La saga Rwigara : le contre-pied

Elle a pleuré et enterré son père, elle a dénoncé ceux qu’elle tient pour responsable de cet « accident » de voiture ; Diane S. Rwigara a ensuite voulu frapper fort en se portant candidate à l’élection présidentielle dans son pays, le Rwanda. Le scrutin terminé, le président sortant a, sans surprise, été reconduit dans ses fonctions et la malheureuse (qui n’a même pas reçu l’aval de la commission électorale pour concourir) est en train de vivre un cauchemar que seuls peut-être avant lui Déo Mushayidi et Victoire Ingabire avaient connu. La présidentielle rwandaise serait-elle donc à ce point si maudite ? Y songer est-il synonyme d’une impitoyable condamnation avant l’heure ? Et si le problème serait plutôt du côté de ceux qui veulent le fauteuil qu’occupe Paul Kagame ?

L’opposition au gouvernement de Kigali, tout le monde le sait, est faite d’une constellation de partis dont le comportement a souvent rappelé la mitose ; vous savez, cette division consistant pour l’organisme à créer deux cellules filles à partir d’une cellule mère en conservant à chaque fois l’information génétique d’origine. Ainsi les partis politiques se scindent-ils périodiquement et entreprennent… les mêmes démarches. Ou presque. Et tous y sont passés : les Forces démocratiques unifiées (Fdu), le Rwanda national congress (Rnc), les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (Fdlr), pour n’en citer que les plus en vue. Si cette « diversité » d’idées nourrit abondamment les débats et alimente parfois utilement les polémiques, la dispersion et l’affaiblissement qui en résultent ne sont pas de nature à favoriser et ce, en aucune manière une quelconque candidature des opposants à la magistrature suprême lorsqu’il s’agit d’aller aux urnes.

Tenez, Victoire Ingabire par exemple. Lorsqu’elle s’en va séduire l’électorat en vue de la présidentielle de 2010, elle est gravement handicapée – elle le savait certainement – par essentiellement deux facteurs : (i) n’avoir pas vécu au Rwanda pendant très longtemps et (ii) être le candidat d’un parti qui n’avait d’ « unifié » que le nom. Derrière elle, les cadres se déchirent sur à peu près tout : la stratégie à adopter, la mise à jour (ou pas) idéologique, la pertinence même de participer aux élections, l’équipe de campagne, etc. Est-ce dans ces conditions que l’on peut envisager une victoire ou, à tout le moins, un score honorable ? Clairement, catégoriquement non. Dans le déni de cet échec prévisible pourtant, l’on s’empresse presque toujours de mettre en cause la seule main liberticide et dictatoriale du président Kagame. Hier comme aujourd’hui, cela ne suffit pas à expliquer tous les errements et déboires des oppositions (il n’y en a manifestement pas une, mais plusieurs) au Front patriotique rwandais.

Sept ans après Ingabire donc, pourquoi l’opposition (ou ces oppositions) en général et Diane Rwigara en particulier ne veulent pas tirer les leçons des maladresses et malheurs précédents ? Une élection, ce n’est hélas ! pas qu’une opération de communication : il ne s’agit pas que de professer sa bonne foi sur les antennes de quelques média ni d’énumérer à n’en plus finir ce qui va et/ou ce qui ne vas pas du tout. Convaincre et rassurer c’est bien, être organisé c’est encore mieux et faillir à cet impératif ne peut uniquement et invariablement être imputé au gouvernement en place. Avec toute la sympathie que l’on peut avoir pour Diane la citoyenne ou Diane la (toute nouvelle) politicienne, le fait est que sa candidature a semblé « tomber de nulle part ». Capitaliser uniquement sur le conflit qui oppose sa famille au fisc (ou au Fpr, allez savoir !) est de ce fait un raccourci sans issue, voire quasi fatal ; politiquement s’entend. Ceci n’est pas sans rappeler cet autre général qui avait cru s’inventer une carrière d’opposant politique suite à un litige personnel avec son ancien patron… Trop frugal comme programme.

Toutefois, même si l’on ne peut reprocher à cette jeune dame un activisme relativement tardif, l’on est tout de même en droit de se demander pourquoi ne s’être « réveillée » aux dures réalités quotidiennes de ses concitoyens qu’au lendemain du décès de son père. Comment croyait-elle sinon que son implication politique allait-elle être perçue ? Une démarche personnelle (vengeance) ? Familiale (devoir de mémoire) ? Ou nationale (militantisme politique) ? Sans doute les 3 à la fois, mais la politique étant aussi une affaire de perception, ces dimensions ne pouvaient être suffisamment clarifiées en l’espace d’une seule campagne électorale. Organisation, écrivais-je. Pourquoi par ailleurs n’a-t-elle pas fait un pas vers d’autres organisations d’opposition déjà actives ? Pourquoi inversement ces dernières n’ont pas clairement signifié leur soutien à celle qui tentait cahin-caha une autre voie, préférant inutilement attendre qu’elle soit inquiétée par les services de sécurité pour se confondre en communiqués et autres pétitions alertant l’opinion internationale ?

La saga Rwigara n’a pas certes fini de livrer tous ses enseignements et d’interroger le Rwandais lambda, mais d’ores et déjà, l’invitation à se remettre sérieusement en question et de gagner en crédibilité est ferme pour tous ceux qui prétendent un jour incarner une solution alternative au leadership actuel du Rwanda. Etre responsable d’une nation, présider aux destinées d’un pays, cela ne s’improvise pas. L’émotion légitime qui s’est emparée de millions de Rwandais à l’arrestation de Diane ne devrait donc pas empêcher le recul nécessaire à la pensée ni priver le citoyen du temps de la réflexion et du débat. Alors, non, la présidentielle n’est pas maudite car ce mauvais sort peut être conjuré.

I. La Plume