France/Rwanda-Francophonie ou la caricature d’une nouvelle forme de colonisation de l’Afrique

La désignation de la rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie fait toujours couler d’encre. Le récent article paru dans le journal canadien « L’eau vive » du 22/11/2018 en est une parfaite illustration. Dans ce cadre, Emmanuel Neretse revient sur le processus de cette désignation en analysant les marchandages qui l’ont accompagnée. Ils sentent les relents du néocolonialisme français en Afrique.
MG.

Le deal entre la France d’Emmanuel Macron et le Rwanda de Paul Kagame concrétisé en octobre 2018 à Erevan en Arménie en confiant la direction de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) à une proche du dictateur rwandais anglophone et francophobe Paul Kagame illustre le degré d’infantilisation des potentats africains au mépris de leurs peuples et pour servir les intérêts des puissances qui se partagent le monde dont la France en ce qui concerne l’Afrique.

En choisissant et en imposant ( elle n’a pas été élue selon l’exigence de la France) la rwandaise Louise Mushikiwabo comme la prochaine Secrétaire Générale de l’OIF, le schéma de raisonnement du huitième président de la Ve République Française a l’avantage d’être clair et réaliste :

–         La France qu’hérite le jeune Emmanuel Macron est une puissance moyenne en déclin ;
–         Son influence en Afrique s’est effritée après la guerre froide au profit des puissances anglo-saxonnes ;
–         Le constat amer : un petit pays de part sa taille et son poids économique exerce dans sa région en Afrique une influence disproportionnée à cause du soutien inconditionnel dont il bénéficie de part les puissances anglo-saxonnes  qui y ont installé une dictature assise sur une minorité ethnique qui a chassé militairement un régime démocratique et qui fut longtemps l’allié de la France avant de le laisser tomber en 1994 ;
–         La seule conclusion logique et pragmatique est que pour prétendre exercer encore une influence dans la région et en Afrique en général, il faut composer avec le dictateur Paul Kagame installé et soutenu inconditionnellement par les USA, la Grande Bretagne et Israël .

Dans ce marchandage, Emmanuel Macron n’avait pas beaucoup de choix sur de quoi mettre sur la table face à Paul Kagame :

–         L’instrument qui reste aux mains de la France pour affirmer sa puissance et appuyer sa diplomatie pour peser sur les affaires du monde surtout en Afrique reste la Francophonie. La direction de l’OIF fut donc offerte à Kagame ;
–         Le dossier judiciaire qui met en cause  Kagame lui-même et ses proches sur l’attentat du 06 avril 1994 qui fut l’élément déclencheur de ce qui sera appelé  « génocide » dans lequel deux chefs d’Etats africains trouvèrent la mort et surtout trois citoyens français en mission commandée et dont les familles demandent justice depuis des années serait classé sans suite. Il suffira de donner injonction au Parquet de requérir un non-lieu, un droit reconnu au gouvernement contrairement à celui de donner injonction aux juges, ce qui fut fait dès le 10 octobre 2018 , en espérant que les juges d’instruction percevront le clin d’œil de l’Elysée et abonderont dans le sens de cette requête.

Pour la carte de l’OIF, la tâche s’annonçait ardue . Même si cette organisation est de toute évidence un instrument aux mains du président français, il faillait convaincre le Canada, à qui elle avait été provisoirement confiée en 2014 de s’éclipser face au nouvel élu de Paris qu’est le Rwanda de Paul Kagame. Ensuite, il fallait empêcher certains Etats de ne pas jouer les trouble-fêtes en présentant leurs candidats souvent plus costauds que celui de Paul Kagame. Ce qui conduirait à procéder au vote qui ne garantirait pas le choix de Macron et égratignerait au passage le fallacieux principe de « désignation par consensus » du Secrétaire général de l’OIF. Il a donc fallu à Emmanuel Macron de batailler, de magouiller de menacer et d’acheter…pour que son choix soit avalisé le 12 octobre 2018 à Ereevan en Arménie.

photo « L’eau vive » du 22/11/2018

Pour convaincre le Canada de jeter l’éponge en retirant le soutien à la Secrétaire générale sortante qui pourtant n’a pas démérité et sollicitait un second mandat, Emmanuel Macron a promis au Canada un siège non permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU en 2020. Sa candidature serait alors soutenue par les anciennes colonies françaises d’Afrique qui se présentent sous le parapluie de l’Union Africaine et dont les voix sont déterminantes. Le Canada ne soutenant plus sa ressortissante , un pas était franchi pour éviter une élection qui se réduirait à un bras de fer entre Justin Trudeau et son ami Emmanuel Macron.

En ce qui concerne les  Africains, Emmanuel Macron, de concert avec Paul Kagame qui se trouvait être président en exercice de l’Union Africaine (UA) pour 2018, ils ont opéré un hold-up médiatico-diplomatique pour forcer le « soutien unanime » de la rwandaise par l’UA. Sans aucune consultation et encore moins sans aucun débat, la réunion ministérielle préparant le sommet des chefs d’états à Nouakchott de mai 2018 et qui fut présidée par Louise Mushikiwabo, la même ministre rwandaise candidate pour l’OIF, a sorti un communiqué dans ce sens qui qui fut endossé par le président de la Commission, le tchadien Moussa Faki Mahamat, qui était depuis longtemps dans le coup, travaillé qu’il était par Emmanuel Macron.

Pour amortir le choc, les Etats membres de l’UA susceptibles de faire du bruit autour de ce hold-up furent approchés un à un et selon le degré de risque que chacun représentait , et ils furent payés en conséquence ou posèrent leurs conditions pour qu’ils laissent Emmanuel Macron donner l’OIF à Paul Kagame en leurs noms.

La République Démocratique du Congo : RDC

Comme le plus grand pays francophone d’Afrique et même du monde, la RDC pourrait réclamer son mot à dire dans le choix du patron ou de la patronne de l’OIF à défaut de présenter son propre candidat. Et quand c’est une candidature rwandaise qui est proposée, ce pays envahi deux fois par le même Rwanda et dont la partie Est reste sous le contrôle de ce petit pays,  la RDC pourrait jouer les trouble-fêtes et tenter de dénoncer ce consensus imposé. La RDC a donc été approchée par la diplomatie française et des garanties auraient été données comme quoi le processus électoral en cours ne serait pas dénoncé ou saboté et que le Rwanda ne profiterait pas de cette période pour déstabiliser davantage la RDC déjà chaotique.

Le Congo Brazzaville

Ce pays, donc le candidat à ce poste,  l’ambassadeur et ancien Premier Ministre Henri Lopes, très compétent et que tous voyaient taillé pour ce poste,  il avait été écarté en 2014 notamment par la France pour laisser le champ libre à la canadienne. Le Congo Brazza pourrait jouer les trouble-fêtes en faisant valoir son droit de présenter encore un candidat. Pour qu’il se tienne tranquille et laisser la rwandaise succéder à la canadienne soi-disant avec le soutien de tous les Africains , Emmanuel Macron a accordé à Denis Sassou Nguessou de ne plus évoquer sa longévité au pouvoir et surtout de ne pas faire échos aux dénonciations de sa dictature par  ses opposants vivant en France.

Le Burundi

Le Burundi, qui est en froid avec le régime rwandais, serait prompt à jouer les trouble-fêtes et donc à dénoncer ce soi-disant consensus imposé. Pour qu’il ne présente pas de candidat comme en 2014 quand il poussait le Major Pierre Buyoya. Le régime de Pierre Nkurunziza été prié par Emmanuel Macron de se tenir tranquille. En contrepartie, le Burundi a demandé à la France de modérer le zèle de la Belgique au sein de l’UE dans son entreprise de déstabilisation en vue du renversement du régime de Pierre Nkurunziza qualifié par Bruxelles de « régime hutu » par le puissant lobby de Louis Michel qui a juré de son renversement. On verra si Bujumbura aurait obtenu qu’Emmanuel Macron œuvre pour la levée des sanctions injustes de l’UE qui frappent ce pays depuis 2015. Si tel était le cas, le soutien compréhensible de la rwandaise à la tête de l’OIF par le Burundi en vaudrait le coup.

Le Cameroun

Ce pays plus bilingue ( Français-Anglais) comme le Rwanda de Paul Kagame, regorge de potentialités individuelles pour pouvoir prétendre au poste de Secrétaire général de l’OIF. Et donc il serait tentant pour le Cameroun de jouer les trouble-fêtes à Emmanuel Macron en dénonçant le consensus s’il n’était pas calmé. Ainsi donc le Cameroun aurait obtenu que l’élection de Paul Biya (85 ans) à un septième mandat le 08 octobre 2018  avec plus de 71% de suffrages  ne soit pas l’objet de critiques malveillantes de la France et de ses alliés occidentaux, mais plutôt saluée en félicitant le président élu. Ce qui fut le cas.

Le Mali

Les dirigeants de ce pays qui avaient imprudemment manifesté leur sympathie envers la Secrétaire générale de l’OIF sortante ont été rappelées à l’ordre par Emmanuel Macron qui leur a rappelé que l’existence même de l’Etat du Mali dans sa forme actuelle était suspendue sur l’intervention militaire de la France à travers l’opération Barkhane. Ils ont alors fait profils bas et ont demandé pardon.

La Tunisie

Ce pays qui peine à sortir du chaos, sort qui lui était destiné tout comme son voisin la Libye, qui lui n’a pas survécu comme Etat , et qui pourrait tenter de contrer le diktat de la France dans la désignation de la Secrétaire générale de l’OIF, a été rappelé à l’ordre et a reçu en contrepartie des postes dans la direction de cette organisation.

Le Bénin

Ce pays, qui  est le plus démocratique parmi ceux du pré-carré français et  qui regorge de cadres compétents pouvant revendiquer la direction de l’OIF, a été calme par Emmanuel Macron en lui promettant que peut-être le mandat après la rwandaise serait béninois.

Madagascar

Ce pays, qui assure en 2018 la présidence en exercice de l’organisation et donc qui devait réceptionner formellement  les candidatures, a été instruit de décourager les candidatures spontanées et de se réfugier derrière le soi-disant consensus de l’UA de Nouakchott derrière la rwandaise. En contrepartie, les élections de novembre et décembre  recevraient la bénédiction de la même OIF et surtout de la France et de l’Occident quel qu’en soit les résultats et le déroulement.

 Ainsi donc, avec la désignation de Louise Mushikiwabo à la tête de l’OIF , avec un « soutien unanime » de tous les états de l’UA, tout le monde est heureux. Des régimes qui ne trouvaient aucun moyen de demander à la France de les laisser impunément réprimer leurs peuples ou de ne plus être trop regardant sur leurs violations des Droits de l’Homme ont reçu sur un plateau d’argent ces offres de la part de la France  et sans trop d’efforts.

Voilà donc comment le nouveau président français Emmanuel Macron entend utiliser l’OIF pour raffermir son influence en Afrique et surtout dans la région des Grands Lacs où le dictateur rwandais Paul Kagame règne en maître absolu depuis un quart de siècle fort du soutien des Etats-Unis d’Amérique, de la Grande Bretagne et surtout d’Israël. Emmanuel Macron sait bien qu’un pion de ces puissances reste incontournable dans n’importe quelle région du monde.

Selon la sagesse rwandaise, un homme imprudent a accepté de porter un loup sur son dos… Devinez la suite.
photo originale : montjalinews

Se sachant courtisé, le dictateur Paul Kagame entend faire chanter la France pour qu’elle reconnaisse sa responsabilité dans ce qui fut appelé « génocide rwandais » avec des réparations financières à la clé. C’est dans ce cadre qu’il faut placer sa visite annoncée pour début 2019 à Kigali pour demander publiquement pardon au nom de la France. Il serait même prêt à livrer à Kagame des personnalités politiques et militaires que celui-ci accuse d’avoir trempé dans le génocide rwandais car ayant  collaboré avec le régime dit « hutu » renversé en 1994 par la rébellion tutsi venue d’Ouganda. Mais dans l’urgence , il faudrait que le dossier sur l’attentat terroriste du 6 avril 1994 ayant déclenché ce « génocide » et dont est saisi la Justice française depuis des années soit classé sans suite. Ce qui est en bonne voie depuis octobre 2018 avec la réquisition définitive du Procureur qui va dans ce sens.

Au  passage , la rwandaise Louise Mushikiwabo prend dès janvier 2019 les rênes d’une organisation dont les moindres postes administratifs auront été distribués en vue de sa désignation. Ainsi, de son Directeur de Cabinet jusqu’au portier du siège de l’OIF au 19-21, Avenue Bosquet à Paris, en passant par les Chefs de départements et même les consultants, tout aura été distribué en avance  aux Etats lors du marchandage sur le fameux « consensus ». On n’est même pas sûr qu’elle parviendra à caser son mari un américain pur  WASP* ne parlant pas un mot de français, s’il accepte de la suivre à Paris.

Quant aux orientations stratégiques et à l’impact de l’OIF, la rwandaise en restera étrangère et seul Emmanuel Macron  en aura l’agenda. La pauvre Louise Mushikiwabo ne sera donc qu’une simple « agent » préposée au guichet d’une boutique néocoloniale de la France et à qui échappe, et la conduite journalière des affaires, et la vision stratégique de l’organisation.

Ainsi va le nouveau monde de la « mondialisation » dont est issu Emmanuel Macron et  dominé par la Finance mondiale et les médias aux mains des mêmes groupes. Heureux ceux qui l’ont compris ou y ont été associés avant les autres comme un certain Paul Kagame et malheur à ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis.

Emmanuel Neretse
26/11/2018