Francophonie: Les Canadiens refusent de rencontrer Kabila

(KINSHASA, République démocratique du Congo) Le gouvernement Marois refuse de rencontrer l’hôte du 14e sommet de la Francophonie, le président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila, qui a un sombre bilan en matière de droits humains. Il veut plutôt «donner un élan» à l’opposition et aux organisations non gouvernementales (ONG) afin de favoriser le «retour à la démocratie».

Lors d’un point de presse à Kinshasa jeudi, le ministre canadien des Relations internationales, Jean-François Lisée, a reconnu que le lieu du sommet est «problématique». Comme il l’a rappelé, Joseph Kabila a été réélu l’an dernier à la suite d’un scrutin «truffé d’irrégularités».

«Que personne ne se méprenne sur le sens de notre présence ici. On n’est pas là pour légitimer la dernière élection présidentielle, mais pour accompagner la société congolaise vers plus de démocratie», a affirmé Jean-François Lisée.

Certes, la «capacité d’intervention» du Québec est limitée. «Mais sur le discours diplomatique, on est assez raide, assez clair», a-t-il indiqué.

La première ministre Pauline Marois, qui doit arriver à Kinshasa jeudi soir, rencontrera des représentants de l’opposition et des ONG. Mais pas Joseph Kabila. «C’est un choix. On va être poli, civil. On va le croiser. Et on remercie le gouvernement de RDC pour l’organisation du sommet. Mais le signal qu’on veut envoyer, c’est un retour à la démocratie», a dit M. Lisée. Il rencontrera le ministère congolais des Affaires étrangères. Il a assuré qu’il tiendra devant lui le même discours que celui qu’il a devant les caméras.

Dans un discours devant la Conférence ministérielle de la Francophonie, M. Lisée a affirmé que «la barbarie n’a cessé de progresser» au cours des dernières années. «La Francophonie, rassemblée en Afrique centrale, doit apporter sa voix à ce combat en faveur des droits de la personne. Face à leurs violations répétées, ne jamais baisser les bras. Ne jamais se résoudre au silence ou à l’impuissance», a-t-il dit. Selon lui, la déclaration finale du Sommet sera ferme au sujet du respect des droits de la personne.

Après avoir longuement hésité, le président français François Hollande se rendra finalement au Sommet. Il a déclaré plus tôt cette semaine que «la situation est tout à fait inacceptable sur les plans des droits et de la démocratie en RDC», ce qui a irrité Kinshasa.

Le secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf, a justifié récemment l’organisation du sommet à Kinshasa en déclarant que l’opération contribuera à «tirer la RDC vers le haut». La décision de tenir le Sommet à Kinshasa a été prise en 2008, à Québec.

Recul du français à Montréal

Le Québec se présente le plus souvent comme un modèle au chapitre de la langue lors des sommets de la Francophonie. Cette fois, dans son discours devant la Conférence ministérielle, Jean-François Lisée a parlé ouvertement du «recul» du français dans la métropole québécoise. «À Montréal, centre économique et culturel de la Francophonie des Amériques, le français est en perte de vitesse. L’évolution démocratique laisse entrevoir un inéluctable déclin dans un proche avenir. La bataille du français n’est pas gagnée», a-t-il affirmé.

En point de presse, il a expliqué sa sortie: «Je suis contre la langue de bois. Je sus contre le fait de dire que tout va bien quand tout ne va pas bien. Si on appelle les pays francophones à plus de vigilance et de travail pour le français, on doit dire que chez nous, il y a du ménage à faire. Nous ne sommes pas dans un nirvana francophone au Québec. On est encore dans le combat».

Québec trouve que l’OIF est «trop conciliante» et devrait être «un peu plus attentive pour ne pas dire sévère» quant à la situation du français dans les pays membres de l’OIF. Il souhaite qu’il y ait des «conséquences» sur le statut au sein de l’OIF contre les pays qui négligent clairement le français.

Les membres de l’OIF doivent adopter – pour la première fois – une politique de défense et de promotion du français dans le monde.

Organisation difficile

Kinshasa accueillera 3000 délégués provenant de 75 États – 56 membres de l’OIF et 19 observateurs. L’organisation du Sommet représente tout un défi. Les infrastructures sont déficientes. Et le pays est très pauvre: les trois quarts des Congolais vivent avec moins d’un dollar par jour.

Les autorités sont de toute évidence débordées. Les forces sécurité sont omniprésentes dans toute la ville. Les bidonvilles défilent sur la route, congestionnée presque en permanence, qui mène au Palais du peuple, où les chefs d’État et de gouvernement se réuniront à compter de vendredi. Le luxe des nouveaux hôtels tranche avec la vétusté des infrastructures avoisinantes.

Le numéro deux de l’OIF, Clément Duhaime, a déclaré mercredi que la RDC «étonnera le monde» avec ce sommet.

La RDC est le cinquième pays le plus dangereux du monde, selon l’Indice mondial de paix réalisé par l’Institute of Economics and Peace, basé en Australie et aux États-Unis.

Alors que les délégations arrivent à Kinshasa, des violences ont cours dans l’est de la RDC. À la suite d’un affrontement contre les forces armées congolaises, des rebelles viennent de s’emparer du village de Bilulu, dans la province du Nord-Kivu. Au moins quatre personnes ont été tuées, a rapporté Radio Okapi.

Avec ses quelque 70 millions d’habitants, la RDC est le pays le plus populeux du monde à avoir le français comme langue officielle