La justice française s’oppose aux extraditions vers le Rwanda

La justice française a réaffirmé mercredi avec force l’impossibilité juridique pour la France d’extrader des Rwandais réclamés par Kigali pour leur implication présumée dans le génocide de 1994.

La cour de cassation, plus haute instance judiciaire, a rejeté mercredi les demandes d’extradition de trois Rwandais, comme elle l’avait fait précédemment pour d’autres cas.

Contrairement à plusieurs pays comme le Canada ou la Norvège, la France n’a jamais extradé de génocidaires rwandais présumés. Un premier procès en cour d’assises lié aux tueries de 1994 s’est ouvert au début du mois à Paris, et plusieurs autres pourraient suivre puisqu’une vingtaine d’enquêtes sont ouvertes.

Depuis 1994, Paris et Kigali ont entretenu des relations très compliquées: la France a été accusée par le pouvoir rwandais de complicité envers le régime hutu génocidaire et d’hostilité envers l’actuel président Paul Kagame, avant qu’une détente ne s’amorce à partir de 2010.

Dans les trois décisions rendues mercredi et consultées par l’AFP, la Cour de cassation a exposé les obstacles juridiques à l’extradition des Rwandais recherchés pour le génocide, qui a fait 800.000 morts en quelques mois selon l’ONU, essentiellement au sein de la minorité tutsi.

La Cour a d’une part cassé les avis favorables à l’extradition qui avaient été rendus en novembre par la cour d’appel de Paris contre Claude Muhayimana et Innocent Musabyimana. Elle a d’autre part confirmé l’avis défavorable concernant l’extradition de Laurent Serubuga, pris en septembre par la cour d’appel de Douai (nord).

Dans ses décisions, elle relève qu’une telle extradition serait contraire au principe de «non-rétroactivité de la loi pénale», énoncé notamment dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789: on ne peut être jugé pour une infraction qui n’était pas définie par la loi au moment des faits.

Or les demandes rwandaises d’extradition concernent «des faits qualifiés de génocide et de crimes contre l’humanité qui n’étaient pas incriminés par l’Etat requérant à l’époque où ils ont été commis», souligne la Cour. Le génocide est poursuivi au Rwanda en vertu de lois datant de 1996 et 2004.

 

– ‘Décision de principe’ –

 

En France, les crimes contre l’humanité sont définis dans le code pénal par une loi du 1er mars 1994. Ce qui permet à la justice française de juger actuellement à Paris Pascal Simbikangwa, un ancien capitaine de la garde présidentielle rwandaise, pour «complicité» de génocide et crimes contre l’humanité.

En novembre, la cour d’appel de Paris avait contourné le problème en invoquant les conventions internationales de 1948 et 1968 ratifiées par Kigali en 1975 et définissant le génocide.

La Cour de cassation a écarté ce raisonnement car aucune peine n’était alors prévue par la loi rwandaise pour incriminer le génocide et les crimes contre l’humanité. Or une infraction n’existe que si une peine la réprime.

Le principe de la «non-rétroactivité» avait déjà été développé en 2003 par la haute juridiction dans un arrêt célèbre concernant Paul Aussaresses, un ancien général français pendant la guerre d’Algérie, et dont la conséquence avait été d’écarter toute possibilité de poursuites en tant que «crimes contre l’humanité» des actes de torture commis pendant cette guerre.

Les seuls crimes contre l’humanité antérieurs à 1994 qui ont pu être jugés en France sont ceux commis pendant la Seconde Guerre mondiale (Klaus Barbie, Paul Touvier, Maurice Papon, Aloïs Brunner) en vertu notamment de la Charte du Tribunal international de Nuremberg de 1945.

L’avocat de MM. Muhayimana et Musabyimana, Philippe Meilhac, a confié à l’AFP son «immense soulagement».

«En quelques lignes, la Cour de cassation a dit le droit très simplement dans une décision de principe qui a une portée beaucoup plus large», a-t-il estimé. «J’espère que le Rwanda comprendra qu’il n’y a pas de possibilité juridique d’extradition».

Reste cependant la possibilité de poursuites en France. M. Muhayimana est d’ores et déjà visé par une information judiciaire ouverte à son encontre en juin 2013 à Paris.

L’association rwandaise de rescapés du génocide Ibuka a déploré ce nouveau refus d’extradition. «Cette France-là ne veut pas vraiment faire d’efforts», a déclaré à l’AFP son président, Jean-Pierre Dusingizemungu. «Notre hypothèse est que la France freine car elle est impliquée».

AFP