LETTRE OUVERTE CONCERNANT LES MENACES DE RUPTURE DES RELATIONS DIPLOMATIQUES ENTRE LE RWANDA ET LA FRANCE

Joseph Bukeye

Acculés par la Justice française les dignitaires du régime de Kigali prennent le Rwanda en otage !

Les Forces Démocratiques Unifiées (FDU INKINGI), parti politique d’opposition au régime dictatorial du Front

Patriotique Rwandais (FPR) dirigé par Paul Kagame, président du Rwanda, s’indignent des menaces  incessantes proférées par le régime du FPR de rompre les relations diplomatiques avec la France, à l’occasion de la réouverture récente d’une instruction judiciaire française, dans l’enquête sur l’attentat terroriste contre l’avion de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana, accompagné de son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, de leurs suites ainsi que de l’équipage français qui, tous, ont péri dans cet attentat du 6 avril 1994. Ce chantage permanent exercé par le FPR contre la France pour échapper à toute responsabilité dans cet attentat terroriste nous répugne.

Différents rapports dénoncent les crimes du FPR :

C’est cet attentat qui, aux dires de tous les experts crédibles, a été l’élément déclencheur du génocide contre les Tutsi survenu au Rwanda en 1994. Il sied de rappeler notamment les rapports d’experts tels que celui de Robert Gersony en 1994 , les tueries de Kibeho le 22 avril 1995,  Roberto Garreton en 1998 sur la situation des droits de l’homme au Congo, et le Mapping report des Nations unies sur la RDC pour la période  1993-2003 pour ne citer que ceux-ci.

Par ailleurs, d’autres experts neutres se sont exprimés dans ce sens (Amnesty International, Human Rights Watch, Avocats sans frontières, le Département d’Etat USA, le Foreign Office Britannique, etc.). Le documentaire « Rwanda Untold Story » de la BBC, que le gouvernement rwandais a tenté sans succès d’interdire, en est aussi une illustration.

Il est inimaginable que tous ces rapports aient été classés sans suite, alors qu’ils répertorient les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par ces dignitaires actuellement au pouvoir au Rwanda, mais qui restent à l’abri de toute poursuite par la justice. Les crimes de ce genre restent cependant imprescriptibles.

Le peuple rwandais étant dirigé d’une main de fer, aucun rwandais de l’intérieur ne pouvait oser élever la voix pour pointer du doigt un tel ou tel autre crime commis sous le couvert de la haute protection du FPR. La seule personne qui a osé le faire est Madame Victoire Ingabire Umuhoza, présidente des FDU Inkingi, prisonnière politique détenue dans la prison de 1930 à Kigali. Elle a été condamnée par les Cours et Tribunaux du Rwanda pour minimisation et idéologie du génocide, et autres crimes similaires inventés par le régime de Kigali. Sa cause reste actuellement pendante devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, sise à Arusha en Tanzanie et au sein de laquelle le Rwanda, partie au procès, vient de décrocher depuis juillet 2016 un siège de juge en la personne de Madame Marie Thérèse Mukamulisa, qui faisait partie du siège de la Cour Suprême du Rwanda au moment de la condamnation de Madame Victoire Ingabire Umuhoza à 15 ans de prison ferme par cette cour.

Il est à rappeler que la poursuite des crimes du FPR a fait l’objet de diverses résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies, dont notamment les Résolutions 1503 et 1534 qui réaffirmaient la nécessité de juger les personnes inculpées par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (le TPIR) et fournir l’assistance nécessaire notamment à l’occasion des enquêtes concernant l’Armée patriotique rwandaise.

Similitude des menaces du Rwanda contre la France, à celles qu’il a déjà menées contre le TPIR :

Il y a lieu de se poser la question de savoir pour quelle raison le procureur du TPIR n’a pas poursuivi les crimes commis par le FPR alors qu’ils faisaient partie du mandat du TPIR lors de sa création ?

La  résolution 955 portant création du TPIR prévoit : « Créé par le Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Tribunal criminel international chargé de juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 (ci-après dénommé « Tribunal international pour le Rwanda ») exercera ses fonctions conformément aux dispositions du présent statut ».

Le journal Le monde du 13.11.2014 publiait un article du professeur français André Guichaoua, sociologue et expert près le TPIR, qui disait : « …D’autres, et notamment les responsables du FPR, auquel le TPIR a accordé une impunité complète, (le) seront nécessairement (jugés) car les crimes liés au génocide, aux crimes de guerre et contre l’humanité sont imprescriptibles. Pour autant bien des épisodes demeurent encore méconnus et il  importe de combler l’écart entre l’abondance des données relatives au génocide et au régime Habyarimana, et l’indigence des informations relatives à la stratégie et aux objectifs de guerre du camp vainqueur et de ses soutiens étrangers, une guerre dont ils ont pris et gardé l’initiative pendant quatre années ».

Le FPR s’attèle à éliminer aujourd’hui toutes les personnes gênantes susceptibles d’être témoins ou détenteurs des preuves des crimes qu’il a commis depuis les années 1990 à ce jour. D’où des extraditions vers le Rwanda des réfugiés Hutu éparpillés partout à travers le monde, consenties par des Etats au régime du FPR, quand bien même ces Etats disposent des compétences universelles pour juger les présumés criminels du génocide.

Il y a lieu de noter la similitude entre les menaces que profère aujourd’hui le Rwanda contre la France, avec celles qu’il a déjà menées contre le TPIR.

En effet, l’on se souviendra au moins de certains cas de confrontations qui ont marqué les relations conflictuelles entre le Rwanda et le TPIR :

 1°. Cas de feu Froduald Karamira :

Homme d’affaires, Froduald Karamira était aussi l’un des leaders du parti MDR. Arrêté à Addis Abbaba en Ethiopie, le Rwanda avait demandé son extradition. Le Procureur du TPIR, Richard Goldstone, lança un mandat d’arrêt international contre Karamira. Il en avait le droit car le TPIR, en vertu de son statut (art.8 al.2) avait la primauté sur les juridictions nationales de tous les Etats. Même au stade de la procédure, selon son statut, le TPIR pouvait demander officiellement aux juridictions nationales de se dessaisir en sa faveur.

Au lieu de mettre Monsieur Karamira Froduald à la disposition du TPIR, le Rwanda obtint son extradition, le jugea très sommairement et procéda à son exécution. Aussi, le Rwanda avait-t-il fait fléchir pour la première fois le procureur du TPIR dans le choix de sa politique des poursuites. Il lui a fait comprendre que sans la coopération des autorités rwandaises, le TPIR n’aurait pas pu fonctionner faute d’accès aux témoins situés sur le sol rwandais.

2° Cas de feu Jean Bosco Barayagwiza :

Monsieur Jean Bosco Barayagwiza est un ancien président du parti Coalition pour la défense de la République au Rwanda. Il avait été arrêté au Cameroun et transféré au TPIR à Arusha en Tanzanie. Durant les procédures préliminaires au procès, ses droits avaient été violés au Cameroun. Il interjeta appel contre ces violations. La Chambre d’appel ordonna sa libération le 3 novembre 1999.

Le Rwanda déclara le procureur du TPIR, Madame Carla del Ponte, persona non grata et refusa de lui délivrer le visa pour qu’elle puisse accéder à ses bureaux d’investigation sis à Kigali. Le Ministre de la justice, Jean de Dieu Mucyo, signifia clairement à Madame Carla del Ponte qu’elle ne pourrait être la bienvenue tant que le Tribunal n’aura pas changé sa décision de maintien en détention de Monsieur Barayagwiza.

Au cours de l’audience du 22 février 2000, Madame Carla del Ponte va plaider devant la Chambre d’appel en exigeant d’elle de faire un choix entre revenir sur sa décision de libérer Barayagwiza ou fermer les portes du Tribunal, ce qui aurait comme conséquence de libérer tous les détenus.

La Chambre d’appel changea effectivement sa décision et maintint en prison Monsieur Barayagwiza.

L’un des juges en la personne de Raphaël Nieto-Navia devint dissident,  et s’exprima en ces termes :

« Je rejette avec la plus grande vigueur la suggestion selon laquelle, en rendant des décisions, des considérations politiques devraient jouer un rôle persuasif ou directeur, afin de calmer les Etats et d’assurer leur coopération pour atteindre les objectifs à long terme du Tribunal. Au contraire, en aucune circonstance de telles considérations devraient pousser le Tribunal à compromettre son indépendance judiciaire et son intégrité. Il s’agit d’un Tribunal dont les décisions doivent être prises avec la seule intention d’appliquer le droit et de garantir la justice pour les affaires dont il est saisi, et non pas comme étant le résultat de pressions politiques ou de menaces de suspendre la coopération de la part d’un gouvernement en colère ».

3° L’attentat de l’avion du président Habyarimana était de la compétence du TPIR :

D’aucuns diront que le TPIR n’avait pas compétence pour poursuivre les auteurs de l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana. Cet argument fut d’abord soutenu par le procureur du TPIR, Madame Louise Arbour suite à la réception d’un rapport préliminaire élaboré par ses enquêteurs. Initialement, l’enquête portait sur les crimes commis dans l’Affaire Bagosora et Crts. Dans leurs investigations, les enquêteurs avaient constaté que l’avion avait été abattu par le FPR et que la responsabilité incombait au président Paul Kagame. Ils avaient même eu l’occasion d’enquêter sur les crimes commis par le FPR durant les mois d’avril à juillet 1994. Après avoir remis leur rapport préliminaire à Madame Arbour, celle-ci félicita l’enquêteur australien Michael Hourigan et son équipe pour le travail consciencieusement accompli avec clarté.

Quelques jours plus tard, Madame Arbour se ravisa, et demanda que le dossier soit classé sans suite. Elle évoqua comme argument que l’assassinat du Président Habyarimana n’était pas dans le mandat du TPIR.

Louise Arbour, dans une interview faite le mois dernier au Globe and Mail, dit avoir prévenu sa successeuse Madame Carla del Ponte, que «  les investigations ne peuvent être faites qu’à l’extérieur du Rwanda à cause des dangers et des difficultés de travailler à l’intérieur du Rwanda …..nous travaillions dans un fragile environnement. J’avais beaucoup de problèmes à propos de la sécurité de nos témoins…. Le Tribunal était constamment dans une position conflictuelle avec le président Kagame ».

4° Le dépôt de plainte des familles françaises :

Le dossier de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana ayant été enterré par le procureur du TPIR, il a fallu que les familles des victimes françaises saisissent la justice de leur pays pour que des enquêtes s’en suivent. Ce n’est qu’en 2006,  que les premiers  mandats d’arrêts sont émis par le juge d’instruction Jean-Louis Bruguière contre des dignitaires du régime du FPR. Il s’en est alors suivi une rupture des relations diplomatiques avec la France le 24 novembre 2006.

Il en est résulté une grave crise politique entre les deux pays que le ministre des affaires étrangères Bernard Couchner et le président Sarkozy ont tenté d’aplanir en se rendant à Kigali pour reconnaître que la France a commis des erreurs. Le successeur du juge Bruguière, Marc Trévidic, a donné une nouvelle orientation à l’instruction, si bien que Kigali espérait qu’un non-lieu allait être prononcé.

Mais le général Kayumba Nyamwasa qui était le responsable des services de renseignements, patron de la DMI, actuellement refugié en Afrique du Sud, et y ayant échappé à deux tentatives d’assassinat, a décidé de parler. Il accuse le président Paul Kagame et deux de ses proches, d’être les auteurs de l’attentat. A cet effet, il a acheminé un document notarié aux juges d’instruction ; ceux-ci ont décidé la réouverture du dossier.

Le 31 octobre 2016 le général Paul Kagame annonçait qu’il suspendrait à nouveau et pour bientôt les relations diplomatiques entre le Rwanda et la France.

Le 10 novembre 2016, le Ministre des Affaires étrangères, Madame Louise Mushikiwabo a tenu une conférence de presse pour expliquer aux journalistes que le Rwanda  n’a épargné aucun effort pour le maintien de bonnes relations diplomatiques avec la France mais que tous les efforts fournis par le Rwanda ont été balayés d’un revers de main par la France. Que par ailleurs la France a participé au génocide des Tutsi en avril 1994. Raison pour laquelle, outre la liste des 22 militaires génocidaires français déjà publiée par le Rwanda, celui-ci est en train d’élaborer une nouvelle liste des politiciens français qui ont participé au génocide (voir site en kinyarwanda Bwiza.com du 10.11.2016).

5° La position des FDU Inkingi  :

Pour les FDU Inkingi, la menace du régime de Kagame de rompre les relations diplomatiques avec la France, est chantage inacceptable. Cette menace visant à garantir l’impunité à Kagame et ses proches est une preuve de plus que le parti au pouvoir, le FPR n’est nullement intéressé par la vérité sur le drame rwandais.

Les FDU Inkingi réaffirment qu’elles s’opposeront à ce que les relations internationales de notre pays servent de monnaie d’échange pour acheter l’impunité à quelques individus, quels  qu’ils soient, soupçonnés de crimes de terrorisme.

Nous soulignons que les Rwandais ne souscrivent pas aux menaces de Kagame. Au contraire, ils espèrent qu’à travers ce genre de dossiers, ils obtiendront justice ou, du moins, ils apprendront la vérité sur ce passé qui hante le Rwanda jusqu’à ce jour.

Aussi, en tant que Rwandais, nous refusons de servir de boucliers à de possibles responsables de crime contre l’Humanité et de terrorisme. Et se servir de la diplomatie de notre pays comme monnaie d’échange pour garantir une impunité aux membres du parti qui se maintient au pouvoir par la terreur est tout simplement inacceptable.

Enfin, nous invitons le général Paul Kagame et son régime à répondre devant les Rwandais à la question suivante : « Si les dignitaires du FPR n’ont rien à se reprocher, pourquoi ne veulent-ils pas que la Justice le confirme ? »

Les FDU-Inkingi encouragent tout effort pour rendre Justice aux victimes et rétablir la vérité. Vouloir à tout prix saborder l’enquête française, la seule en cours qui soit indépendante, est une tentative pour étouffer toute vérité sur les responsabilités dans le génocide.

Que justice soit faite !

 

Fait à Bruxelles, le 21 novembre 2016

FDU INKINGI

Joseph BUKEYE

Deuxième Vice-Président

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Lettre-ouverte ENQUËTE FRANCAISE