Lettre ouverte à mes compatriotes intellectuels rwandais (Faustin Twagiramungu)

Faustin Twagiramungu dans une conférence de presse à Bruxelles en 2015

« Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui » (Martin Luther King)

Chers compatriotes,

En ma qualité d’homme politique rwandais et de témoin de l’histoire de notre pays, je me vois dans l’obligation d’attirer votre attention sur l’immense détresse et les terribles humiliations que subit le peuple rwandais depuis plus de 25 ans. Plus le temps passe, plus la situation de nos compatriotes ne cesse de se détériorer. Jamais le pays n’avait connu autant de malheurs orchestrées par le pouvoir en place, dont des atteintes massives à la vie, à la liberté et à d’autres droits fondamentaux, des spoliations et des destructions de biens privés, des famines endémiques délibérément provoquées pour décimer une partie de la population, et bien d’autres maux devenus le lot quotidien des Rwandais. Au rythme où vont les choses, le pire est à craindre, aussi longtemps que le Rwanda sera sous le joug d’un tyran sanguinaire qui ne s’en cache plus.

En effet, lorsqu’un Chef d’Etat en exercice, en l’occurrence le Général Paul KAGAME, affirme haut et fort qu’il a tué et qu’il va continuer de tuer ses citoyens, et qu’en dépit d’être condamné il soit plutôt applaudi, ne peut que nous amener à nous inquiéter et à nous interroger!

Cet exemple récent et d’autres cas que vous connaissez certainement, me poussent à pointer du doigt votre passivité, collective ou individuelle, devant le drame qui se joue devant vos yeux. N’entendez-vous pas cette petite voix de la conscience vous demander instamment: « Qu’as-tu fait de ton intelligence, de ton savoir et de ton savoir-faire ? Qu’as-tu fait pour ton peuple ? »

Chers compatriotes, RÉVEILLEZ-VOUS !

Le seul pouvoir légitime est celui qui repose sur le consentement du peuple. Par conséquent, l’exercice du pouvoir ne saurait avoir d’autre finalité, que le bien de la communauté publique. Et pourtant, le régime du FPR exerce son pouvoir par le fer et le sang dans le but de l’enrichissement illicite de ses dignitaires. Que faudra-t-il faire pour que vous soyez pleinement sensibilisés à cette situation pour le moins injuste et inacceptable ? La tyrannie est présente. Elle fait des ravages tous les jours.

Certains d’entre vous se disent : «Je ne vais pas risquer ma peau pour affronter ce régime impitoyable ! Je m’en remets au destin!». C’est ce fatalisme qui nourrit et entretient le mal. C’est l’alibi de l’indignité ! Qui pense ainsi est un lâche qui s’ignore. Souvent, nous oublions que mourir ne dépend pas de nous. Mais n’oubliez jamais, qu’il dépend de vous de sauver votre peuple en détresse.

Ce que nous avons vécu et que vivent nos compatriotes est indicible ! Qui parmi vous n’a pas perdu un ami, un frère, une sœur, un parent ? Toutes les familles ont été touchées par la volonté des assassins, qui se croient toujours et pour toujours au-dessus des lois.

Combien parmi vous sont tellement terrorisés, qui se déguisent en cadavres ambulants, pour ne pas « être tués une deuxième fois » ! Ils sont devenus comme des zombis, qui obéissent, au doigt et à l’œil, à ce régime qui les tue. Ce n’est pas en abandonnant votre corps et votre esprit à ces forces du mal, que vous vivrez mieux ! Soyez dignes, pensez au moins au bien et à l’avenir de vos enfants et leurs descendants ; l’histoire vous en saura gré !

Chers compatriotes, ENGAGEZ-VOUS !

Les hommes, les femmes, les garçons et les filles de votre âge ont décidé de mener une lutte sans merci contre ce régime du FPR-KAGAME qui tue et malmène les Rwandais. Rejoignez-les ou soutenez-les d’une façon ou d’une autre ! Ils comptent sur vous. Ils sont engagés dans des associations ou partis d’opposition au Rwanda et à l’extérieur. Ils sont en prison ou en exil. Ils se battent jour et nuit, chacun à sa manière, pour la dignité, la paix, la justice, la liberté et la démocratie dans notre pays.

Certains en payent le prix fort, et malgré cela les autres continuent. Avec eux, je crois en la victoire finale. Ceux qui ont été tués dans ce combat, sont des filles et fils dignes de la nation. Ils sont tombés sur le champ d’honneur, nous ne les oublierons jamais. Ils forcent notre admiration, ils nous inspirent jour et nuit ; faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que leur sacrifice ne soit pas vain.

Certains pensent, à tort, ne pas être concernés par cette lutte, au motif qu’ils ont une situation sociale ou financière enviable. Ils oublient que le régime dictatorial du FPR-KAGAME peut à tout moment tout leur prendre, à ceux qui sont à l’intérieur du pays, ou, pour ceux qui sont en exil, les malmener d’une façon ou d’une autre, par le biais de sbires mandatés à cet effet. Faut-il encore souligner qu’il s’agit d’abord et avant tout d’un combat pour la dignité et la liberté ? En l’espèce, ces paroles d’un sage africain méritent toute notre attention : « Etre pauvre et libre plutôt que riche dans l’esclavage ! » 

Chers compatriotes, BATTEZ-VOUS !

Pour que votre peuple et vous-même soyez en sûreté, il faut être délivré de la force tyrannique ! Cette machine d’oppression est contraire au droit, elle s’oppose à votre liberté, elle nuit à votre vie tout simplement !

Comme tout être humain, la raison vous oblige, tous et chacun, de considérer comme ennemi de votre conservation, celui qui veut vous ravir votre vie, si vous ne vous soumettez pas comme son esclave corvéable à merci. Dans ces conditions, il vous impose une situation d’état de guerre et devient ipso facto votre agresseur, contre qui vous avez le droit et surtout le devoir de combattre. Vous l’aurez compris, c’est une question de survie et de légitime défense.

Chers compatriotes, INDIGNEZ-VOUS !

Vingt-cinq ans que les ossements des nôtres sont exposés comme des trophées de guerre ; ça suffit ! Le régime FPR dirigé par Paul KAGAME a décidé d’ôter l’humanité à nos défunts. Ils sont privés du repos éternel auquel ont droit tous les morts. Tous ces corps exposés à GISOZI et ailleurs sont ceux des nôtres, vous et moi. Aucun de ces morts n’appartient à la famille de KAGAME, car si c’était le cas, pareille humiliation lui aurait été épargnée.

Les nôtres sont devenus des objets de curiosité. Ils sont déshumanisés tous les jours, sous le regard complice des visiteurs étrangers, qui sont soumis malgré eux, à un exercice émotionnel des plus étranges, qu’ils n’osent pas dénoncer. Cette mise en scène macabre est choquante et inacceptable : elle est savamment entretenue par le régime dictatorial du FPR-KAGAME en vue de maintenir dans la culpabilisation une partie des Rwandais et de s’attirer la sympathie d’une Communauté internationale dont la naïveté est habilement exploitée par le pouvoir de Kigali.

Nous ne le dirons jamais assez : l’exposition de ces ossements doit cesser. Non seulement elle procède d’une instrumentalisation politique des plus condamnables, mais aussi elle constitue le comble du cynisme, quand on sait que, dans la plupart des « sites mémoriaux », il s’agit des restes des corps des personnes tuées massivement par l’Armée du Général KAGAME lors de sa conquête du pays en 1994.

Il faut agir et vite, pour que ces corps soient enterrés en toute dignité. Ne laissons plus faire cette affreuse exposition, contraire à nos croyances et notre culture. Notre passivité chosifie nos morts et les réduit au néant. Ils sont morts injustement, et comble du drame, ils sont devenus le décor d’un spectacle politique pitoyable !

Le FPR nous terrorise tellement qu’il est difficile de protester contre cette infamie. Mais jusqu’à quand nos morts devront supporter notre silence complice ? ll est temps d’agir, pas seulement pour ce cas, mais aussi pour d’autres injustices du quotidien. Ensemble, levons-nous comme un seul homme pour briser ce cycle de violence et d’impunité qui a trop duré, et pour mettre un terme au régime dictatorial et criminel de Paul KAGAME.

Chers compatriotes,

Je n’en doute pas, mon message aura contribué, je l’espère, à vous rappeler votre devoir d’intellectuel. Vous, comme moi, avons l’obligation de nous engager résolument en faveur de l’avènement au Rwanda d’un nouvel ordre politique respectueux de la vie, de la dignité, de la liberté et d’autres droits fondamentaux dont nos compatriotes sont privés depuis plus de 25 ans.

Nous devons d’abord et avant tout compter sur nous-mêmes car, comme le dit bien à propos un adage rwandais, « les semences venant d’ailleurs arrivent généralement en fin de saison » (Ak’imuhana kaza imvura ihise). Au lieu d’attendre notre salut d’une Communauté internationale indifférente à notre sort ou en complicité avec notre oppresseur, misons plutôt sur notre énergie et celle de la jeunesse de notre pays, acquise dans sa grande majorité à l’urgence et la nécessité d’un changement politique au Rwanda, qui doit se faire dans l’unité de toutes les composantes de la société rwandaise.

Demain ou après-demain, sonnera le départ pour une marche commune vers la libération du peuple par le renversement du régime honni qui l’asphyxie depuis que le Général KAGAME règne en tyran sanguinaire sur le pays. Soyez au Rendez-vous de l’histoire, de votre histoire, que vous écrirez avec un cœur de patriotisme, de fraternité et de concorde nationale. « A la fin, nous nous souviendrons, non pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis. » (Martin Luther King)

Avec toutes mes amitiés et mes sincères salutations.

Bruxelles, Avril 2020

Faustin Twagiramungu