Et si (par miracle) Kagame négociait…

Après les sanctions, les œufs pourris et les crottes de cheval, après les remontrances tanzaniennes, peut-on un seul instant s’imaginer l’homme fort de Kigali recevoir la visite d’une muse lui inspirant de s’asseoir avec ses opposants autour d’une table de négociation ? La politique, on le sait bien, est quelque chose de dynamique et, même quand la surface affiche une sérénité d’Agaciro, les bas-fonds peuvent, eux, cacher des changements tout aussi radicaux qu’imperceptibles (raison des permutations au sein de l’armée par exemple).

La politique, on le sait aussi, n’est pas synonyme de miracologie, mais essentiellement d’organisation et d’action ; et c’est en cela que la question suggérée en titre revêt son importance. N’est-il pas manifeste qu’au fil des ans, l’organisation mise en place par les stratèges de la dictature afande a cessé de séduire ? N’est-il pas patent que la seule action pour éviter l’implosion de celle-là reste, comme le souhaiterait Joseph Staline, la peur des citoyens vis-à-vis de leurs encadreurs ? Ils peuvent donc être fous, mais les managers au service de la politique de Kagame sont parfaitement conscients de ce constat. Ils ont vu, un à un, les mythes fondateurs de leur suprématie politique s’effondrer et le dernier évangile selon Jakaya Kikwete est en passe d’en pulvériser le tout dernier.

Au commencent était un génocide. Ce dernier amèna le monde entier (les Clinton et autres Verhofstadt) à demander pardon au « stoppeur » de ce Crime. Sauf qu’un jour l’on découvrit le lien entre l’attentat du 6 avril 1994 et le déclenchement des horreurs. Et que le Mapping report vint dévoiler d’autres génocidaires présumés. Et que les techniciens d’un tribunal à Arusha échouaient dans leur ingéniosité à prouver la planification d’Ishyano. Le premier mythe vacilla. C’est alors que Sweetie se mit à assassiner ses compatriotes exilés et que, toute honte bue, ses sicaires planifièrent des empoisonnements à grande échelle. Et que ses chiens de guerre pillèrent les voisins du Congo. Las de cette arrogance persistante, certains amis du système Kagame lui coupèrent les vivres. D’une façon timide et symbolique, mais le message est toutefois passé. Le deuxième mythe venait de tomber à l’eau… Restait donc la contestation du régime. Fustiger la cupidité des affairistes de Kigali valait aux opposants l’étiquette de « génocidaires ». Sauf que d’une part, Ingabire n’en est pas une, Mushayidi et Ntaganda non plus ; et que d’autre part Rwarakabije a été débauché pendant que les écrits racistes de Rucagu dans Kangura étaient absouts. Négociez donc ouvertement avec vos opposants, dixit le prochain hôte de Barack Obama. Et le troisième mythe s’écroula, entama ainsi la surrection de tout l’édifice qui en est maintenant à lorgner vers un troisième mandat de qui-vous-savez…

Et si Kagame négociait donc… Ça ne ressemble pas du tout à l’homme, du moins à son outrecuidance légendaire, mais les états-majors de l’opposition feraient mieux de considérer cette hypothèse. L’histoire est pleine d’exemples éloquents à propos des dictatures militaires qui ont terrorisé (dans un semblant de nationalisme) et leurs peuples et tous ceux qui rêvaient liberté. La clique ethniste de Bururi au Burundi, la kléptocratie ngbandi au Zaïre, les Boers racistes d’Afrique du sud, le colonel trublion de Libye, etc. A un moment ou à un autre de leurs tristes gloires, ces régimes se croyaient indéboulonnables et, en cela, ils étaient confortés par le soutien économique et/ou militaire que leur octroyaient des alliés étrangers. Puis un jour, le vent a tourné (le miracle s’est produit), le monde a ouvert les yeux et l’idolâtré est, du jour au lendemain, devenu le pestiféré. Bien malins comme Pierre Buyoya qui ont su s’organiser une sortie, évitant ainsi un séjour soit dans les poubelles de l’histoire, soit des circonstances de fin de règne inversement proportionnelles aux fastes de la vie qu’ils ont menée. En donnant l’impression d’acculer sérieusement la politique afande, le lieutenant-colonel Jakaya Kikwete confirme la règle qui veut que seuls des vrais officiers savent militer pour la paix. En sera-t-il de même du général Kagame ?

Rêvons donc un peu : à l’appel tanzanien, le président rwandais réalise qu’il ne pourra tenir sa ligne dure (et suicidaire) pendant longtemps et que même ses voisins commencent à imaginer un après-Kagame, du moins une transition le poussant vers la sortie. Il prend les devants et délivre un visa à Faustin Twagiramungu avant de le recevoir avec Semushi Karangwa, puis il libère coup sur coup le trio Ingabire-Mushayidi-Ntaganda, il accepte de prendre officiellement (officieusement c’est fait depuis très longtemps) langue avec les Fdlr et envoie ses émissaires auprès de tous les autres leaders de l’opposition en exil. Que se passe-t-il alors ? Le peuple exulte et une partie de l’armée panique. Celle qui a impunément utilisé l’uniforme pour porter poison et deuil dans les familles rwandaises, prouvant ainsi fausse fidélité et coupable loyauté au chef. Soit elle se comporte à la Bikomagu et… rebelote, soit elle prend courageusement note des changements et méritent la République. Ce dernier scénario pousserait obligatoirement, mais minutieusement les politiciens à agir sans relâche pour inventer le Rwanda de nos… rêves : sans dictature ni discriminations, sans bellicisme ni repli sur soi. Oui, essayez d’imaginer une grande table avec tout autour Kagame, Rukokoma, Ingabire, Kayumba, Habyarimana, Mushayidi, Ntaganda (et tous les autres) ainsi que des représentants de la société civile. Une grande partie de la vraie victoire est là : d’oser, de se permettre un rêve inaccessible encore il y a 10 ans…

Avec des « si », on mettrait Paris en bouteille, dit-on. Avec des « si », oui, le Rwanda aurait déjà cessé d’être ; de justesse, le pire a été évité en 1994 déjà, ce qui n’a pas empêché un général de déclarer que SI il avait pu bénéficier d’assez de temps, il aurait réglé le sort d’un million de ses concitoyens. Rêver permet donc s’évader des réalités autrement plus dures. De s’inventer une suite. Après la toute puissance vantée des services secrets (beaucoup ont su tromper leur vigilance et leurs échecs ne se comptent plus), l’invincibilité de l’armée (incapable d’éradiquer les Fdlr), après la sympathie des Occidentaux coupables/complices (il y a une réelle inflexion dans leur rapports avec l’Afandie), après la discipline des dirigeants (le Mapping report a mis à nu le sérieux du régime), quelle suite écrire pour le Rwanda si, dans son égarement, le fou trébuche sur la vérité (aramutse asaze akagwa kw’ijambo) ? C’est-à-dire s’il se résout (malgré lui) à négocier. Poser la question c’est, bien des fois, y répondre et, la mienne de réponse, est que si demain par la grâce de saint Gihanga, le général consentait à négocier, cela prendrait terriblement de court beaucoup de ceux qui réclament son effacement de la scène politique rwandaise. Se présenteraient-ils en bon ordre ou dispersé ? Auront-ils les mêmes visées ou leur compétition impliquera des croc-en-jambes regrettables puisque profitable au has been Kagame ? Les réponses divergeront autant qu’elles susciteront moult polémiques.

Rassurez-vous : il ne s’agissait là que d’un rêve, sauf que, comme l’a un jour écrit le romancier Réjean Bonenfant, « à trop rêver le monde, on en vient à préférer le rêve au monde ». La psychologue Victoria Torey Lynn Hayden (dit Torey Hayden) disait quant à elle : « Heureux ceux qui cultivent des rêves. Mais, les rêves exigent des sacrifices et peu de rêveurs survivent ».

Cecil Kami