Kagame le Dernier et sa tour d'ivoire

En faisant vendre le projet d’un troisième mandat présidentiel il y a quelques jours, un juriste converti en caisse de résonance du régime Kagame a illustré son article par une photomontage de la Kigali city tower, un des plus hauts buildings de la capitale. Cela a fait tout de suite penser à la tour d’ivoire dans laquelle s’enferme de plus en plus le dictateur rwandais. Le pouvoir rend vraiment ivre et aveugle, mais l’on se demande chaque jour qui passe jusqu’où la cécité de la clique au pouvoir mènera le Rwanda. Le tripotage déjà annoncé de l’article 101 de la constitution relève ainsi d’une lecture tout à fait déphasée de la situation réelle et l’ambiance dans laquelle baigne actuellement le Rwanda. Ignorant toutes les évidences, les fossoyeurs du pays l’orientent dans une direction qu’il sera très difficile de corriger. Ils ont tout faux, à commencer par ce qui constituait leur force, l’armée.

Armée : ce n’est plus cette jeunesse embrigadée qui, hier encore, obéissait rigoureusement dans les brousses du Mutara et les forets des volcans ; c’est aujourd’hui tout simplement des pères et des mères qui n’ont qu’un seul rêve : la stabilité. Ils ont, depuis 1994, fondé des familles et le temps est venu pour eux de penser éducation et futur de leurs enfants. Les déplacements infinis sur des dangereux théâtres d’opération ne favorisent donc pas cette aspiration à la quiétude indispensable à la réussite de tout projet familial. Et même ceux d’entre eux qui donnent le plus se voient coiffés au poteau des salaires par une garde républicaine archi-favorisée. Elle se fatigue donc l’armée de Kagame, ce qui justifie en grande partie les affaires de corruption régulièrement étouffées parmi les officiers.

Les stratèges d’Afandie se trompent aussi en ce qui concerne les vaincus. Qui s’en soucie encore aujourd’hui ? Ceux qui ne sont pas partis dans les étoiles sont en train de vivre les derniers jours d’une justice internationale qui se réveille sur le tard. Les autres, tous les autres ont laborieusement évacué le complexe de culpabilité sur eux imposé par les ouvriers de l’idéologie suprématiste du Front patriotique de Kagame. Ici et là, même dispersés,ils osent, péniblement ils s’organisent, ils se parlent avec méfiance il est vrai, mais la démonstration est là : la donne a changé. S’opposer au régime du Fpr n’est plus qu’une affaire des vaincus d’hier : la grogne contre la dictature s’est enrichie des voix des personnalités (civils et militaires) qui, il n’y a pas cinq ans, avaient leur entrée dans le saint des saints.

Vient ensuite le citoyen lambda. Le pauvre. Si paupérisé et si opprimé. Si trahi et si négligé. Tout le monde cependant lui court après, ne lui offrant que discours sur discours. Cette semaine encore, à Nyamagabe, le Propriétaire de tous les dossiers a promis : « tout ce que vous voudrez, je vous le donnerais à heure et à temps ». Il a été applaudi par une foule qui commence à sentir les effets de l’aide coupée. Le prêtre Nahimana et tous ceux qu’il vient de rejoindre dans l’opposition promettent au peuple une prochaine délivrance. Paroles… Le plus intéressant est que le peuple accueille pareillement les discours des uns et des autres sachant, au fond de lui-même, exactement ce qu’il conviendra des faire au moment des grands rendez-vous avec son histoire. Au début des années 60, le roi l’appris à ses dépens, tout comme, après lui, les présidents qui se sont succédé à la tête du pays.

Il y a enfin les tout puissants amis du régime. Ils se comptent sur les doigts d’une main aujourd’hui. Et pourtant, pendant 18 ans, ils ont fait ce qu’on les a obligé de faire (par chantage), fait ce qu’ils ont pu (par devoir) et ils ont vu ce qu’ils ont vu. C’est-à-dire une junte dont le génie est résumé par un seul mot : mensonges. Sur le génocide, sur les assassinats, sur les chiffres (de la corruption), sur les coupables, sur la liberté, sur les voisins (agressés depuis 1996!), etc. Américains et Britanniques ont longtemps fermé les yeux, mais les épisodes Peter Erlinder emprisonné alors qu’il devait juste assister sa cliente et les empoisonnements des opposants rwandais planifiés à Londres par le DMI leur ont ouvert l’œil. Le dossier M23 n’a été que confirmation de ce qu’ils savaient déjà. Restent donc les Allemands bien tenus par l’Afandie car mal à l’aise avec leur passé.

Les temps changent donc, mais tel Louis XVI (surnommé Louis le Dernier) à la veille de la Révolution française, le roi du Rwanda semble ne rien voir des turbulences qui se profilent. Il continue, avec ses griots, de répéter que le pays a fait des grands pas. Certes, mais ses meilleurs amis du moment – les Allemands – ont un proverbe qui dit : « Qui veut vendre un cheval aveugle en vante les pattes ».

Cecil Kami