Ferdinand Nahimana encore victime de l’injustice du TPIR/MTPI

Dans la décision du 16/11/2015 « relative à la demande en révision présentée par Ferdinand Nahimana », la Chambre d’appel du Tribunal créé, le 8 novembre 1994, par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour juger les personnes présumées responsables des crimes commis au Rwanda entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, TPIR, remplacé par le MTPI (Mécanisme des tribunaux pénaux internationaux), depuis le 1er juillet 2012, vient de faire montre, encore une fois, de son refus de reconnaître la vérité et de rendre justice à un innocent.

Ferdinand Nahimana non coupable de génocide, mais condamné pour les déclarations des journalistes

En effet, le 28 novembre 2007, après avoir « infirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre Ferdinand Nahimana, en vertu de l’article 6.1 du Statut du TPIR, pour entente en vue de commettre le génocide, génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide ainsi que pour extermination et persécutions, des crimes contre l’humanité », la Chambre d’appel du TPIR a aussi infirmé sa condamnation à l’emprisonnement à vie ; elle l’a condamné à 30 ans d’emprisonnement pour le seul fait que certaines émissions diffusées par les journalistes de la radio RTLM après le 6 avril 1994 appelaient aux massacres et à la persécution contre les Tutsi.

Les juges de cette Chambre d’appel ont basé cette décision sur l’unique témoignage par ouï-dire délivré par l’Américaine Alison Des Forges (décédée dans un accident d’avion, le 12/2/2009) selon laquelle l’adjoint du chef de la Mission turquoise lui aurait dit que Ferdinand Nahimana s’est entretenu avec le chef de cette mission, qu’il lui aurait promis de mettre fin aux émissions de la RTLM dirigées contre le général Roméo Dallaire, commandant de la force onusienne au Rwanda (MINUAR), que le lendemain ou deux jours après cet entretien, de telles émissions auraient effectivement cessé. Alison Des Forges a soutenu que son interlocuteur lui a dit que cette information était contenue dans un télégramme diplomatique envoyé de Goma (Zaïre) à Paris par le chef de la Mission turquoise. La Chambre d’appel a pris cette décision malgré les protestations de la défense soutenant qu’aucun juge raisonnable ne pouvait condamner un accusé sur la base d’une preuve (ici le télégramme diplomatique) qui n’a jamais été produite et discutée devant la Chambre.

Les preuves de la défense non prises en compte

La défense de Nahimana avait fait prévaloir devant cette Chambre d’appel, qu’elle avait déposé une requête devant les juges de la Chambre de 1ère instance demandant au Procureur de produire ce télégramme diplomatique français. Le Procureur n’ayant pas répondu, les juges de cette Chambre de 1ère instance ayant décidé sans avoir eu devant eux ce télégramme, le devoir de la défense était : (1) de montrer à la Chambre d’appel que ces premiers juges avaient erré, et (2) de demander, par conséquent, l’acquittement de Ferdinand Nahimana. C’était clair et net.

La Chambre d’appel n’a pas pris en considération cet argument de la défense. Elle a, elle aussi, fait foi à la déposition d’Alison Des Forges ; elle a décidé sans avoir eu, vu, analysé ledit télégramme diplomatique et sans avoir vérifié s’il disait réellement que les émissions de la radio RTLM dirigées contre le général Dallaire avaient cessé, comme Des Forges l’avait laissé entendre. La Chambre d’appel a tout simplement soutenu que puisque ces émissions ont cessé, Ferdinand Nahimana avait réellement le contrôle sur les journalistes de cette radio, après le 6 avril 1994. Qu’il était donc coupable.

Comme on le voit, à la Chambre d’appel, en novembre 2007, le seul élément pris pour incriminer et condamner Ferdinand Nahimana est l’arrêt des émissions dirigées contre Dallaire, arrêt prétendument consécutif à l’injonction faite aux journalistes de la RTLM par l’accusé condamné.

Quand on lit les déclarations de Ferdinand Nahimana devant la Chambre de 1ère instance, on constate qu’il n’a jamais nié ses rencontres avec les diplomates français de la Mission turquoise basée à Goma (Zaïre). Cependant, il a toujours soutenu que la RTLM a cessé ses émissions au début du mois de juillet 1994 non pas à cause de son intervention auprès des journalistes de cette radio, mais à cause de la prise de Kigali par le FPR (Front patriotique rwandais), le 4 juillet 1994.

Face à cette injustice, la défense de Ferdinand Nahimana a cherché à obtenir des autorités françaises tous les télégrammes envoyés à Paris par la Mission turquoise, et faisant état d’entretiens entre les diplomates français et Nahimana, entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994. Après maints refus, le Ministère français des affaires étrangères a finalement communiqué à la défense quatre (4) télégrammes en précisant qu’ils étaient les seuls à mentionner les entretiens entre Ferdinand Nahimana et les diplomates de la Mission turquoise.

L’analyse de ces documents a montré à la défense qu’aucun mot ne permet de soutenir que les émissions de la radio RTLM ont cessé après un quelconque entretien entre les diplomates français de la Mission turquoise et Ferdinand Nahimana ni après une quelconque intervention de celui-ci auprès des journalistes de cette radio. Voilà pourquoi la défense a déposé, le 3/6/2015, devant le Président du MTPI, une requête en révision du jugement du 28/11/2007.

L’ouï-dire de Mme Alison Desforges

En effet, la découverte de ces télégrammes était en soi un fait nouveau car les juges ont pris la décision de condamner Ferdinand Nahimana sans les avoir demandé au Procureur et sans en connaître le contenu. Ils se sont purement et simplement appuyés sur l’ouï-dire de Madame Des Forges selon lequel un télégramme diplomatique français de la Mission turquoise mentionne l’arrêt des émissions de la RTLM suite à l’intervention de Ferdinand Nahimana.

Le contenu de ces télégrammes est aussi un fait nouveau car enfin, il indique qu’il n’y a rien qui permet d’affirmer qu’au début du mois de juillet 1994, Ferdinand Nahimana est intervenu auprès des journalistes de la RTLM pour faire cesser les émissions dirigées contre le général Dallaire.

Les juges de la Chambre d’appel constituée, le 8/9/2015, par le juge Theodor Meron, Président du MTPI et Président de cette « nouvelle » Chambre, avaient à vérifier ce fait essentiel, très important qui contredit le seul élément de preuve ayant justifié la décision de condamner Ferdinand Nahimana, le 28/11/2007. Ils l’ont fait. Ils ont conclu:

Para. 13 : « Sur ce point, la Chambre d’appel observe qu’aucun des télégrammes diplomatiques français présentés par Ferdinand Nahimana n’indique que les attaques contre la MINUAR et le général Dallaire ont cessé peu après que Ferdinand Nahimana a promis d’intervenir auprès des journalistes de la RTLM. En outre, il est dit dans le télégramme du 25 juillet 1994 que les engagements pris par les responsables qui ont rencontré l’ambassadeur Gérard de mettre un terme à la propagande de la RTLM et d’exercer une influence dans le bon sens sur les milices dans le but de faire cesser la violence en cours, n’étaient pas crédibles et n’ont pas été respectés. En conséquence, le témoignage d’Alison Des Forges selon lequel Ferdinand Nahimana serait intervenu avec succès auprès du personnel de la RTLM à la demande de l’ambassadeur Gérard ne repose sur aucune base factuelle. Ni la Chambre de première instance ni la Chambre d’appel du TPIR ne savait que cet aspect-là du témoignage d’Alison Des Forges – sur lequel la Chambre de première instance s’est fondée en partie pour conclure que Ferdinand Nahimana exerçait une autorité sur le personnel de la RTLM – ne reposait sur aucune base factuelle. Ainsi, l’information contenue dans les télégrammes, à savoir que l’ambassadeur Gérard ne croyait pas que ses interlocuteurs étaient crédibles et respectaient leurs engagements, constitue un fait nouveau. » (nous soulignons)

Para. 14 : « La Chambre d’appel admet en outre que Ferdinand Nahimana ignorait que le contenu des télégrammes diplomatiques ne permettait pas d’étayer la totalité du témoignage d’Alison Des Forges, pendant la procédure initiale, relativement à son intervention et qu’il ne l’a su que lorsque les télégrammes lui ont été communiqués par les autorités françaises en juin 2014. »

Devant ces conclusions claires, dans l’intérêt de la justice, et pour corriger l’injustice subie par Ferdinand Nahimana, la seule position qui s’imposait aux juges de la Chambre d’appel du MTPI était d’ordonner l’ouverture de la procédure de révision de l’arrêt du 28/11/2007.

Lorsque les juges demandent au prisonnier d’aller chercher les preuves …

Au lieu d’agir ainsi, les juges de cette Chambre d’appel (de 2015), sans doute pour ne pas déjuger leurs collègues de la Chambre d’appel de 2007 dont le président Theodor Meron faisait partie, a prétexté que Ferdinand Nahimana n’a pas usé de toute diligence pour trouver ces télégrammes :

Para. 14 : « La Chambre d’appel n’est toutefois pas convaincue que Ferdinand Nahimana a agi avec toute la diligence voulue pour découvrir l’existence de ces télégrammes et les présenter. Pour commencer, Ferdinand Nahimana, qui avait connaissance de l’existence de ces télégrammes à l’époque de son procès, n’en a demandé la communication au Ministère français des affaires étrangères que le 13 janvier 2014, soit près de sept ans après la clôture de la procédure engagée contre lui. La Chambre d’appel reconnaît que la Chambre de première instance a laissé entendre au procès que ces éléments de preuve n’étaient pas pertinents pour l’affaire. Cela ne saurait toutefois justifier le fait que Ferdinand Nahimana n’a pas fait preuve de toute la diligence voulue pour obtenir ces documents pendant la procédure d’appel et pour en demander le versement au dossier en tant qu’éléments de preuve supplémentaires, en particulier étant donne que la Chambre de première instance s’était, de toute évidence, finalement appuyée sur la déposition d’Alison Des Forges pour le déclarer coupable en première instance. » (nous soulignons)

Mauvaise foi et honte d’une justice qui se veut internationale

Ici, les juges ont fait montre de mauvaise foi, de mauvaise volonté et de refus manifeste de rendre justice :

  • Premièrement, c’est précisément parce la Chambre de première instance s’était appuyée sur le témoignage de Des Forges pour condamner Nahimana que celui-ci a fait appel de cette décision en demandant aux juges d’appel de l’infirmer puisque les premiers juges s’étaient basés sur un ouï-dire non appuyé par une preuve probante. En l’occurrence, parce qu’ils n’avaient pas eu ni du témoin ni du Procureur le télégramme évoqué dans le rapport d’expert déposé et défendu par le témoin expert Alison Des Forges.
  • Deuxièmement, la charge de la preuve du fondement du témoignage d’Alison Des Forges ne pesait pas sur l’accusé Ferdinand Nahimana pendant le procès en appel, mais sur le Procureur qui avait cité le témoin expert Alison Des Forges.
  • Troisièmement, le statut du TPIR/MTPI ne circonscrit pas la période limite au cours de laquelle le condamné doit demander la révision du jugement ; seule l’accusation (le Procureur) est contrainte de demander cette révision, si elle le veut, endéans une année à partir de la date du prononcé du jugement par la Chambre de 1èreinstance ou de l’arrêt de la Chambre d’appel.
  • Quatrièmement, l’accusé a fait ce qu’il fallait faire au cours de la procédure en 1ère instance car il a déposé devant les juges la requête demandant au Procureur de communiquer le télégramme mentionné par Alison Des Forges dans son rapport d’expert. Le Procureur n’y a pas répondu. Les juges ont pris, contre le Procureur, la décision de ne pas laisser comparaître les auteurs de ce document supposé car, ont soutenu ces juges, le témoignage de ces témoins n’allait pas prouver l’existence de contrôle effectif de l’accusé sur les journalistes de la RTLM après le 6 avril 1994.
  • Cinquièmement, Ferdinand Nahimana a exercé le droit que lui reconnaît le statut du TPIR/MTPI de demander la révision de l’arrêt de la Chambre d’appel dès qu’il a été en possession des télégrammes diplomatiques français et qu’il a constaté que leur contenu contredisait totalement l’ouï-dire d’Alison Des Forges. Les juges de la Chambre d’appel constituée par le président du MTPI, le juge Theodor Meron (lui-même juge à la chambre d’appel de 2007 ayant condamné Ferdinand Nahimana, de nouveau membre de la chambre d’appel qu’il a formée le 8 septembre 2015), n’étaient absolument pas autorisés à rejeter sa demande en prétextant qu’il l’a déposée plusieurs années après la clôture du procès.
  • Enfin, les juges de la nouvelle Chambre d’appel présidée par Theodor Meron ont outrepassé leur compétence en reformulant la raison de condamnation arrêtée par la Chambre d’appel, le 28/11/2007. Cette Chambre d’appel a condamné Ferdinand Nahimana parce que, selon les dires d’Alison Des Forges, il était intervenu pour faire cesser les émissions de la RTLM dirigées contre le général Dallaire. Que ce seul fait prouvait donc son contrôle sur les journalistes de cette radio après le 6 avril 1994. Les juges de la Chambre d’appel de 2015 ayant constaté que la décision de condamnation prise le 28/11/2007 ne reposait sur « aucune base factuelle »,avaient plutôt le devoir d’ordonner la révision de la décision de 2007 au lieu de prétendre que le fait pour Nahimana d’avoir discuté de la RTLM avec les diplomates français était la preuve de son contrôle continue sur cette radio après le 6 avril 1994. Décidément, les juges présidés par Theodor Meron, et Meron lui-même, ont été gênés par la découverte du fait nouveau qu’ils ont pourtant reconnu ; ils ont maladroitement cherché à justifier leur refus de rendre justice à Ferdinand Nahimana.

La décision du 16/12/2015 est une honte pour la justice pénale internationale. C’est aussi une honte pour le Conseil de Sécurité de l’ONU qui a créé le TPIR/MTPI. La justice est là pour punir les coupables ; elle est là aussi pour libérer les innocents. Le fait nouveau découvert par Ferdinand Nahimana et reconnu clairement par les juges aurait dû décider le MTPI à corriger l’injustice subie par cet homme qui croupit derrière les barreaux de la prison de l’ONU depuis bientôt 20 ans.

Cette décision vient de montrer que Ferdinand Nahimana est victime d’une injustice hors norme.

Les hommes et les femmes épris de justice devraient se lever, enquêter pour savoir les raisons cachées d’un tel acharnement contre lui au moment où la vérité est plutôt de son côté. Ils devraient exiger, haut et fort, que justice lui soit rendue.

Espérons que les associations de défense des droits de l’homme et celles des Avocats de la défense vont se lever pour réclamer, en faveur de cet homme, le droit à une justice équitable.

Guy Certain, 21.12.2015