Esquives

Eh oui ! Il y a des fins de semaine comme ça : des week-end où ils pratiquent presque tous un jeu d’esquive pour des raisons qui leur sont tout à fait propres. Des acteurs politiques qui nous mènent là où on ne les attendait pas du tout et qui font semblant de répondre aux attentes des auditeurs et autres lecteurs. La palme de la dérobade pourrait de ce fait être décernée à l’invité que radio Itahuka a accueilli au bout du fil ce samedi 16 mars. Un mauvais orateur et un très mauvais : pendant plus de 3 heures, il parlait comme si c’était le célèbre Marshall Bruce Mathers III (dit Eminem) qui essayerait de parler politique en kinyarwanda. Il était sur la défensive sur toutes ses interventions. Aucune aisance ni mesure dans le verbe de ce pourtant ex-professeur. Il m’a fait (presque) regretter l’adresse rhétorique de mon Rukokoma… Une interview vraiment ratée. Heureusement qu’Anastase Gasana (oui, c’est de lui qu’il s’agit) déplorait, chez le Rwandais, la préférence de l’oral à l’écrit. Désormais, on cherchera donc sa pensée dans ses écrits et plus jamais sur les ondes de quelque radio que ce soit. A moins qu’un de ses lieutenants ne se découvre, entre-temps, un talent de communicateur… Voilà pour l’ambiance.
Pour le reste, les esquives donc, le Docteur expédie son propos en 3 temps : 1) les Interahamwe ce n’est pas moi c’est Bagosora qui les a créé, 2) L’apologie des massacres des réfugiés (Kibeho et forêts congolaises) ? Non, le système Fpr m’a trompé et, 3) L’implosion du Mdr, je la désirais (au même titre que celle du Fpr) même si le jour du coup de grâce, je n’étais pas là ! Voilà comment se pratique de nos jours l’art de la politique ! Par esquives maladroites. Oui, car celui qui reproche aux Rwandais de ne pas lire semble lui-même n’avoir jamais eu entre ses mains un livre, Rwanda : du parti-état à l’état-garnison. James Gasana y parle moins tendrement de son homonyme. Avant même la publication de ce livre (puisque le docteur est un adepte de lecture), le même James écrivait : « C’est ainsi que Désiré Murenzi, alors Directeur de Petrorwanda, opérationnalise la stratégie de mise sur pied d’une ligue des jeunes prônée par Anastase Gasana, en créant les Interahamwe de sa propre initiative en dehors du parti. Un élément en plus est que A. Gasana qui ressent le poids politique de D. Murenzi au sein du Mrnd est de même origine que lui : il ne veut pas de l’initiative de Murenzi, de peur de renforcer son influence en préfecture Kigali. Il est ainsi un de ceux qui conseillent l’entourage de Habyarimana de récupérer les Interahamwe ».
On pourrait ainsi mettre à mal plusieurs des affirmations du commandant d’Urukatsa comme l’a tenté le journaliste en lui posant une question sur les conclusions du Tpir ayant trait à la planification du génocide. L’ex-ministre et ambassadeur de Kagame ment (encore) par exemple en prétendant que le Fpr lui mentait s’agissant de ses crimes au Congo. Très grossier comme bobard. Icya Semuhanuka tout simplement. Tingi-Tingi (Février 1997) c’est après le meurtre (juillet 1996), par les techniciens, du bourgmestre Munyandamutsa de Rushashi que semble pleurer Gasana, n’est-ce pas ? Et ce forfait, c’est après Kibeho (avril 1995), non ? Dire donc qu’il s’est fait avoir par les mensonges du Fpr est tellement enfantin pour qui prétend « délivrer » les Rwandais. Pire, persister à servir ces boniments revient à piétiner la mémoire même d’un digne fils du Rwanda qui a dit : « Par la suite, quand j’ai été ministre de l’Intérieur, j’ai écrit des lettres à propos de ces choses-là, lettres que j’ai adressées au président de la république, au vice-président et au premier ministre où, chaque fois, je détaillais les allégations ou même des preuves de l’implication de l’APR dans les massacres de populations. J’ai écrit 700 lettres au vice-président et ministre de la défense, le général Kagame, en un an cela fait deux lettre par jour !…» Le premier ministre dont il est question a (honorablement) démissionné et Anastase Gasana a, lui, préféré rester… Pour nous raconter des histoires aujourd’hui !
Esquive : action de se dérober à l’attaque de l’adversaire. Voilà ce à quoi l’on a eu droit de la part d’Anastase Gasana tout au long de son interview. Inonder l’auditoire de phrases sans convaincre et échapper même aux vraies questions, s’en tirant plus d’une fois par des petites phrases. Tiens : Ntabwo Fpr yanyirukanye (01h 34 min16 sec)… (Le Fpr ne m’a pas mis à la porte). Que doit-on sous-entendre par cette affirmation ? Interrogé ensuite sur son acte d’allégeance de Chicago, Gasana aura cette réponse : urwishe ya nka ruracyayirimo (bacururuje amafoto). On le pointe du doigt pour ce qui apparaît comme de l’opportunisme et il se reporte diligemment sur son bouc émissaire favori, le Fpr. Très pathétique. Ils m’ont pris en photo avec le président Kagame et en font un usage qui crée de la confusion, affirme-t-il comme pour dire que le ver est toujours dans le fruit. Il ne croyait pas si bien dire car c’est lui qu’on vient de berner par deux fois : il les a découvert «criminels» et s’est empressé, dans leur grand-messe de Rwanda day à Chicago, de serrer la main du diable. Pardon, du dictateur. Heureusement, et c’est le seul scoop de l’entretien, que des camps de rééducation des cadres du Fpr seraient prévus par le programme politique du Mrp-Gasana. De quoi au juste faudra-t-il les désintoxiquer ? Leurs mensonges ? Leurs esquives ? Leur propension à tout techniquer ?
Ce serait un bon début. Comme dénoncer par exemple cette mascarade qui consiste à rapatrier les special forces des RDF en criant à la scission du M23 et à l’arrestation de Jean-Marie Runiga. Une vraie comédie. Ils se sentent maintenant acculés, assiégés par un peuple de plus en plus affamé par les sanctions (on parle du kwashiorkor dans le Gasabo), taraudés par une opposition qui se réveille. Enfin. Le prix de l’essence grimpe jour après jour, la devise nationale se déprécie désespérément, la troupe grogne (timidement il est vrai) à cause de sa solde de misère, bref, l’horizon s’assombrit inexorablement en Afandie. Au lieu d’entamer ce qu’en d’autres circonstances et en d’autres temps on appelait aggiornamento, ils esquivent en techniquant un sabordage du collectif M23, laissant le pauvre Sultani Makenga seul en face et des sanctions états-uniennes et d’un État congolais qui peine toujours à faire face. Est-ce que cette distraction, même agrémentée de la remise du Terminator aux Américains, suffira à arrêter la chute déjà annoncée de l’empire Kagame ? Les nombreux parasites de ce dernier veulent bien le croire, confortés en cela par la prolifération des partis politiques. Le dernier en date étant ce bloc qui vient de se détacher du Rnc et dont on se demande déjà s’il n’est pas là que pour dire au général Kayumba certaines vérités que l’agression dont il fut la cible ne saurait occulter beaucoup plus longtemps encore. Comme quoi, l’esquive de certains pourra bientôt servir à exposer la tartufferie des autres. L’étau se resserre.
Cecil Kami