Le Mrp – Abasangizi : nouveau parti ou cellule dormante réactivée ?

En découvrant les initiales de ce nouveau parti, je me suis tout de suite dit : « ça y est ! En voilà encore un autre qui éclate avant même que l’on ne sache où il voulait vraiment aller ». Car, pendant que certains peaufinent leur prochain retour au bercail, que d’autres forment des coalitions pour on ne sait pas encore trop pourquoi et que d’autres enfin veulent un million en billets verts pour faire le job en 22 mois, le « Muvoma », comme on le surnomme, (pour Mouvement républicain pour la paix) lancé par Albert Rukerantare s’est fait étonnamment discret par rapport aux positionnements actuels (J’y vais, j’y vais pas ?). Jusqu’à ce qu’un ex-diplomate de Kagame, un certain Anastase Gasana s’entiche, à son tour, de ces trois lettres de l’alphabet. La scène politique comptera donc un Mrp – Rukerantare et un Mrp – Gasana. S’ils ont le droit de fonder tout ce qu’ils veulent, l’observateur a, lui aussi, le droit de soulever cette question : pourquoi cette confusion que pourtant le tout dernier apparu sur la scène pouvait éviter ?

La réponse est toute simple et peut être trouvée dans le parcours politique, surtout les hauts faits du patron de cette nouvelle formation. Anastase Gasana. Sans devoir ressortir les passages du livre d’un autre Gasana, James celui-là, la trajectoire de ce docteur en lettres nous dépeint un Terminator aux côtés duquel beaucoup de techniciens d’Afandie apparaîtraient comme des pitoyables amateurs. Hyperactif au sein du Mrnd, le « vrai » Muvoma, Anastase Gasana y prône déjà la confrontation avec les partis adverses. Avec Murenzi Désiré, il est connu comme l’autre géniteur des Interahamwe, ces miliciens sur lesquels on n’a plus rien à redire aujourd’hui. Adepte de la confusion donc, monsieur passe au Mdr et a juste le temps de se refaire une virginité de… modéré. Il s’y active comme il peut : auprès de la première ministre assassinée plus tard, auprès du général Dallaire qui, bien abusé, lui offre une protection, auprès de Patrick Mazimhaka qui le ré-endoctrine. Il boucle alors sa boucle (son coming out en réalité) en passant, sans états d’âmes, au Front patriotique rwandais dont il sera l’un des avocats les plus acharnés lors des horreurs de Tingi-Tingi.

La réponse à cette confusion manifestement délibérée peut également être débusquée du côté du paravent sous lequel se présente le Mrp – Gasana. Pour bien embrouiller les amnésiques en effet, ils ressuscitent et s’approprient le vocable « modéré » qui n’a eu de sens que lorsqu’il s’est agi de favoriser l’arbitraire d’un Fpr conquérant ainsi que des relais occidentaux de ce dernier, les mêmes que le journal Marianne appela, un jour, « les idiots utiles de Kagame ». C’est quoi au juste être modéré et pourquoi cette épithète n’est applicable qu’aux seuls Hutu ? Tel qu’exposé dans le préambule du premier communiqué du Mrp – Gasana, l’utilisation de cet adjectif aurait valu à d’autres (que Gasana) l’anathème. Divisionnisme, aurait-on entendu. Le sujet dépasserait peut-être l’entendement de beaucoup d’intéressés, mais le Mrp – Gasana a tout intérêt à expliquer depuis quand des personnes qui revendiquent la modération ont prôné le recours à la force comme moyen de solutionner les problèmes qui accablent le Rwanda d’aujourd’hui. Qui croient-ils berner en disant s’opposer à la dictature militaire de Kagame alors que, sur un plateau doré, ils sont en passe de lui offrir le meilleur cadeau pour plus d’oppression, à savoir un conflit armé ?

Terminator disais-je. Sans lui prêter des forces qu’il n’a pas, il n’échappera à personne que le girouettisme de Gasana n’a jamais été innocent. A chaque fois qu’il quittait une formation politique, celle-ci voyait son image irrémédiablement ternie par le camp que rejoignait le visionnaire Gasana. Il quitte le Mrnd et ce dernier subit des tels assauts qu’à la veille du génocide (et même après) être de ce parti équivalait presque à avoir un lien de parenté avec Lucifer. Les partisans d’alors de Gasana chantonnaient « Joie et allégresse le jour où il partira ! ». On connaît la terrible suite. On l’a fait partir et beaucoup de compatriotes se sont vus offert un abonnement en seconde zone (de citoyenneté, s’entend). De joie point, car une dictature ça ne sait pas réjouir le quotidien du peuple. Ministre de la dictature, Gasana l’était lorsque son ancienne formation, la même qui a lutté pour un changement, s’est vue accusée de tous les maux avant d’être bannie. On venait alors de découvrir que le diable n’était pas né en 1975 (création du Mrnd), mais plutôt, selon l’acte d’accusation, en 1959 avec les Barwanashyaka, c’est-à-dire principalement ceux du Mdr. Le Terminator venait de faire ses preuves en coulant deux poids lourds. Il pouvait se reposer. Ou plutôt entrer en veilleuse…

Maintenant que la dictature s’essouffle petit à petit, que ses soutiens en ont marre et qu’une lutte politique est ouvertement engagée par plus crédibles que Terminator Gasana, le revoici qui vient se rappeler à la mémoire de tous. Et comme pour crier gare ! il ose créer ce que personne, à part les Fdlr, n’a jusqu’ici fait : une branche armée, Urukatsa (en référence à la milice du prince Semugaza qui a croisé les fers avec les Abakotanyi du commandant Semugende ?) Gageons qu’à l’instar d’un boomerang, cette menace reviendra à la figure même de ce parti et qu’au lieu d’être les fossoyeurs de l’opposition qui s’organise cahin caha, la guerre du Mrp – Gasana n’aura pas lieu ou qu’elle n’emportera que ceux qu’elle aura mobilisé. Car seul celui qui n’est pas au courant du bilan de cet ami de notre dictateur pourra succomber à ses fanfares. Son Mrp, il est clair, à part rajouter de la confusion n’apparaît que comme une cellule dormante (stay-behind) du Fpr que Kagame, en bon espion, vient de réactiver pour anéantir une force redoutée. Demain transplantés dans le martyrisé Kivu, les hordes que les RDF auront prêtés à Gasana (comme jadis à Nkunda et hier encore à Makenga), n’auront d’autre tâche que de phagocyter puis se substituer aux Fdlr.

Cecil Kami