Grands Lacs: La Tanzanie après le Zimbabwe?

Les Présidents Robert Mugabe et John Magufuli pendant l'investiture de ce dernier au stade Uhuru de Dar es Salaam en Tanzanie le 05 Novembre 2015

Par Pierre Rugero

Karigamombe. Ce nom ferait partie d’une question d’examen que seulement peu d’Africains y répondraient. C’est pourtant l’autre nom de Mugabe, l’ex-président du Zimbabwe démis de ses fonctions après un interminable bras de fer avec un Occident emmené par la Grande Bretagne. Robert Gabriel Karigamombe Mugabe, on le sait aujourd’hui, a fait face à la traîtrise, à la condescendance et à l’agression des nostalgiques de la colonisation ainsi que les tenants à Londres (et ailleurs) de l’arrogance impérialiste. Mugabe s’est battu contre ces derniers et a décroché l’indépendance de son pays avec une promesse (tenue) de ne pas s’en prendre aux fermiers blancs de son pays (3%) qui détenaient une grande partie des terres (40%). C’est alors que par la voix de Clare Short, une ministre de la Reine Elisabeth, la Grande Bretagne renia la signature apposée aux accords de Lancaster House, ceux-là mêmes qui garantissaient les bonnes conditions de la réforme agraire à venir. Le Mugabe « docile » reprit du poil de la bête et la Perfide Albion dut répliquer par l’imposition de sanctions parmi les plus cruelles jamais imposées à un pays. En ce début 2019, pourquoi revenir sur ce conflit ?

Dans son « Discours sur le colonialisme » (Présence africaine, Paris 1955), Aimé Césaire écrivait déjà que « Les colonisés savent désormais qu’ils ont sur les colonialistes un avantage. Ils savent que leurs « maîtres » provisoires mentent. Donc que leurs maîtres sont faibles ». Apparemment, certains de ces anciens maîtres n’ont pas bien assimilé leur leçon et croient toujours vivre dans les années 50 ; c’est à se demander s’ils ne veulent pas la peau de Magufuli après avoir loupé celle de Mugabe. Tenez : il n’y a pas de semaine depuis au moins un trimestre sans que leur presse ne titre à peu près ceci : « La Tanzanie dans la ligne de mire de ses bailleurs » (Le Point Afrique), « Tanzanie : bailleurs et donateurs perdent patience face à la dégradation des droits de l’homme », « Tanzanie : quand le pouvoir autoritaire de John Magufuli inquiète… » (Jeune Afrique), « Tanzanie: le président inquiète les bailleurs de fonds et les milieux d’affaires » (RFI Afrique), «Tanzanie: bailleurs et donateurs perdent patience face au président Magufuli » (La Croix), etc. Cela ne peut plus guère surprendre car leurs attaques commencent si souvent de la même façon : en affirmant, en soutenant, en répétant tout l’inverse de ce qu’ils louaient hier encore ; ici : « La Tanzanie, pays préféré des bailleurs de fonds (Le Monde, octobre 2005). Alors, la Tanzanie après le Zimbabwe ?

En plus d’avoir débarrassé le continent des extravagances et autres frasques du légendaire Idi Amin Dada, le pays du Mwalimu Nyerere est en effet, sur le plan africain, couvert par la gloire d’avoir servi d’importante base arrière pour tous les mouvements de libération de l’Afrique australe lorsque cette dernière ployait sous le double poids des boers racistes ainsi que des colonisateurs portugais et anglais. Dans une région aux turbulences régulières, la Tanzanie jouit d’une stabilité politique plutôt enviable, ce qui a sans doute un rapport étroit avec son évolution sur le plan économique. Le site www.afrique.latribune.fr écrivait ainsi en août 2018 que « ces dernières années, l’Etat tanzanien a connu une reprise de son économie avec un taux de croissance économique annuel de 7%. Un succès que le pays doit notamment aux mesures d’austérité imposées par le président Magufuli, pour réduire les dépenses pouvant être évitées et rétablir la discipline au gouvernement et à la fonction publique pour augmenter la transparence et la responsabilité ». Longtemps classé parmi les économies planifiées, le pays est en passe de réussir sa transformation et cela se ressent concrètement au niveau des ménages. Il y a donc lieu de se demander ce qu’éprouvent comme sentiment les décideurs occidentaux face aux pays africains qui s’en sortent et dont les présidents, comme JPM (Magufuli), ne font presque jamais les capitales européennes, laissant cette responsabilité à son ministre d’Affaires étrangères ?

Sous un discours alambiqué, les capitales occidentales cachent mal qu’elles sont en train de mettre en place des sanctions contre la Tanzanie. Le Danemark (10 millions de dollars), l’Union européenne (100 millions) et même le Banque mondiale (300 millions) ont gelé (ou proposé de le faire) des fonds destinés à différents projets tanzaniens. Motif : les droits de l’homme ou plutôt ceux de la petite communauté d’homosexuels tanzaniens que Paul Makonda le commissaire général de Dar Es Salaam a vertement critiquée, allant jusqu’à les déclarer indésirables dans la capitale. En réalité, la Tanzanie est en train de faire les frais de la guéguerre entre Occident et Chine, ce dernier étant un allié presque traditionnel de la Tanzanie et des pays de l’ancienne ligne de front. Voilà pour la vision globale du tableau. Au plan strictement régional, l’incertitude qui plane sur 4 au moins des voisins de la Tanzanie dans un avenir très proche suscite l’inquiétude de cette attitude des adeptes de « sanctions » autant qu’elle appelle à la dénonciation de cette approche déstabilisatrice. Il y a la véritable bombe à retardement que constituent les élections présidentielles en RDC, il y a, comme vient de le rappeler le président rwandais Paul Kagame, les relations exécrables de son pays avec le Burundi et, dans une moindre mesure, avec l’Ouganda. Une poudrière que n’importe quelle étincelle pourra embraser. Que gagnent donc ceux qui veulent ralentir ou perturber le « calme » de la Tanzanie, seule pôle de stabilité ?

C’est là que l’on ne comprend pas du tout la logique d’anciens « maîtres » de l’Afrique ou plutôt que l’on découvre la constance de leur jubilation dans la déliquescence des sociétés africaines : hier en Libye et au Zimbabwe, aujourd’hui au Congo et demain (peut-être) en Tanzanie. A chaque fois qu’il y en a un qui sort la tête hors de l’eau, il se trouve immédiatement, comme par hasard, des experts de l’orthodoxie financière et de la bien-pensance politique pour troubler la fête. Ils mentent, les Occidentaux ; les Amérindiens disaient si justement d’eux qu’ils avaient une langue fourchue. C’est cette même duplicité qui est à la base du mouvement des « gilets jaunes » et autres phénomènes populistes en Europe. Comme pour exorciser leur impuissance à régler cette « révolution » chez eux, dans leurs « démocraties » de plus en plus contestées, certains cols blancs n’ont rien d’autre à faire que d’œuvrer à l’étranglement de certains pays africains jusqu’à ce qu’instabilité s’en suive. Comme lorsqu’à l’époque de leurs guerres commerciaux et religieux, ils ont essaimé le continent en y exportant un nazisme qui, ironiquement, leur explosera à la figure des siècles plus tard.

Prenant la parole un jour au cours du forum économique Afrique du Sud-Zimbabwe organisé en Afrique du Sud (avril 2015), Mugabe eut ces mots : « Mais l’enjeu est juste de renverser le leadership pour que l’Occident puisse contrôler les ressources naturelles. Vous avez vu ce qui s’est passé quand ils [les Occidentaux] ne peuvent pas enlever une personne du pouvoir : ils commencent à élaborer des mensonges à son égard… ». Ressources naturelles. Celles-là mêmes qui ont fait Barack Obama préférer la Tanzanie à son Kenya ancestral lors de son périple africain en 2013. Celles-là mêmes dont le secteur a été réorganisé par JPM (voir saga Barrick Vs Etat tanzanien). Celui que les Anglais n’avaient pas autorisé à assister à l’enterrement de son fils Nhamo (3 ans seulement en 1966) a donc prévenu, mais est-ce qu’un Tanzanien (Africain) averti en vaudra vraiment deux ? Les Rwandais, eux, disent que « Pierre dévoilée ne peut plus casser de houe »…