L'est de la RDC en proie à une guerre ignorée

A Bukumbirire, un homme est à l’article de la mort. Samuel Kiringe, recroquevillé sur un lit de fortune, visage émacié, halète. « Ils l’ont coupé », chuchotent les villageois qui l’entourent.

« Coupé » à coups de machette par des miliciens d’un groupe armé, les Raia Mutomboki (« citoyens en colère »), qui mènent des attaques contre les villages de cette région montagneuse du sud du Masisi.

On ne pouvait pas confondre Samuel Kiringe avec un milicien, un rebelle, un soldat. Agé de 73 ans, il a perdu l’une de ses jambes il y a bien longtemps. Pourtant, les Raia Mutomboki l’ont laissé pour mort deux jours plus tôt, vendredi 10 août, dans un hameau près de Remeka, sur lequel ils venaient de s’abattre.

Maisons brûlées, population « coupée » sans épargner femmes, enfants, vieillards. Six morts ? Plus ? Dans ces collines, personne ne vous entend mourir.

LE VÉRITABLE CONFLIT, DÉLOCALISÉ, SE LIVRE, EN SOURDINE

Un rescapé a porté Samuel Kiringe sur son dos pendant plusieurs heures jusqu’à Bukumbirire, espérant trouver de l’aide au centre de santé. Sur le fronton du bâtiment, une ONG qui ne se hasarde plus dans la région a tendu une banderole proclamant gaiement : « Choléra je te défie. »

A l’intérieur, le matériel de soins pour le blessé se résume à un seau. Des bouts de tissu souillé servent de pansements. Une plaie à la gorge le prive de l’usage de la parole. Son assaillant avait visé la carotide. Son poignet est aussi entaillé.

Samuel Kiringe vivra, transporté par des visiteurs occasionnels dans un hôpital de Goma, la capitale régionale, après des heures de cahots à défaillir de douleur. Mais sur le flanc des collines du sud du Masisi, dans ces villages perdus entre pâturages d’altitude et champs dégoulinant d’humidité, au bout des pistes embourbées où le seul mode de locomotion est la botte en plastique, une guerre ignorée est en pleine expansion.

Les regards extérieurs, depuis avril, sont braqués sur le M23, la mutinerie d’officiers tutsi abonnés aux rébellions et guerres successives en RDC, comme leur chef originel, Bosco Ntaganda, déjà recherché par la Cour pénale internationale (CPI). Le M23 fait face aux forces gouvernementales congolaises (FARDC), à proximité de Goma.

Comme le Rwanda est impliqué aux côtés du M23, ainsi que l’ont montré des experts de l’ONU, la peur d’un conflit embrasant la région donne des sueurs froides. Mais c’est loin de cette fausse ligne de front où personne ne se bat que le véritable conflit, délocalisé, se livre, en sourdine.

TROUPES LOW COST

Ces groupes, au Nord-Kivu comme au Sud-Kivu, sont en train de se mettre en ordre de massacre, sans susciter l’intérêt qu’ils méritent en dehors de leurs zones d’action. Ils sont en passe de devenir les principaux acteurs d’une guerre par procuration. Les FARDC battent le rappel de leurs alliés : miliciens hutu rwandais des FDLR, groupes maï- maï, APCLS du colonel Janvier, milices villageoises diverses.

Dans l’autre camp, une coalition s’ébauche autour du M23 : maï-maï Cheka, groupe de Lafontaine et, désormais, les Raia Mutomboki, qui sévissent surtout entre la région minière de Walikale et le Masisi. « Nous avons des points de vue en commun », résume prudemment le porte-parole du M23, le colonel Vianney Kazarama.

Pratiques, les Raia Mutomboki ! Chefs mystérieux, troupes low cost capables de mettre à feu et à sang des régions entières. Un témoin qui a assisté à une réunion récente de certains de leurs chefs, au Sud-Kivu, dit sa surprise d’avoir découvert 3 000 combattants, portant de longues chaussettes de football repliées sur leurs boots militaires, une couleur par unité.

Un humanitaire familier de la région, qui en a rencontré plusieurs fois, dit avoir pris peur en voyant des guerriers « renifler la voiture à la recherche d’une odeur de Hutu, prêts à tuer si leurs grigris leur indiquaient la présence d’un ennemi ».

Pour autant, aucun risque de poursuites devant la CPI. Ce ne sont pas les témoins qui risquent de gêner : personne, ou presque, ne se rend plus dans les zones où on tue sans retenue. Pour la défense de Goma, les FARDC et la mission de l’ONU, la Monusco, ont dégarni des bases à l’échelle de l’Est si vaste.

Cela a favorisé un peu l’essor des groupes poussés par d’autres facteurs : livraisons d’armes, manipulations politiques diverses. Ainsi, personne n’explique comment les Raia Mutomboki ont grandi si vite, jusqu’à pouvoir prendre la ville de Walikale le mois dernier. Initialement, le groupe est né plus au sud, dans la région de Shabunda.

Ils ont essaimé, créé des franchises. Leur but était de s’en prendre à la rébellion hutu rwandaise des FDLR, la hantise du Rwanda voisin. Et ils ont fait merveille. A présent, ils s’attaquent à des villages de paysans hutu congolais, sur une simple base ethnique. Ce langage, dans la région, appelle le sang.

« RÉGION IRRÉCUPÉRABLE »

Dans les villages du Masisi, de nouvelles milices hutu s’organisent, comme les Nyatura (le fouet). A Kaniro, le groupe local est dirigé par un « colonel » en survêtement jaune. Pas d’armes visibles. Le colonel Jean-Baptiste s’avoue dépassé par l’intensité des attaques des Raia Mutomboki : « IIs pratiquent l’attaque-poursuite, puis disparaissent. » En mai, plus de cent personnes étaient tuées vers Katoye, plus au sud. Depuis, les attaques et contre-attaques n’ont pas cessé.

Sur cette base, les extrémistes ont de beaux jours devant eux. L’un d’entre eux harangue la foule et pousse au crime : « Les Raia Mutomboki ont fait 1 000 kilomètres à pied pour massacrer les Hutu ! Le troisième génocide a commencé ! Préparez-vous à vous défendre ! La guerre va bientôt commencer, prenez des machettes, il faut tuer avant qu’on nous tue ! »

Bientôt, le Kivu sera-t-il embrasé par cette combinaison de manipulations politiques et de la folie de quelques-uns ? Le risque est d’autant plus grand que la propagation de la violence n’a rien de spontané. « La rapidité avec laquelle les Raia sont apparus et se sont étendus semble indiquer qu’il y a eu soutien et encouragement. Je crois que le but du jeu est de rendre la province irrécupérable pour Kinshasa », analyse, découragé, Guillaume Lacaille, spécialiste de la RDC.

Source: le Monde