France/Rwanda – Simbikangwa : Un procès boomerang ?

Les associations militant pour les victimes du génocide rwandais ont accueilli avec satisfaction l’ouverture, à Paris, du procès de Pascal Simbikangwa, un ancien capitaine de l’armée rwandaise accusé de complicité de génocide. Une première en France. Mais après quelques jours seulement, on perçoit un certain malaise, et non seulement en raison de l’état physique de l’accusé (un handicapé en fauteuil roulant depuis 1986). L’homme se révèle d’une étonnante combattivité qui pourrait, au fil du temps, transformer le procès en plaidoyer contre le régime actuel de Kigali.

Ainsi, profitant de la faiblesse des charges retenues contre lui, il pourrait rouvrir le débat sur les crimes du régime de Paul Kagamé qui, eux, restent indéfiniment impunis. Dans l’opinion, il n’est pas exclu que le procès se retourne contre ceux qui l’auront initié.

Il reconnaît le génocide des Tutsis mais…

En effet, d’emblée, Simbikangwa reconnaît le génocide des Tutsis qu’il qualifie de « réel et incontestable ». La partie civile est rassurée mais se retrouve privée de la possibilité de crier au « négationnisme ». C’est une mise en cause qui fait souvent caisse de résonnance et qui aurait pu donner de la consistance à un procès reposant essentiellement sur des témoignages difficiles à recouper. A six mille kilomètres des scènes de crime et vingt ans après les faits…

Dans la foulée, l’accusé fait remarquer que c’est le Front Patriotique Rwandais (actuel parti au pouvoir)qui s’était livré le premier aux massacres contre les populations hutues, dès 1990, des massacres qui se sont poursuivis au Rwanda après la prise de Kigali et au Congo où étaient réfugiées des populations hutues.

Il n’aura pas la peine de prouver ses affirmations tellement les ONG et les enquêteurs de l’ONU ont produit des rapports détaillés sur les crimes perpétrés par les autorités actuelles de Kigali, au Rwanda même[1] et au Congo[2] sans compter les multiples rapports sur les massacres et les viols dans l’Est du Congo par les autorités de Kigali sous couvert de rebellions comme le M23.

La réaction de la partie civile, alignée au pouvoir de Kigali, c’est du classique. Elle dénonce la « théorie du double génocide » qu’elle associe au « négationnisme ». Difficile de convaincre des cerveaux normalement constitués que la dénonciation d’un crime équivaut à la négation d’un autre.

Génocide des Tutsis ou génocide rwandais ?

En tout cas, l’accusé ne s’embarrasse pas et affirme qu’il y a eu deux génocides et que « le génocide des Tutsis ne peut pas effacer le génocide des Hutus beaucoup plus étendu ». Il relève, au passage, l’efficacité des campagnes de désinformation menées par le Front Patriotique Rwandais qui ont abouti à la consécration, dans la conscience collective, d’un seul martyre : le martyre des Tutsis, loin d’une réalité sur terrains beaucoup plus complexe.

C’est que toutes les composantes de la société rwandaise furent massivement affectées par des massacres qu’il est plus honnête de qualifier de « génocide rwandais » et non seulement de« génocide des Tutsis ». Histoire de ne pas hiérarchiser la souffrance des victimes sur des bases ethniques et contribuer à perpétuer dangereusement les frustrations dans une société qui peine toujours à se réconcilier avec elle-même.

Des Français ordinaires comme jurés

La configuration du procès aux assises avec un jury composé de « Français ordinaires » pourrait contribuer à explorer de façon dépassionnée les aspects d’une affaire dans laquelle la personnalité, modeste, de l’accusée comptera pour beaucoup. Et ce, en contraste avec les impératifs du rapprochement diplomatique et un certain parti pris défavorable des « médias du système » qui, depuis le génocide, fonctionnent en harmonie avec le régime de Paul Kagamé.

Sur cet aspect, Xavier Philippe[3], professeur de droit international pénal, semble anticiper la difficulté qu’il y aura à faire aboutir un procès en assises avec un jury composé de gens ordinaires. Il rappelle l’expérience des juridictions pénales internationales dont aucune n’a eu recours au système des jurés, les décisions étant rendues par des juges professionnels.

Mais on est encore loin de la décision judiciaire. Pour l’instant, il s’agit de gérer médiatiquement un procès dans lequel l’accusation semble confrontée à quelques difficultés, et non les moindres. Il faudra fournir des preuves irréfutables attestant de la « participation de l’accusé » et démontrant qu’« il savait et voulait détruire un groupe ethnique », en l’occurrence, « les Tutsis », pour parler « droit » tel qu’il ressort desdispositions du Statut de Rome[4].

Maman tutsie, Madame tutsie : un profil qui désarçonne

Une tâche que le profil de l’accusé n’est pas de nature à faciliter. En effet, Simbikangwa est né d’une mère tutsie et était marié à une femme tutsie[5], mariage dont naquit une fille. Difficile, dans un cas comme celui-ci, de recourir à la théorie, qui a fait mouche dans les médias, selon laquelle il y aurait uneanalogie entre le génocide des Tutsis et le génocide des Juifs. Un Nazi qui serait né d’une mère juive et marié à une Juive… Non, on ne tentera pas un coup aussi énorme. Que resterait-il alors pour produire un impact médiatique autour de ce procès ? Pas grand-chose.

En définitive, ce procès pourrait tout à fait se transformer en une tribune contre le régime autocratique de Kigali et produire, au fil des jours, un effet boomerang contre ceux qui se sont employés à traîner en justice un paraplégique cloué dans un fauteuil roulant depuis 1986, soit huit ans avant le début du génocide. Sauf, bien entendu, preuves accablantes.

Affaire à suivre…

Boniface MUSAVULI