Grands lacs : les bouleversements, c'est demain…

Les conséquences de la défaite du M23, une phalange des Forces de défense du Rwanda ne sont pas encore toutes connues, mais une chose est on ne peut plus sûre aujourd’hui: peu importe la pression qui a contraint les compères Museveni et Kagame à abandonner, le dernier acte de cette partie est loin d’être joué. Ayant survécu à la précarité de l’exil, aux dangers de la guérilla ougandaise, à la haine des rescapés de Basiima House, le général Kagame a fini par se forger une conviction d’invincibilité. Il est de ce fait persuadé que son destin est de voler de victoire en victoire ; tiens ! comme « Kuku Ngbendu wa Zabanga »… Si l’on ajoute à cela le caractère irrémédiablement rancunier du personnage, il n’y a qu’à guetter les signes de ce qui pourra être la vengeance du futur ex-chouchou de l’Occident. Amateur de grandes harangues, l’homme s’est fait discret depuis sa déconvenue congolaise ; il préfère consulter et voyager. Pas encore des déclarations tonitruantes. Pour le moment. Et pourtant.

Trois scenarii se dessinent déjà, même si le général-président a toujours préféré la surprise. En guise de rappel, son mandat expire en 2017 alors que son mentor ougandais aura lui « vidé les lieux » une année plus tôt. Dans les deux pays, il est peu probable que les opposants se fassent indolemment à l’idée d’un tripatouillage mesquin de la constitution. Museveni en serait pratiquement à son quatrième terme (1986, 2001, 2006, 2011), ce qui équivaudrait quasiment à une présidence à vie. Kagame lui devra batailler très dur pour imposer pareille solution. A-t-il l’envie ou une marge nécessaire pour gâcher la commémoration des 20 ans de sa victoire ou laissera-t-il d’abord passer celle-là pour entamer les arrangements de la dernière ligne droite vers sa (propre) succession ? Sachant que tous ses opposants ainsi que certains de ses voisins sont mobilisés et tout affairés à lui trouver un remplaçant à la tête du Rwanda, l’homme voudra prendre tout le monde de court par une solution de sa conception.

La plus surprenante reste toutefois ce constant recours à l’option militaire. Osera-t-il cette fois-ci après la bérézina de Chanzu ? C’est tout risqué, mais il en déjà pris des risques insensés par le passé et le fait de concentrer ses troupes ainsi que du matériel lourd à la frontière congolaise ne peut que préfigurer une réédition de pareille aventure. La récente loquacité de sa mission diplomatique auprès des Nations-unies procède d’un classique conditionnement de l’opinion publique quant à une éventuelle intervention en RD Congo. « L’armée congolaise et la Monusco n’ont plus d’excuses pour ne pas neutraliser les FDLR », entendait-on encore il y a quelques jours. Bien sûr qu’une nouvelle occupation de l’est du Congo est inenvisageable, mais si cette phrase venait à être reprise et amplifiée par les relais de la propagande d’Afandie, il n’y aura plus de doute possible : la « frappe chirurgicale » sera en préparation. En 1996 déjà, pour égorger 300 000 de ses compatriotes, Kagame n’avait-il pas prévenu : « puisque l’Onu ne s’occupe pas d’eux, j’y vais » ? En y envoyant ses « chirurgiens » frapper les Fdlr, n’allons-pas plutôt voir le Kivu s’en aller définitivement compenser quelques frustrations ?

A part cette folie, Kagame peut tout aussi céder son fauteuil à une marionnette qu’il continuera de manipuler. Il y aurait en effet une profusion de candidats et s’il le décide vraiment, Kagame n’aura que l’embarras du choix entre Hutu et Tutsi de service. D’une part, les Boniface Rucagu, Chistophe Bazivamo et autres P.D. Habumuremyi ne peuvent dénier pareille offre si elle émanait de leur « créateur ». D’autre part, les James Musoni, Kampeta Sayinzoga, Mannaseh Nshuti et alii ne pourront avoir meilleur cadeau de celui qu’ils servent depuis plus d’une décennie maintenant. Issus du Fpr, le parti de Kagame, ils auront tendance à croire que la présidence de la république leur revient de droit (d’avoir conquis le pays). Reste que cette option dépendra, non pas de la simple volonté du boss, mais bien du rapport de forces politiques au lendemain des élections de 2017. C’est-à-dire de l’audience qu’aura en ce moment l’actuelle opposition. Cette option dépendra aussi de l’intérêt que revêtira un Kagame sans immunité pour le CPI…

C’est pourquoi pour éviter cette ultime honte, Kagame semble avoir entamé une contre-la-montre qui a toutes les allures de la situation ayant prévalu au Rwanda avant 1959. Une certaine matraquage veut nous faire applaudir béatement la créature politico-économique qui regrouperait le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et le Soudan du Sud. Certes l’avenir est dans ces grands espaces, mais faut-il qu’on y engage les nations à n’importe quel prix ? Faut-il créer des unions économiques ou politiques cimentées par la peur ? Car et Museveni et son ex-disciple Paul K., tous ont peur : le premier de ne pas convaincre ses compatriotes quant à un autre mandat, le deuxième de ne pas être sûr de l’après 2017. Alors au lieu de régler chacun ses problèmes internes, leur fuite en avant consiste à se voiler la dans une hypothétique coalition, fut-il de bonne volonté (Good Will Coalition). Comment ne pas y voir un clin d’œil aux années 50 lorsque certains Rwandais voulaient une indépendance immédiate alors que se posait un grave problème relatif aux pratiques du régime monarchique ?

En passant à cette confédération dont Museveni serait le patron, ce serait une importante redistribution des cartes en même temps qu’une belle revanche pour Kagame. Il lave l’affront de Chanzu en faisant un pied de nez aux alliés qui l’ont bouté hors du Congo et participe à la création d’une nouvelle donne dans laquelle son opposition aura du mal à se faire entendre. Acceptera-t-elle de voir le Rwanda (et toute la sous-région) ramené à la période pré-indépendante ? C’est qui encore cet autre qui disait que « L’inaction est la mère de tous les maux. Si Eve avait eu à recoudre les feuilles de vigne de son conjoint, elle n’aurait pas eu le temps d’écouter le serpent » ?

Cecil Kami