Director of Human Rights Watch ;
– Association de défense des droits de l’homme (toutes).