La culture du mensonge chez certains Rwandais? Revue bibliographique partielle

Suite à la publication de l’article : « La culture du mensonge au Rwanda », Dr Jean Paul Puts a, dans le texte ci-après, relevé d’autres auteurs ayant écrit sur la dimension de ce trait culturel chez les Rwandais.

§ 1. Compléments concernant la « culture du mensonge » chez certains Banyarwaanda : Filip Reyntjens.

Dans son livre « Rwanda, un génocide oublié ? Un procès pour mémoire »[1], Laure de Vulpian[2] étudie le procès d’Assises qui eut lieu à Bruxelles au printemps 2001 contre quatre prévenus rwandais.

Lors de ce procès hautement médiatisé pour des raisons plus symboliques que de justice vraie, Filip Reyntjens répondit à Maître Serge Wahis qui l’interrogeait sur le « sens de la vérité » au niveau de la « mentalité rwandaise » : « C’est une question difficile, parce qu’il y a beaucoup de Rwandais dans cette salle, que j’ai beaucoup d’amis rwandais et que je vais devoir dire des choses qui ne sont pas toujours agréables. Mais en fait, eux, le savent très bien et le disent eux-mêmes. Ce que nous appelons ’’mentir’’, les Rwandais l’appellent souvent ’’bien parler’’. Bien parler signifie surtout : ’’ne pas être pris la main dans le sac lorsque l’on ne dit pas la vérité’’. Je ne parle pas uniquement des témoins devant un Tribunal ou une Cour, mais les Rwandais communiquent d’une façon assez complexe, qui n’est jamais immédiate. Je veux dire par là que la communication entre Rwandais, très souvent, est une communication stratégique. Celui qui pose une question à un autre va d’abord se demander : ’’Suis-je le supérieur hiérarchique ou l’inférieur hiérarchique de cette personne ?’’ Et plus globalement : ’’Suis-je son aîné social ou son cadet social ?’’ Cela détermine ce qu’on peut dire. Si l’on m’interroge, je vais d’abord réfléchir ; c’est pour cela que c’est si long pour un Rwandais de répondre à une question simple, parce qu’il doit d’abord rapidement ramasser tous les éléments du problème auquel il est confronté et développer une stratégie. ’’Celui qui me pose une question peut-il me faire du bien ou du mal ? En donnant cette réponse, va-t-il me faire du bien ? En revanche, si je donne cette autre réponse, il va peut-être me causer du tort.’’ Il s’agit non pas d’une communication immédiate, mais ’’médiate’’, parce qu’influencée par un certain nombre de considérations d’ordre stratégique d’avenir, déterminées par la question de savoir ce que celui qui me questionne peut me faire. ’’Est-il en position d’autorité ? Peut-il m’arrêter ? Peut-il me chasser de mon boulot ? A-t-il suffisamment d’influence pour convaincre quelqu’un d’autre de me chasser de mon boulot et de m’enfermer ? Peut-il à la rigueur me tuer ?’’ Ce sont les questions avec lesquelles les Rwandais fonctionnent, dans une situation normale de conversation hors génocide avant 1990. Il est évident qu’en situation d’extrême violence, ce raisonnement devient encore plus poignant. C’est d’autant plus crucial que ’’bien parler’’ peut également être un mensonge organisé. Nous en avons des indications nombreuses et fiables, à mon avis : il y a eu délation organisée au Rwanda. Je n’ose pas prétendre que cette délation est organisée à l’occasion de ce procès-ci, mais il y a eu au Rwanda des procès où certains témoins à charge ont été payés pour témoigner dans un sens donné, où les témoins à décharge ont été intimidés et n’ont pas osé témoigner. En plus ce jury et même cette Cour sont confrontés à ce problème de communication, ne sachant pas si les témoins ont été conditionnés ou pas avant de venir ici. Je pense qu’il faut être extrêmement vigilant et prudent. Ne pas jeter l’enfant avec l’eau du bain et se rappeler qu’il y a eu un génocide au Rwanda » (p.82-83).

§ 2. Compléments concernant la « culture du mensonge » chez certains Banyarwaanda : José « Hamim » Kagabo.

De Vulpian écrit : « Cette question de la vérité et du mensonge ou d’une vérité à géométrie variable a été récurrente lors du procès : c’est celle de ’’l’identité rwandaise’’. Même si elle semble risquée voire hasardeuse, elle n’est pas forcément illégitime » (p.83). Ainsi donc, le mensonge est « une vérité à géométrie variable » ! Pour se conforter dans cette affirmation, la journaliste cite l’historien du HESS, José « Hamim » Kagabo, officiellement français, mais actuellement nommé sénateur rwandais en remerciement de son allégeance au FPR : « Les Rwandais ont tendance à afficher une certaine retenue ou pudeur, mais je pense que ces notions ne peuvent pas s’entendre sans une histoire des représentations que l’on se fait de l’Afrique. (…) Quant à la vérité à géométrie variable, c’est trop facile à dire. Il y a des questions qui relèvent de l’intime et qu’on n’a pas à exposer à n’importe qui. Vous imaginez un homme ou une femme de n’importe quelle société avouant facilement sa responsabilité dans un crime de cette ampleur ? Quand on parle de vérité à géométrie variable, nous devrions, nous chercheurs, interroger notre capacité à saisir toutes les réalités que nous observons. Certaines nous échappent dans leur ampleur, parce que nous n’avons pas tous les outils nécessaires pour les comprendre. Il ne faut tout de même pas perdre de vue que, de tous ces spécialistes, aucun –et j’insiste-, aucun ne parle la langue du pays. Comment imaginer qu’une société, une culture auxquelles vous êtes resté fermé, vont s’ouvrir à vous totalement sans la moindre pénombre ? Chacun sait comment on travaille quand on ne connaît pas la langue du pays : on prend n’importe quel Rwandais, on partage une bière dans un bistrot, on lui pose des questions. Le Rwandais, qui ne maîtrise pas lui non plus la langue de son interlocuteur, répond et tout se passe dans un dialogue d’approximations, fait de semi-vérités » (p.83). Avec moultes contorsions de langage, le « chercheur » Kagabo a ainsi définit le mensonge à la mode rwandaise comme étant « une certaine retenue ou pudeur ».

§ 3. Compléments concernant la « culture du mensonge » chez certains Banyarwaanda : Pierre Vincke.

Elle interroge ensuite un acteur d’ONG de notoriété confidentielle, Pierre Vincke[3] : « Je conteste absolument cette idée de ’’culture rwandaise, culture du mensonge’’. Je rappelle que Machiavel représente la culture de l’Occident, que toute la politique est basée sur l’art du mensonge et cela ne me pose pas de problème par ailleurs. Donc je ne vois pas pourquoi cela poserait problème dans notre entendement d’autres cultures ? Voilà la première chose par rapport à la vérité. La seconde, c’est que les vérités sont multiples, donc personne ne peut prétendre comprendre ou détenir la vérité. Néanmoins, en droit et en justice, ’’une’’ vérité peut être établie ; des procédures, un rituel sont organisés pour cela et permettent à certains mécanismes d’opérer. Entre le récit fermé qui ne laisse pas place à la communication et le récit sincère fait par un témoin ou un accusé, il y a une différence manifeste qui permet ou pas à la justice de passer. La justice est une proposition de sincérité, une proposition d’énoncer, en toute quiétude et en toute sécurité, ce à quoi l’on croit » (p.218). L’auteur considère que si on accepte cette culture du mensonge en Occident, il faut aussi l’accepter au Rwanda. Par contre, il est grossier de considérer, d’un coup de louche à lait, que la classe politique soit représentative de l’Occident, du Rwanda ou de toute autre contrée ou peuple du globe.

§ 4. Compléments concernant la « culture du mensonge » chez certains Banyarwaanda : Michèle Hirsch.

Quant à l’avocate Michèle Hirsch[4], elle a une manière particulièrement alambiquée de définir un témoignage reconstitué au contact d’autres témoins comme pouvant constituer une preuve convaincante : « Si l’on se place du point de vue des victimes, je pense que peu importe que certains témoignages aient été reconstitués suivant les discussions que les victimes ont eues entre elles, au Rwanda, parfois dans l’avion, parfois à l’audience, parfois même dans la salle des témoins. Sur le plan du témoignage en justice pour la victime, le contenu de ce qui est dit n’a que peu d’importance. Ce qui est important, c’est presque le contenant, c’est le ’’dire’’ en justice, la parole qui est entendue. La sphère du judiciaire sert de contenant au témoignage. Par contre, effectivement pour le jury, les témoignages consécutifs, parfois contradictoires ou trop évidemment les mêmes, apparaissaient comme irréalistes et peu convaincants. Mais je pense qu’il appartenait alors aux avocats d’expliquer au jury ; d’expliquer que finalement, même un témoignage reconstitué peut constituer une preuve et peut être entendu comme un témoignage au contraire convaincant » (p.218). Cette définition fait songer au principe maçonnique de la « coïncidentia oppositorum » qui veut que le tout et son contraire aient une valeur similaire, en vertu de la libre pensée ! Le Kabyle Saint Augustin rétorquerait qu’il y a la cité de Dieu et de la Vérité, et la cité du monde, de Satan et du mensonge.

§ 5. Compléments concernant la « culture du mensonge » chez certains Banyarwaanda : Ferdinand Nahimana.

L’historien Ferdinand Nahimana a écrit un ouvrage particulièrement intéressant, « Rwanda : les virages ratés », où il aborde la culture du mensonge : « La culture du mensonge, de la ruse, de la perfidie et du mépris de l’autre, ne pouvant en aucun cas favoriser l’entente entre les membres de la société, élément indispensable pour envisager des solutions positives et pour penser à un avenir meilleur, il est impératif de la bannir et de la remplacer par la culture de la sincérité, de la vérité et du respect de l’autre. Il y a un très grand risque d’échec si on cherche à mettre les Rwandais sur la voie de la modernité, du développement, sans avoir au préalable travaillé pour la disparition de cette culture du mensonge et pour son remplacement par celle de la vérité, du débat ouvert et sincère » (p.36). Ce vœux pieux sera sans doute le testament de paix de cet historien qui purge actuellement une peine de prison suite à sa condamnation par la justice lentement expéditive du TPIR.

§ 6. Compléments concernant la « culture du mensonge » chez certains Banyarwaanda : Shingiro Mbonyumutwa.

Shingiro Mbonyumutwa[5] a écrit un ouvrage, « Rwanda : à quand la démocratie ? Deux guerres civiles sur une génération »[6], où il mentionne par deux fois la culture du mensonge du FPR : « Trente ans après [la Révolution sociale et la victoire par les urnes –un homme une voix], dans la foulée de la mondialisation, ceux qui avaient fui cette ’’révolution Hutu’’ et cette ’’démocratie ethnique’’ rentrent au pays les armes à la main et exigent une ’’démocratisation non ethnique’’. Un Accord de paix est signé dans ce sens à Arusha (Tanzanie) le 4 août 1993. Ce qui arriva après cet accord montra malheureusement que la culture du mensonge, de l’hypocrisie et de la dissimulation, restait plus forte que l’état de droit couché sur papier à Arusha » (p.5) et « Malheureusement, la culture du mensonge et l’agenda caché du FPR et ses sponsors ne permettront pas la mise en application de cet accord [d’Arusha] » (p.133). D’autres auteurs ont insisté sur ce fait. Le seul fait d’abattre l’avion présidentiel rwandais à peine 90 minutes après qu’il ait quitté Dar es-Salaam où il avait signé les derniers accords de paix avec le FPR, est l’expression criminelle apothéotique de cette culture du mensonge. Dans le chef des extrémistes racistes et monoethniques du FPR, c’est comme si : « Je signe « les paix », « Amahoro » avec mon ennemi qui devrait devenir mon ami, et, à défaut du coup du Père François, je lui assène singulièrement un coup de « machette », « Ubuhoro », car ayant été mon ennemi, il le demeurera à jamais, quelques soient les accords signés pour la galerie ».

§ 7. Compléments concernant la « culture du mensonge » chez certains Banyarwaanda : Alphonse Ngamije.

En décembre 1996, une trentaine d’amis du Rwanda, prêtres, pasteurs et laïcs, Hutu et Tutsi, venant du Rwanda ou de l’extérieur, se sont réunis à Detmold, en Allemagne Fédérale, à l’initiative d’un chrétien fervent, Fulgence Rubayiza, soucieux de rechercher des pistes pratiques de réconciliation par le recours de la prière et du dialogue. Il a écrit un ouvrage, « Guérir le Rwanda de la violence : la confession de Detmold, un premier pas »[7], où il résume les témoignages faits au cours de cette rencontre. Il y fait part d’une lettre lui adressée par Alphonse Ngamije, de Thiès, au Sénégal, qui commente les points clés de son ouvrage : « Je viens de lire avec intérêt votre texte Confession de Detmold. (…) Le manque de vérité. La culture du mensonge, de l’hypocrisie, de la malignité (ubwenge, amacenga, amayeri) ne figure pas dans la Confession de Detmold. Pour autant que Hutu et Tutsi ne confessent pas cet esprit de manque de vérité et de franchise, le problème rwandais restera intact. Je crains même que cet esprit n’ait guidé cette Confession. A mon humble avis, ’’ukwicuza ntigushyitse kuri bamwe’’ l’aveu n’est pas suffisant, le chemin est encore long. Je prie pour que cette démarche soit soutenue par une grande partie des Rwandais, car par le pardon nous vaincrons les forces du mal (…) » (p.152). L’auteur conclut de ces entretiens à cœur ouvert : « plutôt que de maudire l’obscurité, il faut allumer sa petite chandelle » (p.207). Dont acte, mais, de fait, on ne pourra arriver à ce stade qu’avec l’éviction définitive du FPR.

§ 8. Compléments concernant la « culture du mensonge » chez certains Banyarwaanda : Danièle De Lame.

Comme chaque année, le groupe de professeurs de Droit de l’Université d’Anvers, en Belgique, le trio Marysse-Reyntjens-Vandeginste, a publié son très intéressant et bien documenté annuaire « L’Afrique des Grands Lacs : Annuaire 2006-2007 »[8]. Les auteurs font part du point de vue de Danièle de Lame[9], en écrivant : « La discrétion, la dissimulation, la façon pragmatique de vivre et l’interdépendance de la population paysanne sont des faits socioculturels qui affaiblissent la politique des aveux et des accusations » (p.54). Voici quelques extraits écrits par Danièle de Lame dans son ouvrage consacré à l’étude d’une colline rwandaise : « Faire circuler et retenir de l’information sont des faits culturels (…). L’art du secret, parce qu’il est très répandu au Rwanda, est aussi répandu partout. Dans la culture universelle, par manque d’une communauté spatialement structurée, la circulation des biens donne des frontières aux espaces sociaux, ainsi que le fait la rétention des secrets ou la circulation de l’information (…). Des secrets partagés développent une solidarité interne enracinée dans la confiance en autrui de ne pas les révéler ainsi que les solidarités externes basées sur la création d’une identité, qu’il s’agisse de la famille, du sexe (les secrets de femmes) ou la colline »[10]. Langage clair malgré sa complexité sociologique.

§ 9. Compléments concernant la « culture du mensonge » chez certains Banyarwaanda. : Charles Ntampaka

Ces auteurs anversois résument aussi le point de vue de l’avocat rwandais, installé en Belgique, Charles Ntampaka : « En plus, Ntampaka cite des traditions contradictoires en ce qui concerne le thème de la vérité dans l’histoire et les croyances rwandaises : on doit toujours dire la vérité, mais parfois, il vaut mieux ne pas les révéler ». Voici quelques extraits de ce qu’écrit Charles Ntampaka dans un article de 1997 : « ’’Aho kuramira ukuri waryamira ubugi bw’intorezo’’ (littéralement : au lieu de taire la vérité, il faut accepter que la tête soit coupée). Les ’’bagabo’’, les témoins, ne pouvaient dire que ce qu’ils avaient vu ou entendu, le contraire se disait ’’guca ibicuma’’, autrement dit témoigner pour en tirer profit, ce qui était désapprouvé socialement. L’autre dicton dit : ’’Ukuri guca mu ziko ntigushya’’ (la vérité passe dans le feu et ne brûle pas). On peut le rapprocher d’un autre : ’’Ikinyoma cyicaza umugabo kuntebe rimwe ntikihantwicaza kabiri’’ (le mensonge te permet d’acquérir une faveur une fois, pas deux fois). (…) La société rwandaise disait également que ’’Ukuri wavuze uraguhakishwa’’ : dans certaines circonstances, la vérité n’est pas bonne à dire à tout le monde. Il faut d’abord savoir contre qui on va témoigner et en apprécier les risques. C’est ainsi que la culture du mensonge en faveur des grands a pu s’installer. On ne témoigne pas contre les puissants : ceux-ci occultent la vérité pour se maintenir au pouvoir »[11].

§ 10. Compléments concernant la « culture du mensonge » chez certains Banyarwaanda : Jean-Pierre Chrétien-Goni & Jean-Damascène Gasanabo.

En 2007, Barbara Lefebvre et Sophie Ferhadjian ont écrit un ouvrage collectif, « Comprendre les génocides du XXe siècle : comparer-enseigner »[12], où l’on retrouve certains personnages favorables au régime du FPR[13]. Elles publient (Partie I, Chapitre 6, pp.130-153) une contribution de Jean-Pierre Chrétien-Goni & Jean-Damascène Gasanabo consacré au « Génocide des Tutsi du Rwanda », lesquels citent quelques extraits du charabia littéraire du journaliste autodidacte Hassan Ngeze, charabia publié dans le journal Kangura qu’ils qualifient d’ « idéologie raciste structurée » : « La nation est artificielle, mais l’ethnie est naturelle (…) Un cancrelat ne peut donner naissance à un papillon. Un cancrelat donne naissance à un autre cancrelat (…) L’histoire du Rwanda nous montre clairement qu’un Tutsi est demeuré identique à lui-même (…)  » (p.137-138). A la même page, ils écrivent à charge des tenants de la ligne dure Hutu : « Des caricatures grossières s’en prennent aux opposants Hutu et aux Tutsi, entretenant une culture du mensonge et de la violence ». A chacun apparemment sa notion de culture du mensonge  en fonction de son attrait pour l’un ou l’autre des amooko du Rwanda, ou de ce que l’un ou l’autre paie pour le conforter dans ce qui lui plaît.

c/o Agaculama Documents Analysis.
PUTS Jean-Paul, MD.