LA FRANCE VA-T-ELLE SUCCOMBER AU CHANTAGE?

Bruxelles, 13 octobre 2018
 
Theogene Rudasingwa

Son Excellence Monsieur Emmanuel Macron

Président de la République Française
L’Élysée
55 Rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
France
 
 
Son Excellence Monsieur le Président,

L’honneur m’échoit d’adresser à Votre Excellence cette troisième lettre.
Dans des lettres précédentes, j’avais essayé d’attirer votre attention sur le sort tragique du peuple rwandais, sur la manipulation inhumaine par le président Kagame de la conscience troublée du peuple français à l’égard du Rwanda et sur la réponse ambiguë du gouvernement français qui oscille entre un silence né de la culpabilité, et des mesures qui laissent penser que la France s’agenouillerait face au chantage de Kigali.

Dans ma lettre du 26 décembre 2017, j’ai expliqué le comportement erratique et agressif du président Kagame envers les citoyens rwandais et la France:

Il y a tout d’abord la question non résolue de savoir qui est responsable de l’attentat terroriste contre l’avion dans lequel ont péri les présidents du Rwanda (Juvénal Habyarimana) et du Burundi (Cyprien Ntaryamira), ainsi que tout leur entourage, y compris des citoyens français. Tout comme l’assassinat de l’archiduc Franz Ferdinand d’Autriche en juin 1914 et le déclenchement de la Première Guerre mondiale, cet événement tragique a été le coup de feu qui a déclenché le génocide qui s’en est suivi, décimant à la fois des Tutsi et des Hutu. D’après ce que je sais, rien n’énerve et ne fait peur au président Kagame, plus que l’enquête française sur cette affaire. Cette enquête est une menace existentielle pour lui.

Deuxièmement, la communauté internationale a déployé beaucoup d’efforts pour traduire en justice les auteurs du génocide contre les Tutsi. Malheureusement, malgré tous les éléments de preuve présentés dans divers rapports des Nations Unies, y compris le rapport mapping de la RDC (1993-2003) qui a déclaré le Rwanda responsable de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et peut-être d’actes de génocide contre les Hutu et les Congolais, le régime du président Kagame n’a jamais été mis au défi de rendre compte de ces crimes odieux.

Les puissances occidentales, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, par culpabilité et/ou par intérêts géostratégiques, ont tout fait pour protéger le régime du président Kagame contre toute poursuite judiciaire. La culture de l’impunité qui en a résulté s’étend au-delà des frontières rwandaises, avec des implications considérables pour les décennies à venir.

Troisièmement, la crise politique prolongée qui a débuté en 1959 au Rwanda et qui a été ponctuée par la guerre civile, les réfugiés, le génocide, la destruction massive de personnes et de biens et la déstabilisation de la région n’a jamais cessé. Les acteurs ont changé, mais le manque interne de liberté, de démocratie et d’état de droit au Rwanda est une réalité vieille de plusieurs siècles.

Le président Kagame vient de se faire couronner président à vie par le truchement d’un référendum factice et d’un processus électoral truqué. Il cherche à perpétuer son pouvoir par une clique d’officiers militaires exclusivement tutsis, la fermeture absolue de l’espace politique et civil, l’assassinat et l’emprisonnement d’opposants politiques, la marginalisation des Hutu bannis en marge de la société comme des citoyens de seconde zone, une politique de persécution contre des éléments tutsis dissidents, de grandes inégalités socio-économiques et la corruption qui favorise le président Kagame, sa famille et son entourage immédiat.

Enfin quatrièmement, le régime du président Kagame est devenu l’influence déstabilisatrice par défaut dans la région des Grands Lacs, en Afrique orientale et centrale. Agissant seul ou au profit de certaines puissances occidentales, le Rwanda a parrainé des guerres d’agression et des guerres par procuration contre la République démocratique du Congo, tout en continuant de déstabiliser le Burundi et l’Ouganda.

En un mot, Votre Excellence, tant que le régime du président Kagame aliénera ses propres citoyens, provoquera les voisins du Rwanda, ne rendra pas compte de sa culpabilité pour des crimes qu’il a commis au Rwanda et en République démocratique du Congo, et pour avoir abattu l’avion présidentiel qui a provoqué des pertes massives en vies humaines, il cherchera toujours en la France un bouc émissaire tout désigné pour détourner l’attention sur de véritables causes de la crise politique prolongée au Rwanda.

Au premier trimestre de cette année, le 11 mars 2018, je vous ai écrit une deuxième lettre dans laquelle je mettais encore davantage en lumière les motivations et les actions du président Kagame:

Pour le président Kagame et son FPR / DMI, toute tentative de dévoiler la vérité sur l’assassinat, le 6 avril 1994, de deux présidents africains, citoyens français et hauts cadres gouvernementaux du Rwanda et du Burundi, et sur le récit complet des événements tragiques qui ont suivi (y compris le génocide contre les Hutu) est une menace existentielle qui doit être combattue avec toutes les ressources disponibles. C’est une technique des affaires très rentable qui a si bien servi le régime depuis 1994 qu’il est absolument impossible de changer de cap avant de la rendre obsolète au moyen d’un processus de destruction créative.

À cet égard, le président Kagame a si bien armé son récit en fabriquant de manière agressive des rapports qui régulièrement accusent et jugent des dirigeants politiques et militaires français comme des génocidaires (Rapport Mucyo, 2008; Rapport Muse, 2018); en bannissant le français comme langue d’enseignement au Rwanda pendant près de 100 ans; en expulsant l’ambassadeur de France au Rwanda; en payant des fortunes aux universitaires, aux médias et aux organisations de la société civile pour amplifier sa fausse théorie taillée sur mesure; en dénigrant le parti socialiste français et des institutions françaises (dont l’armée, en particulier); en mobilisant les Tutsi contre la France comme ennemi éternel; et en soulignant les points noirs de l’histoire impériale française (Algérie, Indochine) afin de galvaniser des émotions anti-françaises en Afrique et au-delà.
Tout dirigeant français qui ne reconnaît pas cette leçon de base se mettrait finalement du mauvais côté de l’histoire et risquerait d’être jugé durement par les futures générations de Rwandais, de Français et de l’humanité en général.

Comme le drame tragique du Rwanda, le 10 octobre 2018, le procureur français a demandé au juge d’instruction d’abandonner la poursuite de l’enquête sur l’attentat contre l’avion dans lequel deux présidents africains et tout leur entourage étaient morts, faute de «preuves suffisantes».
Si le juge d’instruction français accordait une suite favorable à cette requête de non lieu motivée par des considérations politiques et raciales, ce serait l’une des plus grandes trahisons et l’un des grands chantages de l’histoire moderne.

Ce n’est pas un cas de preuves insuffisantes, car l’écriture sur le mur est claire et limpide, du moins pour les citoyens rwandais.

Ce que les juges d’instruction ont déjà dans les dossiers est considérable. S’il en faut plus, le meilleur moyen d’avancer n’est pas de clore l’affaire, mais bien de passer à la conclusion logique dans le système judiciaire français ou de la confier au Conseil de sécurité des Nations unies. Après tout, l’acte terroriste a été commis à l’époque où l’Organisation des Nations Unies présidait à l’application de l’Accord de paix d’Arusha.

En vous écrivant, je voudrais m’assurer que vous compreniez bien qu’il n’appartient pas seul à Votre Excellence ainsi qu’à votre gouvernement de décider sur les destinées d’une affaire historique rwandaise et internationale d’une si grande ampleur. Ce devoir et cette obligation incombent en premier lieu au peuple rwandais et, secondairement, à la communauté internationale, qui comprend la France.

La France ne peut pas se permettre de commettre une erreur aussi coûteuse pour la deuxième fois dans un pays, en moins de trois décennies.

Premièrement, la France a soutenu le régime criminel du MRND / CDR qui a commis le génocide contre les Tutsi.
Deuxièmement, en récompensant le président Kagame et son FPR / DMI d’innocence dans un assassinat historique qui a déclenché le génocide des Tutsi et des Hutu, et en couronnant son ministre des Affaires étrangères (Louise Mushikiwabo) au poste de secrétaire général de la Francophonie, la France ne semble pas être un bon élève de son propre passé sombre à Die Bien Phu et en Algérie.

À l’avenir, à l’heure où l’histoire décidera enfin, Vous aussi, Monsieur le Président sera jugé aux côtés des États-Unis, du Royaume-Uni, du président Kagame et de son FPR / DMI, et de l’ONU.

Je tiens à vous assurer de notre engagement pour que rien ne soit négligé lors d’un décompte complet de notre tragédie afin que la génération actuelle ainsi que des générations futures de Rwandais puissent enfin commencer à guérir,

Veuillez accepter, Son Excellence Monsieur le Président, mes salutations très distinguées et ma très haute considération.

Pour la Commission Vérité Rwanda
Dr. Theogene Rudasingwa
Directeur Exécutif