La Belgique et la crise à l’Est de la RDC avec Mr Ruhumuza Mbonyumutwa de Jambonews

Après la crise au nord Kivu et la visite du Ministre des Affaires Etrangères belge, Didier Reynders dans la région des grands lacs, Monsieur Ruhumuza Mbonyumutwa, le rédacteur en chef du journal en ligne Jambonews a accepté de répondre à nos questions pour mieux comprendre la position du gouvernement belge et les répercussions de la crise en République démocratique du Congo sur les diasporas congolaise et rwandaise de Belgique.

En effet, l’Est de la RDC est en proie à une mutinerie transformée depuis le mois de mai dernier en rébellion de la part des éléments du M23, un mouvement rebelle qui revendique l’application des accords signés le 23 mars entre le gouvernement et le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) dirigé par le général renégat Bosco Ntaganda. Cet officier est recherché par la Cour pénale internationale pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis en Ituri (Province Orientale) en 2002 et 2003.

Les Nations unies, des ONG, le gouvernement congolais ont accusé et condamné le Rwanda de soutenir le M23. Des accusations que Kigali a toujours niées.

Quelques pays avaient annoncé le gel de leur aide auprès du Rwanda, notamment la Grande Bretagne, les Pays-Bas, la Suède et les Etats-Unis. Mais la Grande-Bretagne a décidé de déloquer 9,5 des 20 millions d’euros de son aide destinée au Rwanda.

Monsieur Ruhumuza Mbonyumutwa, quelle est la position du gouvernement belge sur la situation en RDC?

Le gouvernement belge, par la voix de son Ministre des affaires étrangères Didier Reynders se dit depuis le départ très préoccupé par la situation à l’Est de la RDC mais n’a, jusqu’à présent, posé aucun acte concret pour aider à résoudre la situation.

Ce mercredi 12 septembre, le Ministre a adopté un ton plus ferme face au Rwanda se disant convaincu du soutien direct ou indirect du Rwanda au M23 et a exhorté ce dernier à condamner la rébellion de façon explicite et à participer à l’effort pour y mettre fin sur le terrain.

A défaut, il s’est dit prêt à envisager des sanctions mais pour lui, elles doivent être collectives, prises au niveau de l’UE ou de l’ONU. La Belgique n’est donc pas prête à prendre des sanctions contre les dirigeants rwandais ou ceux du M23 mais simplement à les appliquer si l’UE ou l’ONU le décide.

Est-ce que la Belgique est assez forte pour mettre la pression surtout sur le Rwanda? Et pourquoi la Belgique n’a pas suivi d’autres pays comme les USA, la Hollande, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suède quand ils ont décidé de geler les aides destinées au gouvernement rwandais?

La Belgique à elle seule n’est pas en position de mettre la pression sur le Rwanda. D’une part, à la moindre action, elle est consciente qu’elle s’expose à des représailles de la part de Kigali. Les exemples sont légion, je pense notamment au récent blocage des comptes de l’Ambassade de Belgique à Kigali par le gouvernement rwandais après que la justice belge ait gelé les comptes de l’ambassade du Rwanda en Belgique.

D’autre part, l’aide belge au développement à destination du Rwanda (160 millions d’euros pour 2011-2014) ne va pas dans le budget de l’Etat, mais est directement cogérée sur le terrain en collaboration avec des partenaires locaux. C’est donc une aide qui bénéficie directement à la population sans transiter par l’Etat. La retirer n’a donc pas d’impact sur le gouvernement au contraire c’est la population qui en serait affectée. En 2010 par exemple, il avait été question de mettre la question des droits de l’Homme dans la négociation du nouvel accord, Très vite, du côté rwandais, on avait fait savoir à la Belgique que dans ce cas, elle pouvait garder son argent et c’est finalement la Belgique qui était embêtée car c’est à elle que les partenaires locaux, dont des associations belges opérant au Rwanda allaient demander des comptes..

Par contre, bien qu’elle perde progressivement son influence sur la région au profit des anglos-saxons, la Belgique reste à l’échelle internationale et surtout européenne un acteur clef sur les grands lacs, elle peut notamment être à l’origine de sanctions internationales contre le régime si l’action suit la volonté politique déclarée.

Comment sont les relations entre les communautés rwandaise et congolaise après l’agression d’un jeune rwandais dans le métro bruxellois et la manifestation de rwandais téléguidée par l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles? Nous avons pu voir des appels à l’apaisement lancés par des associations rwandaises comme Jambo asbl, CORWABEL et autres. Cette initiative a-t-elle porté des fruits?

Les relations restent tendues. Certains congolais, notamment dans le mouvement des « combattants », ne font pas toujours la différence lorsqu’ils dénoncent leurs agresseurs, entre les rwandais en général et le régime. Certains messages sont inutilement violents voire menaçants contre des innocents voire des personnes qui subissent tous le régime de Kigali, rwandais et congolais réunis. Du coup cette situation entraine des méfiances de part et d’autres et bloque les possibilités de collaboration.

A l’issue des appels lancés par différentes associations actives sur la Région des Grands Lacs, notamment Jambo ASBL, Beaucoup de congolais se sont dits touchés et ravis que des rwandais expriment « enfin » tout haut leur dégout face au drame que vit la population de l’Est du Congo depuis désormais 16 ans.

Ce qui est dommage est que cela fait longtemps que des rwandais dénoncent, mais certainement que leur message n’était pas audible avant. Maintenant, des méthodes de communication audiovisuelles ont permis de toucher un public plus large.

Ces appels ont entrouvert des portes, ouvert des ponts et des possibilités de collaboration, mais ces possibilités doivent rapidement être concrétisées pour que ce ne soit pas un coup d’épée dans l’eau.

Pour vous quelle est la meilleure solution, pour permettre aux deux communautés rwandaise et congolaise de vivre ensemble dans l’harmonie?

Selon moi, d’une part, il faut que la communauté congolaise apprenne à distinguer entre les rwandais et le régime. Les congolais doivent prendre conscience que la population rwandaise est également victime, toutes ethnies confondues de ce même régime et que plusieurs centaines de milliers de rwandais ont été massacrés par le FPR depuis le 1er octobre 1990, notamment au Congo lors des attaques de camps de réfugiés Hutu. Ces exterminations ont notamment été remises à l’actualité après que le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU ait publié, le 1er octobre 2010, son rapport Mapping évoquant les atrocités commises en RDC durant la décennie 1993-2003. Comme principale armée pointée du doigt, était l’armée du FPR, actuellement au pouvoir au Rwanda, qui sous couvert de l’AFDL avait commis des crimes d’une violence inouïe contre les réfugiés rwandais au Congo et qui peuvent, selon l’ONU, être qualifiés de génocide si prouvés devant un tribunal compétent.

Certains hauts responsables du régime sont d’ailleurs déjà sous le coup de mandats d’arrêts internationaux délivrés en février 2008 par la justice espagnole pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Le Général Paul Kagame lui même n’a d’ailleurs échappé à ces mandats d’arrêts qu’en raison de son immunité de chef d’Etat et non en raison d’une absence de rôle joué dans ces atrocités.

D’autre part, les rwandais, du moins ceux de la diaspora qui jouissent d’une plus grande liberté de d’expression doivent oser dire de plus en plus haut leur désapprobation, leur dégoût et leur ras-le-bol de cette situation de guerre, de cette situation d’impunité qui mine l’avenir de la Région.

Ce n’est qu’à ces deux conditions que les deux peuples pourront retrouver une fraternité qui tend à se perdre depuis deux décennies en raison de toutes ces violences meurtrières. Ensemble, ils seront plus forts pour faire cesser la souffrance de la population et enfin obtenir justice pour toutes ces victimes, soit par le biais d’un tribunal pénal international pour les Grands Lacs, soit le biais d’un autre mécanisme. Car sans justice, ces violences sont appelées à se répéter car l’impunité encourage les auteurs à continuer.

A plus long terme, il n’ya pas de secret, c’est une démocratisation du Rwanda et de la RDC qu’il faut, permettre aux peuples de choisir librement leurs dirigeants qui, devant rendre des comptes aux peuples, n’auront d’autres préoccupations que le bien être général et non celui de la petite élite au pouvoir.

La rédaction