"En tout cas avec notre famille Simbikangwa a toujours été gentil, je l'en remercie d'ailleurs": Albert Gahamanyi

Un deuxième Tutsi « sauvé » par Pascal Simbikangwa, premier Rwandais jugé en France en lien avec le génocide, a témoigné lundi en fragilisant les affirmations de l’accusé sur son niveau de responsabilité et de connaissance des massacres.

Albert Gahamanyi avait 14 ans et demi en avril 1994. Son père, tutsi, est haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. La famille habite une maison de fonction voisine de celle du capitaine Simbikangwa.

Le 8 avril au matin, quand des militaires attaquent la maison au deuxième jour des violences, la famille se réfugie dans le voisinage. Le père appelle le capitaine Simbikangwa, qui lui conseille de se rendre à la préfecture et propose de recueillir ses trois fils, l’épouse restant chez un autre voisin.

« Il nous a dit de nous calmer, que nous n’avions rien à craindre et étions en sécurité chez lui », se souvient Albert à la barre de la cour d’assises de Paris.

De temps à autre, les deux militaires affectés à la sécurité du capitaine sortent dans le quartier. « Quand ils revenaient, ils nettoyaient leurs fusils et disaient +on a tué+ ». Au président qui lui demande si l’accusé était au courant, le témoin dit qu’il ne sait pas mais que Pascal Simbikangwa « ne les contrôlait pas totalement ».

Après « cinq jours et quatre nuits », le capitaine Simbikangwa organise l’évacuation d’une partie de sa propre famille et des réfugiés qu’il héberge vers Gisenyi, sa région d’origine dans le Nord-Ouest.

La mère d’Albert est du voyage, un de ses frères part avec un autre voisin, qui ne réussira d’ailleurs pas à sortir de Kigali, refoulé à un barrage. Quant au troisième frère, l’aîné alors âgé de 18 ans, « monsieur Simbikangwa a dit qu’il ne pouvait pas partir, qu’il craignait qu’il soit tué. Il avait sa carte d’identité avec écrit Tutsi dessus et avait l’air d’avoir plus que 16 ans », âge auquel ce document mentionnant l’ethnie devenait obligatoire.

On s’entasse à neuf dans le pick-up du capitaine, qui se fait arrêter aux « barrières ». « A chaque fois il s’arrêtait, discutait, disait j’emmène ces gens et je reviens ».

Le président du tribunal Olivier Leurent l’interroge. Y avait-il des cadavres, ces morts dont l’accusé assure n’en avoir pas vu un seul pendant le génocide.

« Aux barrières à Kigali il y avait des cadavres. Je n’avais jamais vu de cadavres. Je pense aussi que nous avons croisé un camion qui en transportait ».

Emmanuel Daoud, avocat de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH), veut marquer le coup. « Est-ce qu’il (l’accusé) pouvait ne pas les voir? » « Non, je ne pense pas ».

Le président se tourne vers l’accusé et, pour la énième fois, lui pose cette même question des morts invisibles. « Lui, il est en haut dans le pick-up et moi justement j’ai un problème de dos, je mettais un oreiller pour me positionner de façon un petit peu allongée ». Et de protester de sa bonne foi: « Quelle protection ça me donne de dire que je n’ai pas vu de cadavres? Je sais très bien qu’il y a eu des morts ».

Puis, une fois n’est pas coutume, il loue ce témoin « qui a fait un extraordinaire effort d’honnêteté » pour raconter comment il l’a sauvé.

Même si son témoignage a pu mettre à mal l’image d’un Simbikangwa petit fonctionnaire sans pouvoir et n’ayant rien compris du génocide.

Albert Gahamanyi précise: « J’ai été sauvé par monsieur Simbikangwa (…), mais il n’est pas le seul, d’autres gens m’ont sauvé. Il ne sait pas ce que j’ai vécu après. En tout cas avec notre famille il a toujours été gentil, je l’en remercie d’ailleurs ».

A l’issue de l’audience, la défense a annoncé son intention de déposer une demande de transport de la cour sur les lieux.