Ils ne l’ont pas cru et lui ont traité de fou !

Winston Ruddle - Fondateur du Cirque Africa - A son école d’acrobatie Hakuna Matata de Dar Es Salaam

Par Um’Khonde Habamenshi

Imaginez que vous soyez né au Zimbabwe. Imaginez que les circonstances de la vie vous forcent à abandonner l’école quand vous avez 16 ans. Imaginez que vous rêviez de devenir un artiste et que vous rejoignez même un cirque qui passe par là. Imaginez que vous arrivez à vous faire un nom et que vous vous voyez offert un contrat pour faire un show aux États-Unis. Imaginez que vous créez un groupe, que vous les entraînez et que le spectacle soit annulé. Que direz-vous à tous ces jeunes en qui vous aviez créé l’espoir de conquérir la scène internationale? Que pouvez-vous leur offrir d’autre, afin qu’ils ne cèdent pas et pensent que toutes les personnes qui disent que le divertissement n’est pas un vrai travail ont raison? Qu’ils devraient chercher un vrai travail au lieu de perdre du temps dans ces absurdités?

Aujourd’hui, je suis inspiré par Winston Ruddle du Zimbabwe. Winston est né en 1967 à Bulawayo, la deuxième plus grande ville du pays. Son enfance et sa jeunesse n’ont pas été des plus aisés. Tout d’abord, il n’a jamais connu son père, et sa mère l’a vaillamment élevé en tant que mère célibataire. Winston étant fils unique, son monde se réduisait à sa mère et quelques parents. Malheureusement, le destin devait la lui enlever quand il n’était qu’un adolescent.

Le jeune homme s’est donc retrouvé pratiquement seul à l’âge de 15 ans. Ne pouvant plus se le permettre, il a été forcé d’abandonner l’école. Sa tante et son oncle lui ont enseigné quelques compétences pour l’aider à survivre dans le monde – elle, la cuisine et lui la réparation de n’importe quel type de moteur – mais son cœur était ailleurs : le jeune Winston voulait devenir un artiste!

C’était le début des années quatre-vingt, et à cette époque, le breakdance, ce phénomène de danse importé des rues américaines, avait déferlé sur l’Afrique comme un ouragan!! Tout le monde voulait être de la partie, ceux de ma génération savent de quoi je parle !

Winston a vite mis ensemble un groupe et a commencé à se produire dans la rue. Cela a duré deux ou trois ans, jusqu’à ce que le public passe à autre chose. Dès qu’il a senti qu’ils n’avaient plus le vent en poupe, le jeune danse a su qu’il fallait commencer à chercher autre chose au plus tôt, mais il n’était pas sûr de ce que ce serait. Jusqu’à ce qu’un jour, il tombe sur une affiche annonçant une troupe d’acrobates de Tanzanie se produisant dans la capitale Harare.

 » Je dois voir ce spectacle  », se dit-il.

Winston pris le bus pour se rendre à Harare et alla acheter un précieux billet d’entrée pour le spectacle dès qu’il posa les pieds dans la capitale zimbabwéenne.

 »J’étais émerveillé! J’ai tout de suite su que c’était ce que je voulais faire ! Ces trois acrobates faisaient des trucs que je n’avais jamais vu!  »

Il attendit impatiemment la fin du spectacle pour parler aux artistes. Il s’est approché courageusement d’eux et a demandé s’il pouvait s’entraîner avec eux. À sa grande surprise, ils ont accepté et l’ont accueilli.

« J’ai commencé comme un homme à tout faire, montage de la tente, préparations des scènes, etc. Il y avait un clown très drôle appelé Chunky et j’imitais souvent ses actes à son insu. Un jour, il a été arrêté trois heures avant le spectacle, ce qui a fait paniquer le propriétaire! Je me suis avancé et lui ai dit que je connaissais tous les actes que Chunky. Désespéré, il m’a laissé le remplacer après une audition rapide. Il a aimé ma performance et c’est là que ma carrière a commencé.  »

Même s’il avait un don unique pour faire rire les gens, il était plus intéressé à devenir acrobate que clown. Avec les capacités athlétiques et les compétences qu’il avait acquises en tant que breakdancer, Winston n’a eu aucun problème à maitriser les acrobaties. Il a appris le métier tellement rapidement, qu’il a même commencé à développer des nouveaux trucs. En peu de temps, il a convaincu ses nouveaux coéquipiers de sortir dans la rue et de partager leur talent avec la foule. Leur groupe a rapidement gagne beaucoup d’intérêts et de fans !

Plus il avancer dans le métier, plus Winston sentait qu’il avait besoin de peaufiner ses techniques, de devenir plus professionnel s’il voulait rester pertinent dans sa carrière de choix. En 1990, Winston quitte le groupe et se rend en Afrique du Sud. Il avait entendu dire que leur voisin du sud avait plus de cirques et c’était vari. En quelques semaines, il avait déjà auditionné pour un cirque de la place et obtenu un contrat de six semaines.

Le reste de son parcours est rentré dans les annales de l’histoire. Après ce premier contrat, le jeune homme de 23 ans a rejoint le célèbre Boswell Circus, cirque créé à Johannesburg en 1913 par trois frères, Jim, Walter et Alf Boswell. Le cirque Boswell a marqué le panorama culturel et politique de l’Afrique du Sud depuis sa création il y a plus de 100 ans, car dès ses débuts, c’était l’un des seuls spectacles à avoir un public de toutes les races dans une Afrique du Sud encore racialement divisés.

A la fin de la tournée, Winston est retourné au Zimbabwe, désireux de construire sa propre troupe de jeunes acrobates. C’était en 1993 et il l’a appelé ‘Les Extraordinaires Frères Zimbabwéens’ (‘The Amazing Zimbabwe Brothers’). Son retour au pays natal a porté ses fruits: en moins de trois ans, ils faisaient des shows dans tout le pays et gagnaient suffisamment d’argent pour envisager leur prochain étape.

Winston avait maintenant les yeux rivés sur un autre grand pays du cirque: l’Australie. Il n’était pas sûr que ses coéquipiers comprendraient ce déménagement, alors il a gardé le secret jusqu’à ce qu’il soit temps de partir pour l’aéroport pour son vol vers Perth, la quatrième plus grande ville d’Australie.

« Je vais en Australie pour chercher du travail et si j’en trouve, j’envoie vous chercher ».

Ils ne l’ont pas cru et lui ont traité de fou !

Pourtant la détermination de Winston a une fois encore porté ses fruits : en quelques jours, il a signé un contrat avec le célèbre Silvers Circus, l’un des dix meilleurs cirques du monde. Dès qu’ils l’ont embauché, il demandé au cirque s’ils pouvaient aussi recruter les camarades qu’il avait laissé au pays. Ils lui ont dit de les amener aussi.

Winston a appelé ses coéquipiers, ses frères comme il les appelle, et leur a demandé de plier bagage et de le rejoindre dans le continent insulaire. Cette fois, ils ne l’ont plus traité de fou ; au contraire, ils ont sauté illico presto sur le premier vol à destination de Perth, la ville où leur ami aventurier les attendait!

Au cours des quatre années suivantes, les artistes zimbabwéens ont parcouru le pays avec Silvers Circus ! C’était un beau voyage de découverte. Ils sont tombés amoureux de l’Australie et l’Australie est tombée amoureuse d’eux et de leur sens de l’humour.

Silvers Circus n’était que la première marche sur l’escalator du succès. Imaginez qu’un jour, Adam Dion Bahoudian, le producteur de grande renommée, les a appelé et demandé de rejoindre son nouveau spectacle dans des rôles principaux! Vous serez pardonné si vous ne connaissez pas Adam Dion, surtout si vous n’êtes pas du monde du spectacle. Je peux vous dire qu’Adam Dion est le producteur par excellence. En 35 ans de carrière, Adam a produit des émissions pour la télévision, y compris des séries télévisées primées, des films et des spectacles. Il investit beaucoup dans le repérage de talents partout dans le monde pour les intégrer dans ses productions. Dernièrement, Adam a créé, écrit et produit de nombreux spectacles de scène, dont ‘Le Palais Caché’ (‘Hidden Palace’), le show dans lequel il a demandé à Winston et ses amis de venir jouer.

Les frères Zimbabwéens, ont donc quitté la ville de Perth pour s’installer dans la Gold Coast, une ville côtière du Queensland, à environ une heure de Brisbane.

Avec ses talents multiples, Winston était comme un train à grande vitesse. Son nom était maintenant sur toutes les lèvres. En 2002, il s’est vu offrir un contrat à Las Vegas pour présenter un spectacle de cirque. Il s’est rendu en Tanzanie pour chercher des talents, car il avait entendu dire qu’il y avait beaucoup de jeunes qualifiés dans le pays de Mwalimu Nyerere. Il a rapidement réuni un groupe, a préparé un spectacle avec eux, ‘Mother Africa’. Malheureusement, quand il a présenté le concept de ‘Mother Africa’ et ses artistes à la compagnie américaine qui l’avait embauché, ils n’ont pas aimé le concept et ont annulé le contrat !

Voilà qu’il était là, avec un concept, une troupe mais nulle part où jouer ! Pas de panique, on reste calme et respire un coup !
L’artiste ingénieux devenu producteur a littéralement ouvert les pages jaunes et a commencé à chercher des endroits où ils pourraient montrer leur spectacle ! Encore une fois, sa détermination a porté ses fruits. Le concept rejeté par la firme de Las Vegas a été adopté par de nombreuses autres grandes maisons. Circus Mama Africa (Cirque Africa en bref) était ainsi né !

« En fin de compte, nous avons eu tellement de travail que j’ai dû ouvrir une école d’acrobates pour répondre à la demande. Il est passé d’une petite erreur à un grand succès.  »

Fondée en 2003, l’institution de Dar Es Salaam est unique en son genre ! Hakuna Matata (« pas de soucis » en langue Swahili) se trouve à Mikocheni, un quartier de la capitale Tanzanienne. Tous les étudiants viennent d’horizons modestes – beaucoup d’entre eux n’ont même pas à manger à la maison et comptent sur l’école pour les nourrir – et ont des compétences acrobatiques hors pairs.

Les installations sont rudimentaires – en fait, Hakuna Matata ressemble plus à un grand gymnase qu’à une école – mais c’est l’esprit du fondateur et de ses incroyables acrobates Hakuna Matata qui captivent et continuent à captiver le monde.

Depuis sa création en 2003, l’école a formé plus de 300 acrobates, dont 80% sont tanzaniens. Leurs anciens étudiants performent dans le monde entier, avec Circus Mama Africa, mais aussi dans d’autres productions. En seulement 15 ans d’existence, les biens nommés ‘Etonnants Acrobates de Hakuna Matata’ (Amazing Hakuna Matata Acrobats)se sont déjà produit dans plus de 25 pays dont l’Allemagne, la Suisse, la Belgique, l’Autriche, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Espagne, la France, l’Italie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Singapour, les Philippines, l’Indonésie, le Liban, l’Afrique du Sud, l’Egypte, Dubaï, Bahreïn, le Qatar, Macao et le Brésil. Et je suis sûr j’en ai manqué plusieurs autres.

En 2008, Franco Dragone, un ancien producteur du Cirque du Soleil, a proposé à dix-neuf des Amazing Hakuna Matata Acrobats de se produire à Macao, la plus grande exposition sur l’eau de la du monde. En 2013, Alain Pacharie du Cirque Phénix a embauché 32 autres acrobates, pour la super-production Cirkafrika, qui entamera sont troisième tour du monde en décembre 2018.

Winston Ruddle, Papa Africa comme on le surnomme affectueusement, un quinquagénaire encore très hyperactif, est le premier Africain noir du monde à posséder, diriger et opérer une compagnie de cirque. Circus Mama Africa est considéré comme l’une des plus grandes productions de cirque en Afrique et l’une des plus grandes exportations Africaine de divertissement.

Cirque Africa n’est pas une mince affaire: la caravane mobile comprend 70 tonnes de matériel de cirque, éclairage professionnel et matériel de scène, des sièges surélevés d’une capacité de 1100 places assises, un chapiteau de 12m de haut et de 35m de diamètre, des plateformes de performance, 2 tentes principales et une tente pour l’arrière-scène mesurant plus de 35 mètres de haut. Avec cela, n’oubliez pas l’équipe itinérante de 50 des meilleurs acrobates d’Afrique, des artistes aériens, des jongleurs, des danseurs sur échasses, des contorsionnistes et des magiciens, et l’orchestre maison de Circus Mama Africa.

Mais ne vous préoccupez pas de tout cela quand vous allez voir le spectacle.

« Cirque Africa est authentiquement africain, et tout son casting vient d’Afrique. Le spectacle diffère dans la façon dont nous présentons les actes, la musique, les costumes et la présentation – chaque partie du spectacle est authentiquement africaine. Notre énergie est également incomparable, et c’est cet élément central qui rend l’expérience inoubliable pour le public.  »

Le spectacle a été vu par plus de 2 millions de personnes dans le monde entier. Ils viennent de terminer une saison sur Broadway et sont maintenant à Adélaïde, en Australie.
Accrochez-vous bien à votre chaise, certains des actes vous effrayeront à mort ! Ne vous en faites pas, vous survivrez à cette peur !

Et on se sait jamais, peut-être voudrez-vous aussi rejoindre le cirque?

Félicitations pour votre contribution à l’héritage de l’Afrique, Winston, notre Papa Africa ! Vous avez réalisé l’impossible en intégrant une industrie selecte et y implantant un chapiteau purement africain ! Merci pour vos encouragements de notre jeunesse si incroyablement douée et pour avoir prouvé à notre société que les arts de la scène sont des métiers on ne peut plus vrais et remunérables!