Mémorandum adressé à Madame Mary Robinson, envoyée spéciale des Nations Unies pour la région des grands Lacs

Kigali, le 02 Mai 2013.

Madame ;

Les FDU-INKINGI vous souhaitent la bienvenue au Rwanda et profitent de votre passage pour vous exposer sa vision sur la stabilité dont a besoin la sous-région des grands lacs.

Le parti FDU-INKINGI a été créé en 2006 et constitue aujourd’hui la principale force politique de l’opposition démocratique rwandaise. Il se bat depuis 2010 pour être enregistré, mais ses efforts se heurtent toujours à l’intransigeance du gouvernement du Front Patriotique Rwandais qui se comporte comme un parti Etat. Convaincu qu’aucune solution durable  ne sera trouvée à la crise à l’Est de la RDC  tant que demeure une instabilité politique chronique au Rwanda, notre parti plaide pour une solution globale qui passe par une véritable démocratisation de la gouvernance au Rwanda.

La question des droits de l’homme

Madame,

Vos anciennes fonctions  de Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, de 1997 à 2002, attestent de votre« expérience internationale considérable », et vous donne la carrure pour contribuer à faire avancer la cause des droits de l’homme au Rwanda.

Dans son rapport AFR 47/004/2012, l’organisation Amnesty International décrit de façon extensive les nombreux cas de détention illégale et torture de civils dans des installations de l’armée rwandaise  (Rwanda: shrouded in secrecy. Illegal detention and torture by Military IntellIgence).

Lors de la 10ème  session de la commission onusienne chargée des droits de l’homme, beaucoup de pays se sont dits inquiets de l’état des droits de l’homme au Rwanda. C’est le cas par exemple des USA, de l’Autriche, et Canada  qui a exprimé de vives inquiétudes notamment sur la loi sur les medias, la loi sur l’idéologie du génocide, des manipulations dans l’enregistrement des partis politiques ainsi que l’ingérence du gouvernement dans l’administration de la justice (Canada expressed concerns about: the restrictions imposed by Media law on freedom of expression; the scope of the law on ideology of genocide and its possible misinterpretation and abuse; the allegations of manipulations in the registration of political parties; and alleged political interferences in the administration of justice).

De son côté, Reporters sans frontières  affirme que le Rwanda occupe une non enviable place de 169ème place sur 178 pays passés en revue en 2010 en matière de liberté de la presse « Rwanda is ranked 169th out of 178 countries in the 2010 Reporters Without Borders press freedom index. This is Africa’s third worst ranking

Alors que le régime affirme avoir pacifié le pays, (et à quel prix!), des Rwandais, toutes ethnies confondues, y compris dans la hiérarchie militaire,  continuent de fuir le pays pour chercher asile à l’étranger. Certains sont pourchassés jusque dans leurs pays d’asile. Le procès en cours en Afrique du Sud pour tentative d’assassinat contre  l’ex chef d’état-major de l’armée rwandaise, le général  Kayumba Nyamwasa, l’assassinat au Mozambique de l’homme d’affaires Gakwaya,  l’assassinat en Ouganda du journaliste Charles Ingabire en décembre 2011, en sont une parfaite illustration.

 

La situation économique

Contrairement aux déclarations officielles sur la situation économique, la paupérisation de la campagne sous le régime actuel n’a jamais été aussi criante durant les 30 dernières années.

Selon un récent rapport du PNUD (2008) sur le développement humain portant sur le Rwanda (Turning vision 2020 into reality : From recovery to sustainable human development), 62% de la population rurale vit actuellement dans la pauvreté avec moins de 0,44$ par jour, alors que cette proportion n’était que de 50,3% en 1990.

A ceci s’ajoute de profondes inégalités dans la redistribution de la richesse nationale. En effet, les données de la Banque mondiale sur le Rwanda montrent que les inégalités entre les riches et les pauvres n’ont jamais été aussi élevées que maintenant. Entre 1985 et 2011, la part du produit intérieur brut détenue par la tranche des 10% les plus riches a presque doublé, passant de 24,58% à 43,22%, tandis que celle détenue par les 10% les plus pauvres s’est réduite de plus que la moitié, passant de 4,41% à 2,13%[1].

Comparée à la situation d’avant la guerre de 1990, ces proportions étaient respectivement de 48,3% et de 7,6%. Le rapport du PNUD fait aussi remarquer que, si les inégalités étaient restées au niveau de 1990 et de 1985, avec le taux de croissance actuel de 5,8%, le revenu des 20% les plus pauvres aurait plus que doublé.

Alors que la population rurale qui vit exclusivement de l’agriculture avoine les 85% de la population rwandaise, le Rwanda est classé par le rapport de la Banque Africaine de Développement (BAD), dont on ne peut soupçonner de partialité (son président actuel est un membre du parti FPR et ancien ministre des finances sous le régime actuel), parmi les tout derniers pays au monde à faire le moins d’investissement dans ce secteur.

Lorsqu’on compare la situation du Rwanda  à la moyenne des pays africains au sud du Sahara, le Rwanda est loin d’être un îlot de prospérité dans un océan de misère. « Comme le montre le rapport du PNUD sur l’indice du développement humain, le Revenu national brut par habitant du Rwanda est de 1 133$ en prix constants de 2005, soit de 800$ en-dessous de la moyenne des pays africains au Sud du Sahara (1 966$) »[2].

L’opacité dans la gestion du pays

L’absence totale d’un contrôle parlementaire de l’action du gouvernement conduit inéluctablement à une gestion occulte de la chose publique.

Dans un récent rapport (avril 2012) une commission parlementaire d’habitude avare de commentaire sur le régime, a mis en évidence un montant de 10 millions de dollars US destines au projet Rukarara Hydropower , qui aurait été dépensé sans aucune pièce justificative. Le meme rapport mentionne un autre montant de 165 millions de franc rwandais destines à l’expropriation des riverains de ce projet, qui ont aussi disparus (The MPs’ outcry follows a damning report in which a parliamentary ad hoc commission investigating the Rukarara Hydropower project reportedly established that about US$10 million was used without supporting documents and in the knowledge of senior government officials.

In the report, the commission members also indicate that about Rwf165 million was released for expropriating people living around the area. However, the money ‘disappeared’ and the people are yet to be paid and still living at the same site)[3]

Manque fragrant d’indépendance de la justice

Dénonçant le manque de justice au Rwanda, feu Alison Desforges, naguère peu loquace à propos des manquements du régime du FPR, écrivait avant sa mort tragique, que «  insister sur le droit à la justice pour tous  ne devait pas, comme le fait le régime, être interprété comme un négationnisme du génocide« [4]       ». C’est pourtant le quotidien des citoyens rwandais. Dix-neuf ans après la fin du génocide, une frange de la population n’a toujours pas le droit de pleurer et enterrer ses morts dans la dignité.

Le procès de madame Victoire Ingabire Umuhoza est un test grandeur nature. Evoquant les nombreuses irrégularités ayant émaillé ce procès, Amnesty International écrit ce qui suit : « Amnesty International a conclu que l’observation du procès de première instance avait mis au jour des sujets majeurs de préoccupation. Dans la période précédant le procès, les autorités rwandaises ont fait des déclarations officielles qui ont posé des problèmes eu égard à la présomption d’innocence de Victoire Ingabire, notamment des conclusions préliminaires sur la valeur probante des éléments retenus à son encontre. Les accusations liées à la liberté d’expression manquaient de fondement juridique clair. Certains chefs d’accusation relatifs aux propos de Victoire Ingabire étaient fondés sur des textes législatifs imprécis et très larges, notamment les lois réprimant l’ « idéologie du génocide » ainsi que la « discrimination et le sectarisme ». Amnesty International n’a constaté ni appel ni incitation à la violence ou à la haine ethnique dans les éléments de preuve présentés par le ministère public lors du procès ».(www.amnesty.org/fr/library/info/AFR47/001/2013/fr)

La fondation Jean Jaures fait le même constat amer en parlant « d’instrumentalisation du système judiciaire national à des fins politiques »[5].

Lors de la lecture de leurs  conclusions devant la cour suprême, dont les audiences sont en cours, Madame Victoire Ingabire ainsi que son conseil sont revenus sur ces irrégularités. Ils ont relevé entre autre que la Haute cour l’avait condamnée à 8 ans de prison ferme pour des faits qui ne figurent pas dans l’acte d’accusation du ministère public. Qui plus est, l’accusée n’a jamais été interrogée sur ces faits, ni devant les enquêteurs de la police criminelle (CID), ni devant le ministère public, ni durant les auditions devant la cour.

L’arrestation et emprisonnement de monsieur Sylvain Sibomana, secrétaire général du Comité exécutif provisoire du parti FDU-Inkingi, ainsi qu’une dizaine de militants du parti le 25 Mars 2013, tout comme celle de 7 militants (Mutuyimana Anselme, Uwiringiyimana Venuste, Ufitamahoro Norbert, Twizeyimana Valens, Nahimana Marcel, Byukusenge Emmanuel and Mlle Gasengayire Léonille )arrêtés le à Rutsiro le 15 Septembre 2012 et aujourd’hui détenu à Muhanga, relèvent toutes de persécution politique déguisées en affaires judiciaires. Le cas de Sylvain a une odeur particulière, puisque l’intéressé a été tabassé au point de perdre des dents.

Le traitement  médiatisé du cas du Dr Léon Mugesera, extradé du Canada est aussi révélateur de la parole donnée du régime du FPR.

Dans une lettre adressée au procureur général du Canada, le conseil de Mugesera a vivement dénoncé « le non-respect  des Garanties relatives aux droits de la personne que le Rwanda a données au Canada, dans un document … du 18 février 2009 «  Ce non-respect de la parole donnée par les autorités rwandaises devrait inciter le Canada a reconsidérer sa politique sur les extraditions des réfugiés rwandais vivant au Canada et à être plus généreux en matière d’octroi de statut de réfugié politique..

L’insécurité à l’Est de la RDC

Il est indéniable que l’arrivée massive de réfugiés rwandais  en RDC ait causé d’énormes problèmes dans le pays d’accueil. Mais lui imputer toute la responsabilité de la crise, sans tenir compte de l’ingérence du Rwanda serait faire preuve de légèreté.

En effet, le manque de volonté politique dans le chef du régime de Kigali, pour trouver une solution durable au problème des réfugiés, est la principale source d’instabilité. Alors que ce gouvernement avait fait du problème de réfugié l’une de ses 7 priorités durant sa lutte armée de 1990 à 1994, jamais le Rwanda n’a eu autant de réfugiés que sous son exercice.

Plutôt que de favoriser une approche de dialogue, (pull measures), ce régime a toujours utilisé des mesures de coercition (push measures). De la destruction sanglante des camps de déplacés de Kibeho en 1995, aux attaques  des camps de réfugiés en RDC, de l’accueil des réfugiés rapatriés de force, rien n’a été épargné aux réfugiés. C’est ce qui les empêche de rentrer.

C’est ce qui suscite l’incompréhension des ONG face à l’application imminente de la clause de cessation (There are also numerous concerns regarding Kagame government’s claims of free and fair elections and substantive democratic reforms.In light of the evidence that civil and political rights in Rwanda continue to be violated, how can it be argued that fundamental and durable changes have occurred justifying the invocation of the Cessation Clause?)[6].

Le Rwanda doit cesser d’utiliser la question des réfugiés et des FDLR en particulier, pour justifier son ingérence dans les affaires internes de la RDC. La solution aux problèmes des réfugiés rwandais est avant tout de la responsabilité du gouvernement rwandais qui doit mettre en place des mesures permettant un retour pacifique et dans la dignité des réfugiés rwandais.

Madame l’envoyé spéciale,

En votre qualité d’ancien Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, et en votre qualité d’envoyé spécial pour la région des grands lacs, il vous importe de tirer les leçons de l’échec de vos prédécesseurs sur l’épineux problème de l’insécurité dans la sous région.

En effet, à l’exception de Jimmy Carter, ancien Président des USA, aucune autre personnalité n’a jugé utile d’associer les réfugiés à la recherche de solution à leur problème. Votre sens de l’écoute et votre fibre de militante des droits de l’homme nous donne l’espoir que vous serez plus à l’écoute de tous les interlocuteurs. C’est pourquoi nous vous soumettons nos propositions pour trouver une issue à cette crise qui n’a fait que trop durer :

  • L’absence de culture démocratique au Rwanda pousse les autorités à se lancer dans des aventures militaires en RDC au lieu de privilégier le dialogue. Le refus du gouvernement d’enregistrer notre parti est un obstacle à une gouvernance avec des « checks & balances »
  • Vous savez plus que quiconque, que le leadership féminin peut apporter une plus valeur en période aussi difficile que celle que nous vivons. Madame Victoire Ingabire, aujourd’hui incarcérée, se bat pour ce leadership féminin. Votre voie pour qu’elle ait droit à un procès équitable serait la bienvenue
  • Pendant des décennies, la RDC a cohabité pacifiquement avec le Rwanda. Jamais  les relations n’ont été aussi exécrables. La solution passe par le respect sans condition de l’intégrité territoriale de la RDC, ainsi que la mise en application des accords d’Addis Abéba.
  • Plutôt que de donner des leçons de morale au gouvernement congolais, le Rwanda doit d’abord balayer devant sa porte, et dialoguer avec ses opposants politiques. La voie de la répression a montré ses limites.

Pour le Comité Exécutif Provisoire

Boniface Twagirimana

Vice-Président Intérimaire

images (1)

 


[1]http://www.lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=4459

 

[2]http://www.lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=4459

[3]http://www.the-chronicles.net/index.php/politics/686-drama-as-mps-call-on-the-president-to-do-their-job.html

 

[4]To insist on the right to justice for all victims, as did the [1994] UN Commission of Experts, is not to deny the genocide, nor does such an insistence equate war crimes with genocide; it simply asserts that all victims, regardless of their affiliation, regardless of the nature of the crime committed against them, and regardless of the affiliation of the perpetrator, must have equal opportunity to seek redress for the wrongs done them

[5] Fondation Jean Jaures. La condamnation de Victoire Ingabire ou la réconciliation nationale selon Kigali. NOTE n° 165 – Fondation Jean-Jaurès – 17 avril 2013

[6]Fahamu. Pending questions: UNHCR Recommendations regarding the Cessation Clause for Rwandan refugees