Le face à face des Rwandais avec leur propre histoire (2ème partie)

Au Rwanda, l’histoire s’écrit souvent sous la pression de l’actualité politique mise au goût du jour par le régime au pouvoir. Et, delà, se créent des « mémoires négatives » et concurrentes qui divisent la nation. Retour sur les événements dramatiques récents qui ont endeuillé le Rwanda, auxquels la vision ethnico-manichéiste plane. 

Quand la mémoire divise… 

Dans son livre intitulé « La concurrence mémorielle », l’historien et académicien français, Pierre Nora écrit que « la mémoire divise et l’histoire rassemble ». Telle est la réalité à laquelle les Rwandais sont actuellement confrontés. Alors qu’ils célèbrent aujourd’hui le 21ème anniversaire du  »génocide », beaucoup d’entre eux regrettent la manière dont on commémore et s’inquiètent pour l’avenir du pays.

Ces inquiétudes se fondent, en effet, d’abord, sur la manière dont le  »génocide » a été expliqué dès avril 1994 jusqu’en 2000, comment il est aujourd’hui expliqué et la manière dont on le commémore; ensuite,  la manière dont des personnes tant politiques qu’ordinaires continuent d’être sauvagement tuées ou portées disparues et; enfin, sur les aveux et de nouvelles révélations importantes et lourdes de conséquences de ceux qui occupaient les premiers rangs au sein du Front patriotique rwandais (FPR) et d’autres parmi ceux-ci qui étaient impliqués directement dans les combats qui opposaientt le FPR avec les forces armées rwandaises (FAR), armée régulière du régime Habyarimana.

De quoi s’agit-il plus explicitement?

Il s’agit pour la période allant d’avril 1994 à 2000, de l’emploi des termes  »génocide rwandais » et la manière dont on commémore au niveau national où les corps des seules victimes tutsies sont déterrés et inhumés collectivement ou mis en placards dans des maisons des sites dits mémoriaux.

A ce sujet, les observateurs se demandent comment on parvient à distinguer les corps des Tutsi et des Hutu au moment de les déterrer et les inhumer. Et ces mêmes observateurs se demandent aussi, si les autorités rwandaises sont capables d’accepter également que les corps des Hutu soient déterrés et inhumés officiellement comme c’est le cas pour les corps des victimes tutsies.

Sur ce, c’est encore une fois, la mémoire qui divise… car les Hutus sont dépourvus de tous les droits de faire officiellement et publiquement le deuil des leurs comme le font les tutsis. Cela accentue le clivage ethnique Hutu-Tutsi. Mais alors… Comment répondre à ceux qui disent que cela donne l’impression d’un respect et une reconnaisance réservés aux seuls Tutsi et des « ayants droits » plus que leurs confrères Hutu et Twa (dont on parle même pas dans le conflit rwandais et de mémoire). Autre chose à ne pas négliger ou oublier c’est que cela met en question la légitimité du régime au pouvoir voire même de l’État dans son renouvellement historique, ce qui nous permettrait d’oser dire qu’il s’agit bel et bien , au Rwanda, d’une crise institutionnelle profondes qui se masque sur les simples apparences du clivage ethnique Hutu-Tutsi.

Concernant alors le terme de  »génocide rwandais », lui aussi encore une fois qui divise, a fait son apparition dans le lexique rwandais juste au lendemain d’avril 1994 où il a été utilisé vaguement par la Communauté internationale et les Nations unies et adopté par le gouvernement rwandais d’alors dit « Gouvernement d’union nationale ».  Au fil des années, ce terme « génocide rwandais » a progressivement été remplacé par celui de « génocide des Tutsi », évitant ainsi que l’Histoire officielle puisse être questionnée. Actuellement, il s’applique exclusivement aux victimes tutsies alors qu’au début jusqu’en 2000 il n’en était pas ainsi.

Le « crédit génocide » jusqu’à quand?

La communauté internationale a institué expressément le tribunal spécial Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) pour enquêter sur les massacres et d’autres crimes commis entre la période allant du 1er janvier jusqu’au 31 décembre 1994. Ce même TPIR avait pour mission poursuivre et juger tous les coupables sans exception, du côté du FPR comme du côté du régime déchu de Juvénal Habyarimana et des ex-FAR. Mais aussi de prouver que ce « génocide rwandais » a été planifié ou pas.

Curieusement, le TPIR risque de fermer ses portes sans qu’il établisse le rôle que chacun de deux ennemis d’hier c’est-à-dire le FPR et le régime Habyarimana et les Ex-FAR aurait joué dans ce « génocide » et ses propres responsabilités. Après tant d’années, il juge seulement les membres de l’ancien régime déchu et en aucun cas un membre du FPR. Et cela montre qu’il s’est transformé en un Tribunal des vaincus et contribue à l’occultation de l’Histoire du pays. Ceux qui ont essayé ou essaient encore aujourd’hui que l’Histoire s’écrive correctement et que la justice soit juste et équitable pour tout le monde, sont souvent muselés, traités de « tendancieux », de négationnistes ou de divisionnistes. Telle est l’attitude qui caractérise actuellement le FPR au pouvoir. Mais aussi la communauté internationale et les Nations unies qui, dans la couverture de ce régime, se rendent elles-mêmes coupables.

Hier comme aujourd’hui, l’ONU agit toujours ainsi. Et cela contribue malheureusement à occulter l’Histoire et à faciliter le vainqueur à la manipuler ou la falsifier très aisément et intelligemment. Qu’on se souvienne, par exemple, comment l’ex-procureur du TPIR, Madame Carle Del Ponte a été écartée pour avoir voulu enquêter sur les massacres commis par le FPR et poursuivre en justice ceux qui, au sein de cette formation politico-militaire, seraient coupables. Qu’on se rappelle également de l’enquête du juge français Jean-Louis Bruguière sur l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana.

C’est tout cela qui, à mon avis, compromet le « vivre-ensemble » des Rwandais et crée constamment des « mémoires négatives » c’est-à-dire celles qui ne portent rien d’autre que la douleur et qui, au lieu de désamorcer le conflit devenu socio-politico-ethnique ou apporter l’apaisement, alourdissent les cœurs et empêchent l’unité nationale et la réconciliation. Et c’est cela également qui crée une concurrence mémorielle entre les Hutu qui ont été majoritairement massacrés par l’armée du FPR dès le 01 octobre 1990 jusqu’au crash de l’avion du président Habyarimana et après, et les Tutsi sauvagement tués durant les cent jours.

C’est cela également qui fait que, dans ce contexte politico-social instable du Rwanda, le vainqueur s’autorise toujours à manipuler l’Histoire à sa guise et comme il veut, à la falsifier sans contrainte avec la bénédiction-complice de la communauté internationale. Ainsi, s’écrit-elle répétitivement l’histoire du Rwanda. Et, sous la dictée des mémoires concurrentes, elle devient subjective et objet-problématique pour l’étranger qui ne la connaît pas, pour les enfants et les futures générations.

Alors que la mémoire devrait être un événement autour duquel les Rwandais, toutes les trois ethnies confondues (Hutu, Tutsi et Twa), se resserrent les coudes et se soutiennent moralement dans le but de se reconstruire et de s’entraider à surmonter eux-mêmes leur lourd passé et surtout pour rendre un hommage digne aux victimes, elle est devenue un moment de déchirement et d’indignation pour certains.

à suivre la 3ème et dernière partie prochainement ….

Tharcisse Semana

www.vepelex.org