Malawi: Dr Mireille Twagira une véritable inspiration!

Dr Mireille Twagira

Imaginez que vous soyez née au Rwanda quelques deux années après le début de la guerre de 1990. Imaginez que votre père soit tué durant le génocide de 1994 et que votre mère et votre famille élargie soient force de fuir le pays et que vous vous retrouviez au Congo voisin, alors appelé Zaïre. Imaginez que votre mère rende son âme dans les forêts du Congo, et vous soyez laissée aux bons soins de votre grand-père. Imaginez que la guerre du Congo éclate et force votre famille à encore une fois fuir, pendant des années et vous subissiez encore plus de souffrances et de pertes le long du chemin de l’exil. Vous demanderiez-vous pourquoi avoir survécu à la guerre du Rwanda si c’est pour agoniser dans la vie impitoyable de réfugiés condamnés à errer dans des terres étrangères et hostiles?

Aujourd’hui, je suis inspiré par Mireille Twayigira du Rwanda. Mireille est née à Butare, une province située à quelques heures au sud de Kigali, la capitale du Rwanda. A cette époque-là, Butare était l’une des dix préfectures du Rwanda (c’est ainsi qu’on appelait les provinces) et abritait deux villes historiques: la capitale de la province, appelée aussi Butare, et la ville de Nyanza. Nyanza était la capitale de l’ancien royaume du Rwanda pendant plusieurs siècles. Bien que la monarchie ait pris fin au début des années soixante, les deux derniers palais royaux et d’autres vestiges du royaume sont bien préservés et conservés par le musée national du Rwanda. La ville de Butare est rentrée dans l’histoire académique du Rwanda, quand elle a été choisie en 1965 – trois ans après la proclamation d’indépendance de la jeune république du Rwanda.

Mireille a de bons souvenirs de sa petite enfance. La maison de ses grands-parents était proche de celle de ses parents et sa sœur cadette et elle avait l’habitude d’y aller jouer. Elle se souvient même d’avoir eu une vache qu’elle avait reçue de sa famille et qu’elle buvait du lait frais à gogo.

Sa vie paradisiaque devait s’achever brusquement en 1994. Mireille n’avait que deux ans et demi quand le Génocide a commencé. En avril 1994, son père a été tué et son corps ramené à la maison, enveloppé dans un tissu bleu. L’enterrement était très étrange pour la petite fille, qui ne comprenait pas ce qui se passait.

Peu de temps après, la famille de sa mère a décidé de les emmener dans un district voisin, sa mère, Mireille et sa petite sœur, pour fuir les massacres. Sa sœur cadette, qui n’avait qu’un an, est tombée malade et est rapidement décédée avant d’avoir pu recevoir des soins médicaux.

Le génocide s’approchait rapidement de la zone où ils avaient trouvé refuge, alors ils ont décidé de carrément fuir le pays, tous ensemble. La frontière la plus proche était la frontière du Burundi, au sud de Butare. Ils ne pensaient à rien d’autre, juste à la survie.

Ils ont traversé le Burundi et ont trouvé leur chemin vers ce qu’on appelait alors le Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo). Au bout d’un certain temps, ils se sont retrouvés dans le camp de réfugiés de Cimanga, dans la région du Sud-Kivu, à environ 75 kilomètres de Bukavu.

Les conditions dans le camp de réfugiés étaient extrêmement précaires. Cimanga était installé dans une vaste zone dénudée loin de tout, sans assainissement et sans les équipements les plus élémentaires. C’étaient intenable. Il ne fallut pas longtemps avant que des centaines de réfugiés commencent à succomber à la faim et à toutes sortes de maladies, y compris la dysenterie, le paludisme et d’autres. Parmi eux, la mère de Mireille. En quelques mois, sa vie de petite fille heureuse s’est transformée en un destin cauchemardesque d’une orpheline perdue dans un pays étranger.

Ce n’était pas la fin de leurs misères, la vie avait encore plus de défis en réserve pour eux. En novembre 1996, la guerre au Rwanda a débordé sur le Congo et forcé les réfugiés à plier bagages et fuir la zone de combat. La famille élargie de Mireille s’est retrouvée séparée dans le désordre de la fuite. À partir de là, elle est restée seule avec ses grands-parents.

Mireille, âgée de cinq ans, et ses grands-parents ont ainsi commence un autre long périple à travers les forêts congolaises. Quand le peu de nourriture qu’ils avaient réussi à emporter avec eux quand ils ont fui Cimanga a été épuisé, ils ont commencé à supplier les habitants des villages qu’ils traversaient de faire preuve de merci et de les nourrir. Quand ils ne trouvaient rien, ils mangeaient des fruits de la forêt.

Ils voyageaient à pied, et quand leurs chaussures étaient complétement usées, ils devaient se couvrir les pieds avec du matériel végétal et continuer à avancer. Il y avait des jours où il faisait si chaud, leurs pieds brûlaient sur les routes goudronnées. Mais il n’y avait pas de temps pour penser à la douleur ou à la faim. Tout ce qui comptait était de survivre.

« C’était la survie du plus fort », explique Mireille. « Nous avons échappé à la mort de tant de choses, de la faim, des balles, des noyades, des animaux sauvages. Aucun enfant ne devrait traverser ce que j’ai traversé. En fait, personne ne devrait subir ça. « 

Les soldats venaient souvent prendre de jeunes garçons pour en faire des enfants soldats, et ceux qui retournaient dans les camps étaient traumatisés à vie. Les soldats prenaient également des jeunes filles à des fins d’exploitation sexuelle. Mais, Dieu merci, Mireille était trop jeune et a été épargnée.

Ils ont fini par se retrouver en Angola, de plus en plus loin du Rwanda. Un an après ce long voyage, alors qu’ils traversaient l’Angola et avant qu’ils puissent atteindre un camp de réfugiés, sa grand-mère était trop faible pour continuer à avancer et a fini par rendre l’âme.

Cette fois, la petite fille de six ans n’a pas versé une seule larme, comme si tout ce que ses yeux innocents avaient vu avaient endurci son cœur. Mireille était également très faible à cause de la malnutrition et de la faim et s’ils n’avaient pas rapidement atteint le camp de réfugiés, elle serait probablement morte aussi. Son grand-père devint tout pour elle, son père, sa mère, son ami, son protecteur. La famille la plus proche qu’elle connaîtra pour le reste de sa vie.

La vie en Angola n’était pas vivable, alors ils ont continué et se sont rendu en Zambie. Ils ont d’abord vécu dans un camp de réfugiés mais son grand-père a décidé d’aller à Lusaka, la capitale, pour essayer de trouver une façon de vivre et de prendre soin de sa petite-fille. Son rêve était de la mettre à l’école et de lui donner de meilleures chances de s’en sortir.

A un moment, il a entendu parler d’un camp de réfugiés au Malawi où il y avait de bonnes écoles pour les enfants réfugiés, et il a décidé que c’était là qu’ils devraient se rendre. Il a réussi à trouver les moyens pour acheter les tickets de bus, et en septembre 2000, son grand-père et elle sont arrivés au camp de réfugiés de Dzaleka, à quelques kilomètres au nord de Lilongwe, la capitale du Malawi.

La vie au Malawi était différente, en mieux, de ce qu’elle avait connu auparavant. Les Malawiens sont des gens très amicaux et accueillants, qui traitent tout le monde comme les leurs. Pays enclavé en Afrique du Sud-Est, entre le Mozambique, la Tanzanie et la Zambie, le Malawi compte deux grands camps de réfugiés, Luwani et Dzaleka, respectivement au sud et au nord de Lilongwe.

Le camp de réfugiés de Dzaleka a été établi par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) en 1994 en réponse à une vague de personnes déplacées de force fuyant le génocide, la violence et les guerres en Afrique centrale et orientale. Construit à l’origine pour 9000 personnes, Dzaleka en accueillait déjà plus du double au moment où Mireille et son grand-père y sont arrivés.

Certains réfugiés y restaient peu de temps avant de se rendre en Afrique du Sud, la grande puissance économique de l’Afrique australe. Mais la famille de Mireille a choisi d’y rester et de faire sa vie au Malawi. Son grand-père était heureux de voir à quelle vitesse elle progressait à l’école et n’aurait pas voulu la déraciner à nouveau.

Mireille était scolarisée à l’école primaire Umodzi Katupya, gérée par le Service Jésuite des Réfugiés, une ONG catholique internationale dont la mission est d’accompagner, servir et défendre les droits des personnes déplacées de force et des réfugiés à travers le monde. La jeune fille était intelligente et plus mature que les autres filles de son âge. Elle a tout donné à son éducation et s’est rapidement retrouvée à la tête de sa classe. Après avoir terminé ses études primaires, Mireille a été envoyée pour étudier à l’école secondaire de Likuni, une école catholique à Lilongwe et la mission jésuite a payé ses frais de scolarité.

Peut-on dire que c’est notre moment heureux, le moment où tout se met en place et que Mireille peut enfin avoir une vie normale? Malheureusement non; l’ange de la mort n’en avait pas encore fini avec la jeune Mireille. Elle était dans sa deuxième année à Likuni, en 2007, quand elle a été appelée et informée que son grand-père avait été malade et était décédé.

Elle a été complètement ravagée par la nouvelle! Malgré la douleur, elle a décidé d’honorer son grand-père en continuant à travailler dur à l’école et à préparer l’avenir qu’il avait rêvé pour elle. Son travail acharné a porté ses fruits: en 2009, deux ans après le décès de son grand-père bien-aimé, Mireille a obtenu les meilleurs scores de son école dans les six matières du Certificat national de fin d’études secondaires (MSCE). À l’échelle nationale, Mireille s’est classée parmi les 10 meilleurs élèves du pays.

Ses résultats l’ont automatiquement qualifiée pour une bourse Zodiak de la Meilleure Fille (Zodiak Best Girl Award), un programme de bourses récompensant chaque année les 10 filles ayant obtenu les meilleurs scores au MSCE. L’initiative est organisée depuis 2006 par Zodiak Broadcasting Station, une station de radio privée du Malawi. En partenariat avec des partenaires locaux et internationaux, Zodiak a envoyé plus de 40 filles étudier dans des universités au Malawi et à l’étranger. Lors de la cérémonie de remise du prix Zodiak 2009, Mireille a appris que l’Ambassade de Chine avait offerte des bourses complètes aux 10 lauréates, dont elle-même, pour aller étudier en Chine!

Malheureusement, lorsque le ministère de l’Éducation a examiné le dossier de Mireille, ils se sont rendu compte qu’elle n’était pas éligible. Pourquoi? Pour le simple fait qu’elle n’était pas citoyenne du Malawi. Malgré qu’elle ait vécu dans le pays depuis près de 10 ans, Mireille avait toujours le statut de réfugiée et n’avait pas de passeport!

La jeune fille qui avait perdu son père pendant le génocide, sa sœur et sa mère dû à la maladie, qui avait vécu toute sa vie dans des camps de réfugiés, qui avait marché, enfant, les pieds nus, dans les forêts du Congo et à travers trois pays immenses pour tenter de trouver un endroit où qu’elle pouvait appeler chez elle, une fille qui n’avait jamais rien laissé la vaincre, pas même la mort de son grand-père, avait finalement rencontré un obstacle plus grand qu’elle et apparemment insurmontable.

Faut-il terminer l’histoire ici et se contenter de la féliciter d’avoir au moins essayé? Pas si vous croyez que Dieu avait de plus grands projets pour elle et n’allait pas l’abandonner si vite. Une série d’événements allaient rapidement avoir lieu dans sa vie, événements qui aller la garder sur cette voie qui devait la mener en Chine.

Le premier événement: l’intervention de Zodiak en son nom. Lorsqu’ils ont appris ce qui s’était passé, la radio privée a décidé de parler de l’affaire sur les ondes pour tenter de sensibiliser le public sur sa situation. Les Malawiens étaient vraiment révoltés par cette injustice. Il y avait un tel tollé public pour Mireille que son cas a atterri au … Parlement!

Oui, le deuxième événement: le Parlement du Malawi a débattu du cas de la jeune réfugiée, lors de séances publiques retransmises à la radio dans tout le pays! C’était une sensation bizarre pour Mireille de tout le temps entendre son nom à la radio, elle qui ne connaissait personnellement aucune des sommités du pays. Le Parlement a conclu qu’il serait injuste de lui retirer sa chance et a demandé aux autorités de prendre toutes les mesures nécessaires pour lui permettre de poursuivre ses études.

Accrochez-vous à votre siège avant que je ne vous parle du troisième événement. Le gouvernement du Malawi a décidé que la meilleure façon de s’assurer qu’elle puisse bénéficier pleinement de sa bourse était tout simplement… de lui attribuer la citoyenneté malawienne!

A l’automne de 2009, 15 ans après avoir fui les atrocités du Rwanda, serrant dans sa main un passeport Malawien flambant neuf, Mireille a fait ses adieux à ses amis du camp de réfugiés, et est montée dans un avion pour la première fois de sa vie. Destination : des études de médecine à l’université de Shenyang en Chine!

Ce fut un grand choc culturel comme vous pouvez l’imaginer, et en plus, il fallait étudier un domaine aussi complexe dans une langue qu’elle n’avait jamais parlée ni écrite auparavant. Mais Mireille avait une conviction très forte, la même croyance qui l’avait aidé à survivre toutes les difficultés qu’elle avait rencontrées dans sa vie:

« Dieu ne m’a pas épargné emmenée si loin dans la vie pour moi-même. Il l’a fait parce qu’il y a des gens que je dois servir, et je me dois d’être la plus compétente possible pour y arriver. Et il y a des gens que je dois inspirer, des gens qui ont besoin que je sois pour eux une preuve vivante du fait qu’il y a Dieu qui travaille en leur faveur. « 

C’est cette foi extraordinaire qui l’a soutenue pendant les six années à l’université de Shenyang. Mireille a commencé son séjour en apprenant courageusement le mandarin pendant une année, l’une des principales langues de la Chine. Elle a ensuite poursuivi ses études jusqu’à la fin. En juillet 2016, la jeune fille miraculée de 24 ans est revenue au Malawi, son pays d’adoption, une docteur en médecine prête à servir ses concitoyens.

C’était un retour au pays plein d’émotions. Cinquante réfugiés de Dzaleka étaient venus l’attendre et ne pouvaient retenir leurs larmes quand ils l’ont vue descendre de l’avion. La presse était également présente à l’aéroport international Kamuzu à Lilongwe pour rendre compte de son arrivée et interviewer la jeune héroïne nationale. De l’aéroport, elle s’est rendue chez elle dans le camp de de Dzaleka, où la communauté de réfugiés avait préparé une grande fête pour celle d’entre eux qui était arrivée à s’en tirer.

Bien qu’elle soit titulaire d’un passeport Malawien et se considère comme une Malawienne à part entière, Dr Mireille est affectueusement connue dans son pays d’adoption comme la jeune Rwandaise qui est passée du statut de réfugiée à celui de médecin. Son cas a contribué à sensibiliser le public sur le sort des enfants réfugiés et des victimes oubliées de nos conflits régionaux.

La jeune dame est souvent invitée au camp de réfugiés de Dzaleka et dans les écoles pour parler avec les jeunes élèves filles, ce qu’elle fait sans relâche. Elle est également fréquemment invitée à des événements organisés par le Programme alimentaire mondial et Zodiak au Malawi.

En 2017, elle a été invitée à raconter son histoire au Vatican, à Rome lors de l’événement annuel ‘Les Voix de la Foi’ (Voices of Faith). C’est un événement de grande portée qui réunit les leaders du Vatican avec la communauté catholique mondiale, afin qu’ils puissent reconnaître que les femmes ont l’expertise, les compétences et les dons jouer un rôle de leadership complet dans l’Église. Maggy Barankitse de la Maison Shalom du Burundi (vous pouvez lire l’histoire de Maggy que j’ai partagé ici en mars 2018).

« Avant d’aller en Chine, je me voyais juste comme une fille au passé tragique. Comme si ma vie ne se réduisait qu’à une tragédie. Mais quand j’étais en Chine, j’ai réalisé que j’étais plus que ça; j’étais une fille avec une histoire à raconter. Une histoire de l’amour de Dieu, une histoire de quelqu’un qui a beaucoup à donner surtout maintenant en tant que médecin. Alors, j’essaie de trouver autant d’occasions que possible d’aller parler avec les enfants dans les écoles, pour essayer de susciter en eux l’espoir, en particulier les jeunes réfugiés, parce que j’ai beaucoup à partager, ayant traversé ce qu’ils traversent. »

Elle ajoute qu’il y a beaucoup d’autres Mireilles par le monde.

« Malheureusement, leurs histoires se terminent souvent dans la tragédie. Beaucoup d’entre elles n’atteignent jamais ce moment apaisé où leur vie peut aller de l’avant, où elles peuvent obtenir une éducation supérieure et aider à construire leur pays. D’autres arrivent dans des endroits sécurisés, mais parce qu’elles ont perdu toute leur famille, elles se retrouvent forcées d’être les gagne-pains à un très jeune âge et ne peuvent donc jamais accéder à l’enseignement supérieur », dit-elle.

« Ce qui arrive aux enfants innocents est complètement injuste, cela doit cesser. Je suis convaincue que cela peut commencer en chacun de nous, avec l’amour, le pardon et la miséricorde. »

Aujourd’hui, le Docteur Mireille Twayigira travaille dans le plus grand hôpital de référence du Malawi et entretient des liens étroits avec sa communauté à Dzaleka, où sa vie est passée des cendres à la beauté. Aujourd’hui, le camp de réfugiés de Dzaleka abrite près de 60 000 réfugiés du Rwanda, du Burundi, de la République Démocratique du Congo, de l’Éthiopie et de la Somalie.

Si vous lui demandez ce qui lui manque de son Rwanda natal, Mireille sourira et vous répondra surement que c’est la nourriture. « Vous ne pouvez pas comparer la nourriture dans le camp à celle de mon pays », dit-elle. « Nous avions tout ce dont nous avions besoin: de la viande, des pommes de terre, des banane plantain, du lait. »

Félicitations pour votre contribution à l’Héritage de l’Afrique, Dr Mireille. Merci aussi de nous avoir rappelé qu’il y a tellement d’enfants du Rwanda dispersés dans le monde qui essaient de trouver un endroit sûr où ils peuvent reconstituer leurs êtres et leurs vies.

Source: Um’Khonde Habamenshi