FDLR : Menace ou prétexte ?

Après plusieurs semaines de combats au Nord-Kivu, le gouvernement congolais et les rebelles du M23 sont revenus à la table des négociations à Kampala. Mais la route est encore longue avant un possible accord. Les conditions posées par la rébellion et Kinshasa sont difficilement conciliables et font craindre une reprise des hostilités. A chacun ses conditions. Le M23 et les autorités congolaises, de retour la semaine dernière aux pourparlers de paix de Kampala, ont fixé leurs exigences à la possible signature d’un accord. Le M23 conditionne son désarmement à la « neutralisation des Forces démocratiques de libération du Rwanda(FDLR) et le rapatriement des réfugiés congolais ». Le gouvernement congolais fixe, lui, deux lignes rouges : pas d’amnistie pour les rebelles et surtout pas de réintégration dans l’armée nationale. Une semaine après la reprise des pourparlers, le 9 septembre, « aucune avancée n’a été enregistrée » à Kampala a fait remarquer François Muamba, négociateur du gouvernement congolais et coordonnateur du Mécanisme national de suivi de l’Accord d’Addis-Abeba sur Radio Okapi.

Les FDLR sur la table des négociations

Principal blocage de ce énième round de négociations : les « lignes rouges » fixées par les deux belligérants. Côté rébellion, le M23 fait désormais tourner la problématique autour des FDLR, un groupe armé composé d’anciens génocidaires hutus rwandais, en lutte contre le régime de Kigali. Le président du M23, Bertrand Bisimwa explique que la rébellion veut bien « déposer les armes », mais pose ses conditions : « neutraliser les FDLR et rapatrier les réfugiés congolais tutsis ». La présence des rebelles rwandais en RDC représente en effet l’un des principaux facteurs de violence à l’Est du pays et ce, depuis… 1996 ! Le M23 s’est toujours affiché en défenseur de la communauté tutsie et leur revendication est bien évidemment légitime. Une question se pose pourtant : pourquoi faire cette revendication maintenant ? Depuis la création du M23 en mai 2012, la neutralisation des FDLR n’a jamais fait partie des exigences de la rébellion. Dans un premier temps, les revendications du M23 tournaient autour des accords du 23 mars, de leur réintégration dans l’armée et de la reconnaissance des grades militaires. Des revendications « catégorielles », bien éloignées de la présence des rebelles FDLR à l’Est du Congo. Dans un deuxième temps, les succès militaires s’enchaînant, le M23 a élargi ses revendications en réclamant la remise en cause des élections contestées de novembre 2011 et le départ du président Joseph Kabila. Aujourd’hui, les revendications changent de nature : plus de réintégration dans l’armée, plus de départ de Joseph Kabila… l’objectif du M23 se concentre désormais sur les FDLR. Voici quelques explications.

FDLR : Menace ou prétexte ?

Les FDLR sont-ils toujours une menace en RDC ? Oui ! répond Jean-Paul Epenge, un cadre du M23. « Les FDLR constituent le principal facteur d’insécurité au Nord et au Sud-Kivu », estime-t-il. « Ce sont les FDLR qui ont apporté la violence chez nous après le génocide de 1994. Il faut les désarmer, les cantonner et alors les réfugiés congolais pourront revenir vivre tranquillement à l’Est ». Pourtant, selon Christoph Vogel, un chercheur (1) spécialiste de la région, « les effectifs des FDLR ont considérablement diminué » au Nord et Sud-Kivu. De 10.000 hommes, il y a une dizaine d’année, « les FDLR ne seraient plus que 2.500 dans la région » précise-t-il. Mais pour Christoph Vogel, « si la rébellion rwandaise ne constitue pas un danger sérieux pour le régime de Kigali, ce sont avant surtout les populations congolaises qui souffrent de ses exactions ». Alors pourquoi le M23 conditionne-t-il son désarmement à la neutralisations des FDLR ? Selon Christoph Vogel, cette demande est logique, les FDLR étant « l’ennemi naturel du M23 ». Mais le chercheur pointe une autre raison à cette condition posée par le M23. Depuis le milieu de l’été, le M23 a subi une forte pression militaire de Kinshasa au Nord de Goma. L’armée congolaise, souvent décrite comme une « armée fantôme », n’a pas combattu seule le M23. Les FARDC ont reçu l’aide providentielle (et décisive) de la Brigade d’intervention de l’ONU (FIB), venue « désarmer les groupes rebelles à l’Est de la RDC ». Après les attaques répétées des FARDC et de la Brigade, le M23 a dû se replier à 30 km de la capitale provinciale du Nord-Kivu… un revers diplomatique pour la rébellion, qui a dû reprendre le chemin des négociations en position de faiblesse. En demandant la « neutralisation » des FDLR, le M23 demande à la Brigade de s’attaquer maintenant aux rebelles rwandais et implicitement d’arrêter de se focaliser uniquement sur leur propre groupe. La technique est habile, puisque l’ONU avait clairement indiqué qu’elle était là pour s’attaquer à tous les groupes armés et pas seulement au M23.

En demandant à l’ONU et à Kinshasa de désarmer les FDLR, le M23 n’opère pas qu’une tentative de diversion, il repousse également tout règlement rapide du conflit. Neutraliser les FDLR ne se fera pas en quelques semaines ou quelques mois, mais cela prendra sans doute plusieurs années. De nombreuses opérations militaires conjointes avait d’ailleurs été montées, notamment avec le Rwanda et la RDC, du temps où les deux pays collaboraient, rappelle le chercheur Christoph Vogel. Mais les opérations Kimia II ou Umoja Wetu n’ont pas permis d’aboutir « à la l’éradication de la milice ». Pour ce spécialiste, seul un règlement politique entre les deux Etats, RDC et Rwanda, permettrait de mettre fin au problème de la milice hutue.

Négociations en trompe l’oeil

A lire ces lignes, on pourrait croire que seul le M23 fait blocage à Kampala. Mais côté gouvernemental, les « lignes de rouges » posées par Kinshasa mènent également dans l’impasse. Les autorités congolaises ont déclaré vouloir refuser toute amnistie aux membres de la rébellion et toute réintégration dans l’armée nationale. Autant dire que Kinshasa ne propose d’autre porte de sortie au M23 que sa propre disparition… difficilement acceptable pour des rebelles qui continuent de tenir et d’administrer une partie du Nord-Kivu. Mais Kinshasa n’a pas envie de négocier et cherche le K.O. Les dernières offensives militaires de la fin de l’été, présentées comme des victoires par le gouvernement, ne sont en fait que des succès de la Brigade de l’ONU. La communauté internationale a ainsi pu forcer Kinshasa à revenir à la table des négociations. Sommées de retourner à Kampala, les autorités congolaises auraient bien continué l’offensive sur le M23, pour mettre à genou la rébellion et stopper ainsi des négociations humiliantes pour Joseph Kabila. Mais comme l’armée congolaise est toujours aussi faible et a besoin de l’appui militaire de l’ONU, Kinshasa n’a pu que s’en remettre au bon vouloir de la communauté internationale, qui « ne souhaitait pas faire la guerre à la place des Congolais », comme nous l’a expliqué un expert militaire. Sans aide de la Brigade de l’ONU, les FARDC ont donc été obligés d’arrêter l’offensive. La situation militaire se retrouve alors gelée : le M23 campe au Nord de Goma, de Kibumba à Rutshuru, alors que les FARDC et l’ONU protège Goma de toute offensive rebelle.

Mécontent d’être à Kampala, le gouvernement congolais, qui a par ailleurs lancé des concertations politiques avec une partie de son opposition et de la société civile, se retrouve coincé. Conséquence : à la table des négociations, les autorités congolaises ferment toutes les portes de sortie à la rébellion. Devant un tel blocage, on peut se demander ce que l’on peut attendre de Kampala. « Pas grand chose », note un expert militaire, qui pense qu’à part une rencontre au sommet entre les 3 chefs d’Etats de la région (RDC, Rwanda, Ouganda) pour trouver une solution, seule une reprise des hostilités est à attendre au Nord-Kivu. Seule interrogation : la Brigade de l’ONU continuera-t-elle à appuyer l’armée congolaise dans une guerre totale contre le M23 ? Pas si sûr.