L’ODHR condamne énergiquement l’exécution extrajudiciaire de Maître Donat Mutunzi

Déclaration de l’Observatoire des Droits de l’homme (ODHR)

L’ODHR est préoccupé par la disparition suivi d’exécution extra judiciaire de  Maître MUTUNZI Donat à la station de police.

Dans sa déclaration de samedi 21 avril 2018[i], L’ODHR avait alerté sur la disparition de deux avocats inscrits au Barreau rwandais à savoir Maître MUHIKIRA Jean Claude porté disparu depuis le 20 mars 2018 et Maître MUTUNZI Donat porté disparu depuis vendredi 13 avril 2018.

Selon des témoins, Maître MUHIKIRA Jean Claude serait déjà rentré à la maison mais les circonstances de sa disparition et de son retour ne sont pas claires et laissent des zones d’ombres. La communication est très limitée et on ne sait pas réellement les conditions de son retour en famille ni dans quel état il serait rentré.

Concernant Maitre MUTUNZI, les services de police ont informé sa famille ce lundi qu’il était décédé à la station de police de NDERA[1] dans le District de Gasabo Ville de Kigali. À l’analyse des faits après la déclaration de l’ODHR, on constate des zones d’ombre et des contradictions dans les déclarations de la police et du chargé d’enquête parallèlement au communiqué de condoléances du Barreau des avocats et l’alerte et la récente déclaration faite par la famille sur la disparition et le décès de Me MUTUNZI Donat.

Les déclarations du porte-parole de la police Théos BADEGE et du représentant de l’Organe National des Poursuites (RIB), MBABAZI Modeste rapportées par le journal en ligne Igihe.comaffirmaient qu’il s’est suicidé dans le cachot de la Police à la station de police de Ndera. Voici la traduction d’un extrait de l’article publié du kinyarwanda au français : « .. Le représentant du Bureau National des Poursuites (RIB)  MBABAZI Modeste dit : « nous l’avons appris, nous savons que c’est le détenu qui a été arrêté dans la nuit du 19 au 20 de ce mois d’avril, poursuivi pour les faits d’attentat à la pudeur avec violence. Pendant qu’il était encore sous enquête, ce matin, on nous a dit qu’il s’est suicidé dans le cachot » MBABAZI a expliqué qu’il s’est suicidé en utilisant un couvre-lit. Le porte -parole de la police qui a dans ses attribution la surveillance du lieu de détention, CP Theos BADEGE a déclaré au journal igihe que- comme les autres détenus, Me Mutunzi recevait la visite de son épouse qui lui amenait à manger. Que c’est ce matin à 5h30, heure à laquelle les gardiens font sortir des détenus pour aller aux toilettes et pour l’hygiène, que la police et les autres détenus ont trouvé une personne pendue et ils ont immédiatement alerté les services chargés d’investigations pour enquêter. Théos BADEGE a ajouté qu’un autre fait qui a été constaté est que dans la chambre où Me MUTUNZI était détenu, deux bouteilles de bière Skol ont été trouvées, prouvant qu’il avait bu pendant la nuit et que même une bouteille avait été fracassée et a été utilisée pour couper un drap. Que la police nationale a ouvert une enquête disciplinaire pour déterminer comment les boissons seraient entrées dans un cachot parce que c’est interdit. Le corps de Me MUTUNZI a été amené à l’hôpital pur autopsie pour permettre aux services d’investigations de rassembler les preuves utiles à leur enquête. L’infraction pour laquelle Me MUTUNZI était poursuivi est stipulée à l’article 184 du code pénal du Rwanda[2] ….».

Mais ce qui est étrange c’est que dans sa déclaration, MBABAZI Modeste, chargé des poursuites, affirme que Me MUTUNZI  Donat a été arrêté dans la nuit du 19 au 20 avril 2018 alors que sa famille déclare qu’il est porté disparu depuis le 13 avril 2018. Ce qui montre que la famille ne savait pas que le mari se trouvait à la station de police de Ndera. Ce qui est par ailleurs prouvé par le communiqué officiel adressé à tous les avocats du Barreau du Rwanda[3]par lettre N/Re :Let/118/Bat/KJG/04/2018  du 23 avril 2018. Le Barreau affirme que la famille du Décédé l’a saisi pour disparition le 17 avril 2018, et qu’aux dates des 18 et 19 avril Le Barreau a écrit aux services de police à  l’organe National de Poursuite en réservant une copie au Ministère de la Justice pour demander l’assistance dans les recherches de Me MUTUNZI Donat.   Les proches affirment que son épouse a déclaré la disparition de son mari aux services de police le 17 avril en même temps qu’elle saisissait le Barreau pour demander son assistance. Le service de police lui aurait dit de revenir Lundi le 23 avril 2018. C’est au moment où elle s’apprêtait à se rendre à la police qu’elle a reçu un coup de fil des services de police lui annonçant que son mari venait de décéder par suicide.

Selon Modeste MBABAZI de l’organe National des poursuites, Me MUTUNZI Donat aurait été arrêté  dans la nuit du 19 au 20 avril 2018 juste après que le Barreau ait demandé une aide pour mener des actions de rechercher du disparu. Ce qui prouve que la police tente de faire croire que Me MUTUNZI Donat n’était pas dans ses geôles avant la nuit du 19/20 avril 2018.

Une autre inquiétude concerne l’autopsie. Le corps de Me MUTUNZI a été amené à l’Hôpital de Police de Kacyiru contrôlé par la même police sur laquelle pèse les soupçons de son assassinat. Elle ne révèlera que ce que veut la police à moins qu’une enquête indépendante plus poussée soit faite par un organe neutre autre que les organes de la police nationale.

Une déclaration de l’épouse de Me MUTUNZI Donat rapportée dans les médias affirme que la famille n’a jamais visité Me MUTUNZI Donat à la station de Ndera. Ce qui contredit aussi les déclarations du porte-parole de la police qui veut maquiller un meurtre dans les lieux de police par un suicide et une infraction qu’aurait commise l’avocat.

Le cas de Me MUTUNZI Donat n’est pas isolé. Il y eu d’autres disparitions suivies d’exécutions extrajudiciaires et des assassinats commis directement dans les stations de police rwandais.

Très récemment un autre avocat, Maître Toy NZAMWITA a été abattu par la police[4] sur la route à Kimihurura dans la ville de Kigali dans des circonstances peu claires. La police a tiré sur lui au rond-point de Kacyiru à 3H00 du matin 29 décembre 2016 parce qu’il aurait refusé de s’arrêter à une barrière et qu’il était en état d’ivresse.   La police a indiqué, pour se justifier, qu’il allait heurter un policier qui tentait de l’arrêter.

Ces meurtres qui touchent les membres du Barreau inquiètent plusieurs d’entre eux. Ils sont terrorisés parce qu’ils se sentent ciblés et ni la confraternité, ni la toge ne les rassurent.  Si les gens qui défendent le peuple devant la justice ne font plus confiance aux organes qui concourent à la justice et en particuliers les organes chargés de protéger le peuple et constater les infractions, comment auront-ils la sérénité professionnelle d’être au front pour la justice équitable s’ils ne sont pas eux-mêmes protégés ?

Hormis les cas du Député Leonard HITIMANA et du Colonel CYIZA Augustin dont les corps n’ont jamais été retrouvés et qui ont été soumis dans les rapports alternatifs au Comité des Nations Unis contre la Torture (CAT) en 2011 et en 2017, d’autres personnes ont été assassinées dans les stations de police ou à d’autres endroits par la police en simulant une évasion une agression.

Ici nous pouvons citer quelques exemples récents connus qui ont été très médiatisés pour lesquels une enquête indépendante devrait être menée et qui ont eu lieu durant la période 2009-2016 sont notamment :

1. François NSENGIYUMVA a été  exécuté à la station de police de Kibungo[5] le 19 avril 2018; le soir, de retour des toilettes, il aurait tenté de s’évader et il a été abattu. Son jugement pour négationnisme dans lequel il avait plaidé coupable était en cours.

2. André Kagwa RWISEREKA, Vice-Président de Green Party (le Parti des Verts) a été trouvé décapité le 14 juillet 2010, un mois avant les élections présidentielles. A ce jour les services de sécurité n’ont présenté aucun auteur des cet acte d’assassinat.

3. Jean Damascène HABARUGIRA membre du parti FDU Inkingi est porté disparu début mai 2017. Sa disparition a été signalée par sa famille. Quelques jours plus tard, le 8 mai 2017, des membres de la famille ont été contactés par l’hôpital Nyamata à Bugesera pour récupérer son corps. La police a indiqué que le corps avait été retrouvé sans vie et qu’une enquête était en cours. À ce jour, aucun responsable présumé de son assassinat n’a été identifié.[6]Mme Illuminée IRAGENA[7]– Membre du parti FDU-Inkingi, est portée disparue depuis le 26 mars 2016. Son mari, Martin NTAVUKA, ancien représentant des FDU-Inkingi, a lui-même déjà été arrêté à plusieurs reprises, en raison de ses activités politiques. Des sources proches estiment que Mme IRAGENA serait morte en détention après avoir été torturée.  Malgré les demandes diverses de son parti et de sa famille ainsi que les dénonciations de plusieurs organisations internationales de défense des droits humains, le gouvernement rwandais n’a ouvert aucune procédure d’enquête ni fourni d’informations sur sa situation.

4. L’Imam MUGEMANGANGO Muhamad a été abattu par la police le 23 janvier 2016 vers 21H00. Il aurait tenté de s’évader lorsqu’il était amené dans une enquête sur les lieux selon la déclaration de la police rapportée par le site internet igihe.com du 24 janvier 2016 et Imvaho Nshya. Il était détenu à la station de police de Kanombe; il aurait été abattu en tentant de sauter du véhicule pour s’échapper. Il n’est pas dit qu’il était armé; Il faut noter aussi l’heure à laquelle l’enquête a été menée (à 21H00).

5. NSENGIMANA Alfred était secrétaire exécutif du secteur Cyuve dans le district de Musanze. Il aurait été abattu par un surveillant de prison dans l’après-midi du 16 mai 2014 lorsqu’il était emmené sur les lieux d’enquêtes  selon la déclaration du rapporteur de police rapportée par le journal igihe.com le 17 mai 2014. Il aurait été abattu alors qu’il était menotté lorsqu’il aurait  tenté de s’échapper dans le secteur Gashaki. Il était détenu à la prison de Musanze. Avec 14 autres détenus, il était poursuivi entre autres pour meurtres, complicité en association de terrorisme, association de malfaiteur avec le FDRL.

6. Dr GASAKURE Emmanuel qui fut médecin du Président Kagame Paul,  a été abattu le 25 février 2015 à la station de police de Remera dans la Ville de Kigali par un policier à 18h30. Il aurait  tenté de désarmer le policier de garde qui l’a abattu. Sa famille a soutenu la thèse d’un assassinat en divergence avec les déclarations de la police et d’autres déclarations officielles. Il aurait été abattu le soir, de retour des toilettes,  dit-on, par un policier qui a tiré trois balles sur lui alors qu’il n’était pas armé.

7. MAHORO Jean Bosco a été abattu à la station de police de Kamembe dans le district de Rusizi le matin du 20 avril 2017 par des  policiers. Il aurait tenté de s’échapper selon la déclaration de la police rapportée par igihe.com[8], journal en ligne. Il avait été amené à la station de police après avoir blessé un agent d’un service de sécurité appelé DASSO lorsqu’il avait refusé que sa maison soit détruite le 19 avril  2017 par la sécurité pour avoir été construite illégalement.

8. Eric HASHAKIMANA a été abattu par la police le 15/06/2014 dans le District de Gicumbi. Selon la police il aurait tenté de s’échapper en sautant du véhicule lorsqu’il était emmené sur les lieux d’enquête. Selon une déclaration de la Police[9] du dimanche 15 juin 2014, il aurait tenté d’empoisonner un général du nom de RUVUSHA Emmanuel et  les personnes qui étaient avec lui.  Il n’était pas armé lorsqu’il a été abattu.

Jusqu’à présent aucune enquête n’a donné ses résultats pour détermine les causes de ses meurtres commises par les services de police durant les détentions.

Pour tous ces cas, il y a absence d’investigations officielles sur les exécutions de détenus par la police et d’autres services de sécurités pour rassurer les familles des victimes et afin que les auteurs de ces actes soient poursuivis dans le cadre de la lutte contre l’impunité des services de sécurité.

L’ODHR condamne l’assassinat de Maître MUTUNZI Donat dans les locaux de la Police et toutes les actes de disparitions forcées et d’intimidations et harcèlements judiciaires  à l’endroit de ceux qui représentent les justiciables devant les juridictions pour qu’une justice équitable soit rendue.

L’ODHR dénonce ces actes de disparitions suivies d’exécutions sommaires et ces simulacres pour justifier les assassinats par les services de sécurité chargés de protéger la population.

L’ODHR appelle la communauté rwandaise à l’intérieur comme à l’extérieur pour dénoncer ces agissements commis sous la gestion et le regard d’impunité des autorités publiques. Il appelle en outre la communauté internationale (à l’UA, comme à l’ONU) de faire pression pour que le gouvernement rwandais rende des comptes sur ces meurtres planifiés et exécutés en toute impunité.

Fait à Paris ce 25 avril 2018

Pour l’ODHR

MUNYANDILIKIRWA  Laurent

Coordination  ODHR

 


[1] Igihe.com :  Me MUTUNZI Donat yapfuye bikekwa ko yiyahuriye muri kasho- (Notre traduction : Me MUTUNZI Donat est décédé sous présomption qu’ils se serait suicidé au cachot » – http://www.igihe.com/amakuru/u-rwanda/article/me-mutunzi-donat-yapfuye-bikekwa-ko-yiyahuriye-muri-kasho-

[2] Voir LOI ORGANIQUE N° 01/2012/OL DU 02/05/2012 PORTANT CODE PENAL :    Article 184: Infraction d‟attentat à la pudeur commise avec violence, ruse ou menaces sur une personne âgée de dix huit (18) ans au moins « Toute personne qui commet une infraction d’attentat à la pudeur  avec violences, ruses ou menaces sur une personne âgée de dix huit (18) ans au moins est passible d’un emprisonnement de six (6) mois à deux (2) ans.  Lorsque cette infraction a entraîné une maladie  pour la victime, l’auteur est passible  d’un emprisonnement de deux (2)   ans à cinq  (5) ans.   Lorsque cette infraction a entraîné une maladie incurable pour la victime, l’auteur est passible  d’un emprisonnement de dix (10)   ans à quinze  (15) ans.

 Lorsque cette infraction a entraîné la mort de la victime, l’auteur est passible d’un emprisonnement à perpétuité ».

[3]Communiqué officiel adressé à tous les avocats du Barreau du Rwanda par lettre N/Re :Let/118/Bat/KJG/04/2018  du 23 avril 2018 – notre traduction du kinyarwanda  au français

« Objet : Communiquer le décès de Me MUTUNZI Donat

Cher confrère,

C’est ce 23 avril que le Barreau a appris le décès de notre confère Me MUTUNZI Dona. Cette triste nouvelle vient après que le 17 avril 2018 la famille de Me Mutunzi Donat nous ai annoncé sa disparition.

À la suite de cela, les  18 et 19 avril 2018, le Barreau a écrit aux services de la Police ainsi qu’l’Organe chargé des Poursuites (RIB), avec copie au Ministère de la Justice pour demander l’assistance dans les recherches de Me MUTUNZI Donat.

C’est au moment que nous attendions la réponse de ces organes en rapport avec cette question que nous avons appris le décès de Me MUTUNZI Donat et actuellement  les enquêtes se poursuivent.

À la suite de cette triste nouvelle, le Barreau des avocats continue d’adresser ses condoléances à la famille du Décédé et de suivre le déroulement des enquêtes sur ce décès, et  le programme des cérémonies de funérailles vous sera communiqué aussitôt qu’adopté.

Au nom du Conseil de l’Ordre qui s’est réuni aujourd’hui spécialement pour cette question et en mon nom propre, nous profitions de ce moment pour vous demander la patience et d’être au côté de la famille de notre confrère dans ces moments difficiles.

Maître KAVARUGANDA Julien Gustave

Bâtonnier

S/é et Cachet du Barreau