Histoire du Rwanda sur la VOA. Le coup d’Etat du V juillet 1973 et les événements connexes ou subséquents.

Avis et considérations sur la série d’émissions de la VOA (Voice Of America) animée par le journaliste Vénuste Nshimirimana au sujet de la mort en détention des politiciens de la 1è République.

Introduction

Depuis juillet 2020 la radio internationale «La Voix de l’Amérique»: VOA, dans ses émissions en langues Kirundi-Kinyarwanda et donc destinées à la région des Grands Lacs en Afrique, a lancé une série sur le thème du Coup d’Etat du V juillet 1973 au Rwanda et le sort des politiciens du régime qui fut renversé par ce coup d’état. Quarante-sept ans après les faits, il faut remercier la VOA d’avoir permis aux rwandais et aux amis du Rwanda de se pencher sur cette page douloureuse du Rwanda d’avant sa conquête militaire par les éléments tutsi de l’Armée régulière de l’Ouganda commencée en 1990 et achevée en juillet 1994. En effet, les médias du monde se sont focalisés depuis 1994 aux événements ayant trait à cette conquête militaire des éléments tutsi de l’Armée régulière de l’Ouganda et surtout sur la période de l’assaut final des conquérants qui fut déclenché par l’assassinat dans un acte terroriste, de deux Chefs d’Etats hutu le 06 avril 1994. Cette série d’emission venait donc à point nommé pour rappeler que le Rwanda existait bel et bien avant sa conquête militaire de 1994 et que certains événements antérieurs pourraient avoir favorisé cette conquête militaire par des éléments tutsi de l’Armée Ougandaise.

Un hommage et des félicitations particuliers doivent être adressés au journaliste de VOA basé à Londres Vénuste Nshimirimana qui a dirigé et modéré de manière professionnelle, ces séries d’échanges sur des points souvent sensibles et délicats. 

Atmosphère régnant avant le 05 juillet 1973.

En plus des faits connus des rwandais de l’époque concernant la situation du pays avant la date du 05 juillet 1973 notamment: l’afflux des réfugiés burundais suite au génocide  des hutu que commettait alors au Burundi en 1972 le régime du Colonel hima-tutsi Michel Micombero, les troubles dans les établissements d’enseignements de tout le pays, chambardements au sein des forces des défense et de sécurité du pays à savoir: la  suppression de la Police Nationale, le détachement des rares officiers supérieurs de l’armée ( la Garde Nationale comptait en juin 1993, en tout et pour tout: Un Général, Un Lt Colonel et 9 Majors!) dans des services civils etc… La série d’émissions de la VOA aura permis d’apprendre d’autres faits ou actes qui ne pourraient jamais être connus par  l’opinion publique. 

Ainsi c’est grâce à cette émission que l’on apprend qu’un coup d’état aurait été déjoué en mai 1973, soit deux mois avant celui qui a réussi le 5 juillet 1973. Mais malheureusement les officiers subalternes à l’epoque et qui invoquent ce fait, et en plus qui ont été renvoyés de l’armée après juillet 1973 pour d’autres motifs, semblent être motivés par le seul fait de charger le responsable de l’Armée rwandaise de l’époque encore en vie et ainsi se décharger sur lui de leur frustration et amertume consécutives à leur carrière militaire ratée. En effet quand un Sous-Lieutenant affirme avoir, d’initiative et sans ordres de ses supérieurs hiérarchiques, mobilisé une unité en armes et à la vue et au su de tout le monde sous prétexte d’aller faire échouer un coup d’état qui n’avait même pas connu un tout petit début de commencement, on n’est dans un scénario surréaliste. Ou c’est ce Sous-Lieutenant qui comptait faire un coup d’état ou alors il serait un indiscipliné et impétueux et alors devait être traité comme tel par le Commandement. 

Bien plus grave, ces officiers subalternes qui ont profité de l’occasion que leur donnait VOA pour vider leur venin sur l’Etat-Major de l’armée qui les avait renvoyés de l’armée et surtout sur celui qui en assurait la gestion courante et encore en vie, en arrivent à fournir des arguments à ceux qui disent que le pouvoir du Président Kayibanda était miné et dépassé par les événements et  que le Président lui-même était sous l’emprise d’une clique de personnalités non recommandables et mal intentionnées et parmi eux des officiers subalternes de son armée.  En effet dans ces émissions, ceux-ci affirment que des  Sous-Lieutenants ou Lieutenants  pouvaient se rendre plusieurs fois par jour s’il le fallait, chez le Président de la République pour lui raconter la situation dans l’armée en cour-circuitant les échelons hiérarchiques et le protocole : Commandant d’Unité, Chef d’Etat-Major, Ministre de la Défense. Ce qui est inconcevable dans n’importe quelle armée du monde.

Sujet sensible mais incontournable dans l’histoire du Rwanda indépendant 

La mort en détention des politiciens arrêtés après le coup d’état du 05 juillet 1973

restera dans l’histoire du Rwanda indépendant comme une tâche indélébile qui ternira le 2è République. Sur le plan général, la responsabilité retombe sur le régime alors en place, mais sur les plans particuliers, elle retombe sur certains services de l’Etat, sans que cela n’ absout pas  les exécutants qui étaient aussi agents de l’Etat. 

C’est dans ce cadre qu’un procès fut tenu à Ruhengeri en 1983-1984 pour juger ceux qui étaient accusés de ces crimes . Ceux qui furent reconnus coupables furent condamnés conformément à la loi et l’Etat  assuma sa responsabilité en réhabilitant ceux qui devaient l’être et en indemnisant les familles des victimes.

Mon intention n’est pas de défendre quiconque est cité dans ces événements malheureux, mais au contraire dire que je compatis pleinement à la douleur des proches des victimes et m’incline devant la mémoire des disparus.

Ceci dit, je ne laisserais pas passer la confusion et l’amalgame qui sont faites et tendant à rendre l’Armée Rwandaise de l’époque responsable des actes qu’auraient commis  certains de ses  éléments détachés dans d’autres services de l’Etat .

En technique d’Etat-Major, les relations de subordinations entre les échelons de l’armée ainsi que la collaboration ou les interactions entre ces échelons ou d’autres services de l’Etat sont clairement définies. Tout ce que chaque sorte de subordination implique en matière de responsabilité est aussi clairement défini. 

C’est ainsi que l’on trouve:

  • Le Commandement intégral ( full command).
  • La mise aux ordres
  • La mise en renfort sous contrôle opérationnel ou sous contrôle tactique
  • En appui( Feu ou logistique)
  • ( Je vous épargne des définitions trop techniques de ce qu’implique chacune de ses relations de subordination telles que les donnent les précis de “ Technique d’Etat-Major” que tout capitaine moyen candidat-Major doit connaitre sans forcer…).
  • Il est bien entendu que le Commandement intégral de toutes les unités de l’Armée était détenu par l’Etat-Major. Mais celui-ci pouvait placer des unités ou leurs éléments sous une autre relation de subordination qu’il juge appropriée à la situation.
  • Dans le cadre de la collaboration et de l’interaction avec d’autres services de l’Etat, les militaires pouvaient être détachés dans des services civils.  Les unités ou militaires détachés dans ces services agissaient sous les ordres de ces services et étaient responsables devant eux, tout comme ces services étaient responsables des actes de ces militaires. Dans l’évaluation et l’appréciation de leurs actes, l’Etat-Major et l’Armée en générale n’avaient pas à en répondre ni ne pouvaient en être responsable en cas de dérapage ou de bavure.

En  juillet 1973, la Garde Nationale , qui deviendra l’Armée Rwandaise en 1994 à la création de la Gendarmerie était en pleine réorganisation après la suppression de la Police Nationale survenue en juin 1973. Les commissariats autrefois dirigés par des commissaires de police devenaient des stations judiciaires dirigées par des militaires.

Mais d’autres services de l’Etat étaient aussi en pleine réorganisation. La Sûreté Nationale ( Rwasûr) jadis rattachée au Ministère de la Garde Nationale et de la Police, devenait le Service Central des Renseignements (SCR) rattaché directement à la Présidence. Le Ministère public (Parquet) tout en gardant sa structure, fut confié à un nouveau Procureur Joseph Kavaruganda qui remplaçait un certain Tharcisse Gatwa.

C’est dans ce climat que l’Armée Rwandaise fut appelée à détacher certains de ses éléments ou à fournir un appui à l’un ou l’autre des services civils de l’Etat qui le demandait. Voici les unités ou services de l’Armée qui furent détachés ou qui devaient appuyer d’autres services de l’Etat.

  • Le nouveau Procureur exprima au Président qu’il avait besoin d’autres OPJ parce qu’il ne pouvait pas avoir une confiance totale à ceux du Parquet laissés par son prédécesseur. Sa préférence allait à ceux du SCR ancienne Sûreté Nationale dont il savait qu’ils avaient la même compétence que ceux du Parquet. Sa demande fut exhaussée et c’est ainsi que la Parquet et le SCR ont depuis lors travaillé main dans la main dans le dossier des politiciens de la 1è République.
  • Le même Procureur demanda que l’armée puisse lui fournir des militaires d’escorte en cas de transfert des prisonniers ou lors des enquêtes sur le terrain. C’est ainsi que l’Etat-Major donna ordre aux Commandants de place à Ruhengeri et Gisenyi de chaque fois fournir au Procureur des militaires quand il le demande et à lui de leur donner des missions. En fait ces militaires étaient “ détachés” aux ordres du Parquet et du SCR, même s’ils restaient administrativement gérés par l’échelon ayant le Commandement intégral sur eux, à savoir l’Etat-major. En effet, un échelon recevant une unité ou des éléments  aux ordres, disposait sur eux de toutes les prérogatives ( déploiement, donner des missions, permissions et congés, ravitaillement en toutes classes…), sauf les mutations et les rémunérations de la solde qui restaient la prérogative de l’échelon ayant le commandement intégral sur eux. C’est ce que prescrivait et prescrit toujours la Technique d’Etat-major en ce qui concerne les relations de subordinations dans toutes les armées du monde. 
  • Après un certain temps, les Commandants de place de Ruhengeri et Gisenyi exprimèrent à l’Etat-Major leurs inquiétudes car les militaires qui étaient détachés au Parquet et au SCR étaient souvent en mission hors garnison et qu’ils rentraient tard au camp après le repas du soir alors que beaucoup étaient des célibataires.  C’est alors que l’Etat-Major soumit le problème au Minadef. Le ministère de la Défense autorisa le Chef du Service de recherche criminelle (communément appele” Criminologie”) de défalquer dans le budget alloué à ce service et sur l’article budgétaire ” Frais aux Détectives”, une somme à allouer aux Commandants de Ruhengeri et Gisenyi comme “ indemnités compensatoires pour perte de ration” à donner aux militaires qui iraient en mission pour qu’ils puissent aller aux restaurants partout où ils seraient envoyés. 

On le voit donc , que ça soit les militaires détachés ou mis aux ordres, ils doivent être tenus individuellement responsables de leurs actes. Et sur le volet de la responsabilité des actes commis par les subordonnés, seuls les services auprès desquels ils étaient détachés ou mis aux ordres, devraient en répondre mais surtout pas l’Etat-Major de l’Armée et encore moins l’Armée Rwandaise en général. 

Mesure d’ Assignation à résidence

Au Rwanda d’après 1973 comme partout dans le monde et à toutes les époques, une mesure d’assignation à residence pouvait et peut être prise contre un citoyen quelconque. L’Assignation à résidence peut être décrétée par les instances judiciaires ou administratives . Pour signifier à celui qui est frappée par cette mesure, c’est le tribunal ou la cour qui a prononcé cette mesure qui la lui signifie directement ou par un huissier de justice. Si la mesure a été prise par les instances administratives (Service des Renseignements ou Ministère de l’Intérieur) ce sont ces services qui la signifie au concerné surtout qu’ils ont des branches dans les subdivisions administratives de l’Etat (les préfectures et communes). 

Prétendre que l’Etat Major de l’Armée pouvait dans le cas du Rwanda d’après 1973 prononcer ou signifier à n’importe quel citoyen qu’il est frappé d’une mesure d’assignation à résidence est non seulement faux mais tendancieux, car l’affirmation tenterait d’impliquer l’Etat-Major de l’Armée en général et l’officier qui en était chargé en particulier, dans tous les actes inhumains et abusifs qui auraient été commis à cette époque. C’est plus de l’acharnement pour d’autres motivations que de la restitution des faits pour les besoins de la recherche de la vérité historique. Mais la où cela dépasse tout entendement c’est quand cela (Assignation à residence d’un citoyen décidée par l’Etat-Major de l’Armée en citant l’officier qui en était en charge) est raconté par celui qui affirme être à l’époque des faits, âgé de deux ans , mais que ses allégations sont considérées comme crédibles et non contestables par des médias sérieux.

Transfert d’un malade pour des soins à l’étranger

De tout temps ( avant juillet 1973 et après) pour transférer un malade pour des soins à l’étranger,  l’autorisation était du ressort du Ministre de la Santé. Celui-ci demandait l’avis d’une commission médicale avant de décider. Jamais cette prérogative ne fut attribuée à l’Etat-major de l’armée et encore moins au Chef d’Etat-major adjoint qui n’étant pas médecin et donc qui ne pouvait même pas être consulté par le Ministre de la Santé avant de décider du transfert ou non d’un malade.  

Certes les camarades du V juillet ont supervisé les ministères avant la nomination d’un gouvernement le 01 août 1973. Le Chef Etat-major adjoint a supervisé entre autres le  Ministère de la Santé. Mais dès la nomination le 01/08/1973 d’un nouveau Ministre de la Santé dans le tout premier gouvernement de la 2è République, l’officier n’a plus eu à traiter des dossiers relevant de ce ministère. Prétendre que le Chef d’Etat-major adjoint de l’époque ( puisqu’il est encore en vie et participe à l’émission) aurait après août 1973 décidé ou non du transfert d’un malade à l’étranger, c’est non seulement archifaux mais aussi mesquin et ridicule.

Conclusion

Dans cette affaire, l’honneur de l’Armée Rwandaise d’avant juillet 1994 est saine et sauve. Vouloir la ternir serait injuste et réducteur mais surtout lâche cela n’honorerait pas ses détracteurs d’aujourd’hui car ils ne feraient que ” tirer sur l’Ambulance”: une armée vaincue en 1994 et depuis lors disparue. Même si l’une des causes de sa défaite fut l’exploitation politique (stupide et suicidaire) de ce contentieux, par certains politiciens qui tout en faisant partie d’un gouvernement sous lequel les FAR étaient aux ordres, n’ont pas hésité à pactiser avec le FPR et à espionner pour cet ennemi avec qui se battaient les FAR. Mais ça c’est une autre histoire qui pourrait être développée à d’autres occasions.  Ironie du sort: ils sont les parmi les premiers à subir les affres du FPR et surtout à regretter la défaite des FAR que pourtant ils souhaient de leurs voeux sous prétexte qu’ils se vengeraient ainsi du régime de la 2è République. Aujourd’hui en tentant de souiller la mémoire et l’honneur des FAR qu’ils ont trahi et cela en clouant au pilori  celui qui en assurait la gestion journalière et qui a le tord d’être encore en vie; en leur attribuant les crimes abominables commis par les agents de l’Etat après 1973, lesquels agents qui furent jugés et condamnés selon la loi dans un procès régulier, cela ne ferait qu’illustrer l’adage en Kinyarwanda disant que:“ Iyaguye ntawe utayigera indiga/ imbugita .” L’Histoire du Rwanda et l’opinion publique mériteraient mieux.

Malgré tout, disons Merci à la VOA et Félicitations au journaliste Vénuste Nshimirimana!

Emmanuel Neretse