La force neutre en RDC pas la panacée, voire chimérique, selon les analystes

NAIROBI — La « force neutre » envisagée pour « éradiquer » les groupes armés opérant dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) pourrait bien ne jamais voir le jour et ne sera, dans le cas contraire, pas la panacée, estiment les analystes.

« Cette histoire de +force neutre+ n’a ni queue ni tête. Il y a déjà la Monusco (Mission de l’ONU en RDC) et elle ne s’en tire pas très bien. Ce n’est pas en rajoutant un légume de plus à la soupe qu’on la rendra plus savoureuse », estime l’historien français Gérard Prunier, spécialiste de la région.

Si Kinshasa et Kigali, qui s’accusent mutuellement de soutenir des groupes armés hostiles à l’autre dans l’est de la RDC, ont donné leur accord « de principe » à une telle force, ils divergent sur ses contours et sa mise en oeuvre.

Les autorités de la RDC voudraient utiliser les 19.000 hommes de la Monusco, déjà déployés en majorité dans l’est du pays, quitte à renforcer son mandat pour l’heure limité à la protection des civils. Mais il apparaît fort peu probable que Kigali, très critique à l’égard de la force onusienne qu’il accuse de partialité, se rallie à une telle option.

Deux rencontres successives de onze Etats des Grands Lacs en une semaine – une réunion ministérielle à Khartoum le 1er août et un sommet réunissant notamment les présidents congolais Joseph Kabila et rwandais Paul Kagame mercredi à Kampala – n’ont pas permis d’avancée notable sur le sujet.

Le sommet de Kampala s’est contenté de fixer un nouveau rendez-vous d’ici quatre semaines, en confiant dans l’intervalle à un sous-comité ministériel la tâche de discuter de la composition et de la taille de cette force.

Jason Stearns, chercheur spécialisé sur les groupes armés en RDC, qualifiait dans un article récent cette force de « chimérique » et « difficile à mettre en oeuvre ».

« Les bailleurs dépensent déjà 1,4 milliard de dollars par an pour la mission de maintien de la paix de l’ONU au Congo. Il est improbable qu’ils veuillent dépenser des millions supplémentaires pour une nouvelle force agressive chargée de traquer les rebelles » dans l’est du pays, écrivait-il.

Il rappelait en outre que les nations contributrices à la Monusco étaient peu favorables à un renforcement dans un sens plus belliqueux du mandat de leurs soldats.

« Cela prendra des mois – au moins – pour créer et déployer une force neutre. Durant ce temps, le (groupe rebelle) M23 (…) fera probablement mouvement et gagnera du terrain », soulignait-il.

L’Union africaine (UA) s’est dit prête mi-juillet à contribuer à une force impartiale en RDC. Mais le sommet de Kampala a indiqué vouloir privilégier les « solutions locales » dans son communiqué final sans mentionner à aucun moment ni l’ONU ni l’UA.

La force « sera composée de troupes fournies par les Etats membres de la Conférence internationale des Grands Lacs » (CIRGL), a affirmé mercredi le ministre ougandais des Affaires étrangères par interim Henry Okello Oryem, à la presse après le sommet de l’organisation sous régionale à Kampala.

Reste que pour être neutre, la force devra se passer des soldats de plusieurs puissances majeures parmi les onze Etats de la CIRGL, dont l’Angola, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda, qui ont pris part, dans un camp ou un autre, aux guerres régionales dont la RDC a été le théâtre depuis 1996.

Or il faudra trouver des troupes suffisamment aguerries pour s’attaquer à des groupes armés sur un terrain qu’ils connaissent comme leur poche, rappellent les analystes.

Nombre d’hommes et d’officiers du M23, composé d’anciens rebelles intégrés à l’armée en 2009 après un accord avec Kinshasa et qui ont repris les armes contre les autorités de RDC en avril dans le Nord-Kivu, frontalier du Rwanda, sont originaires de cette région.

Selon un récent rapport de l’ONU, ils bénéficient en outre du soutien du Rwanda, puissance militaire majeure dans les Grands Lacs.

Quant aux rebelles hutu rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui combattent le régime de Paul Kagame, avec selon Kigali le soutien de Kinshasa, ils ont installé leurs bases dans les forêts dans l’est congolais depuis désormais presque deux décennies.

AFP