Les dernières cartouches de Kagame : « culpabilisons leurs fils »

Pendant que l’Afrique prépare le deuil de Mandela, que Sarkozy démissionne de sa dernière fonction officielle et que le roi des Belges abdique en faveur de son fils, mon président lui essaie de faire croire qu’il échappera à sa fin (politique) inéluctable. En cognant sur les autres. I will hit them se vantait-il devant une foule qui ne pouvait qu’applaudir mécaniquement la harangue du jour. De la bouche de cet orateur friand des mots querelleurs, cette déclaration n’est pas vraiment une surprise. Souvenez-vous de la mèche allumée, il y a plus de 4 ans déjà, lorsqu’il promettait de moudre et de blesser certains de ses compatriotes. La suite s’est déclinée en emprisonnements et empoisonnements aussi contestables que détestables, en tortures sauvages et en exil forcés, en attentats et assassinats de toute voix discordante. La méthode est donc malheureusement connue ; ce qui l’était moins ou pas du tout c’est cet aveu masqué d’une faillite idéologique (il adore cette expression) très flagrante. Imputer subrepticement le crime des parents à leurs enfants en obligeant ces derniers à demander pardon. Il a vraiment du culot le quidam.
Sa responsabilité dans le génocide étant clairement engagée, il veut néanmoins demeurer le premier bénéficiaire de ce drame. Elle est tout simplement renversante cette forme d’usurpation kagamienne. Redoutant le jour où il n’aura plus d’immunité, il suggère – à sa façon – l’idée d’un autre mandat qui le mettra (à vie) hors d’atteinte des juridictions concernées par ses crimes. Ceux détaillés dans le Mapping report par exemple. S’en est-il déjà excusé auprès, non pas des rescapés de cette folie, mais de la nation ? Non. Croit-il un seul instant que ce sera à sa progéniture de s’excuser pour les 300 000 personnes férocement massacrés sous ses ordres ? Non. A quoi joue-t-il alors? Que nous vaut cette énième musculation et intimidation présidentielles ? Il a eu ses Gacaca et un Tpir pour condamner ses adversaires et rien que ces derniers. Il a même eu « la tête » de Carla del Ponte… Il a eu les larmes de Roméo-le-canadien en plus de la génuflexion de la Belgique. Il a également eu une journée internationale (chaque 7 avril depuis 2004) décrétée par l’Onu en signe de contrition par rapport l’abandon des Rwandais par le monde entier en 1994. En quoi donc la pénitence d’une autre génération ferait-elle le bonheur du régime afande ?
Il s’agit, sans l’ombre d’un doute, de l’effet Kikwete. Très mal à l’aise en effet avec la proposition (de dialogue) du président tanzanien, Kagame sait qu’il ne peut affronter ce voisin de l’Est comme il l’a jusqu’ici fait impunément avec celui de l’Ouest. Certainement le souvenir du sort d’un autre dictateur au verbe répugnant et à l’audace suicidaire. Idi Amin Dada a envahi la Tanzanie et l’a payé très cher. Conscient de cela, l’homme fort rwandais s’y prend autrement : puisqu’on l’invite à dialoguer avec ses opposants et que la nouvelle génération est tout à fait décomplexée quant à la culpabilité de ses parents, il faut tétaniser ceux qui pourront oser. Recourir s’il le faut aux fameuses répliques du Loup et de l’agneau.
Je ne puis troubler sa boisson. – Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l’an passé. – Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ? Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère. – Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. – Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens.
La raison du plus fort, disait Jean de la Fontaine, est toujours la meilleure ; peut-être pas sur ce coup-ci.
Une autre raison de cette insolence faite à la jeunesse de son pays réside dans la frustration qu’éprouve le général Kagame s’agissant des méthodes adoptées jusqu’ici par l’opposition. Dans leur majorité, les partis qui veulent son départ n’envisagent pas de guerre alors que lui disait encore (ce 4 juillet 2013) : I am looking for a fight. Carrément. Au pays du printemps perpétuel, Kagame redoute donc que ses opposants n’en vienne à encadrer idéologiquement la jeunesse dans ce qui aurait la forme d’un printemps anti-afande et qui verrait son immense et coûteux arsenal lamentablement inefficace face à une inextinguible soif de changement. Ainsi, faute de grives (on lui donne pas sa fight tant rêvée), Kagame compte bien manger des merles (prendre en otage la jeunesse et la dissuader de rejoindre l’opposition). N’a-t-il pas, lors de la même allocution, annoncé (à demi-mots, il est vrai) la prochaine vague d’enregistrement des partis politiques ? « J’ignore ce qu’ils ont en tête ceux-là qui refusent d’agréer ces partis-là, ils veulent être enregistrés ? Laissez-les faire », a-t-il dit en substance, avant d’ajouter cette menace on ne peut plus claire: « ils ne sauront même pas ce qui les feront disparaître ». Comme André Kaggwa Rwisereka (paix à son âme) ? A bon entendeur…
II y a enfin cet isolement diplomatique. Mis dans la bouche de l’intéressé, l’indignation donnerait à peu près ceci : « Vraiment ! Ce noir d’Amérique vient en Afrique et n’ose même pas l’escale dont m’avait gratifié Bush fils ! Pire, il va chez ce taré de Tanzanien qui amplifie la voix des génocidaires. Qu’ils aillent tous au diable. A l’un et à l’autre je donnerais de leçons : le contingent tanzanien de la Monusco va souffrir tandis que je pactiserais et soutiendrais Uhuru Kenyatta (lui aussi) mis en cause par la justice et que le même Obama n’a pas daigné aller voir ». On sent le désespoir. Il ne tenait l’Occident que par la culpabilité et ce dernier s’y est progressivement soustrait. L’Afrique ? Le président Kikwete vient de donner le la : le temps est à au dialogue. Il ne reste donc que les toutes dernières cartouches et celles-ci sont lâchement tirées en direction d’une jeunesse qui va périr pour un crime qu’elle n’a même pas commis ni connu. On sent la fin, faut s’accrocher. Par tous les moyens, fussent-ils ceux de faire payer à des innocents. Si d’aucuns vont voir en cette posture présidentielle un clin d’œil aux trucs de Magayane, comment ne pas penser à cette phrase de Karl Jaspers disant « Le désespoir est une défaite anticipée » ?
Cecil Kami