Nous serons tous riches ensemble ou nous nous noyerons ensemble

« Aujourd’hui je voulais m’indigner pour le silence de l’Union Africaine. Les gens-là qui meurent sur les plages – et je mesure mes mots – si c’était des Blancs, la Terre entière serait en train de trembler. Ce sont des Noirs et des Arabes, alors quand eux ils meurent, ça coûte moins cher.

Si on voulait sauver les gens dans l’Atlantique, dans la méditerranée, on le ferait. Mais on attend qu’ils meurent d’abord. C’est à croire que le ‘laisser mourir’ est un outil dissuasif.

Mais laissez-moi vous dire quelque chose: cela ne dissuade personne ! Parce quelqu’un qui part et qui envisage l’éventualité d’un échec, celui-là peut trouver le péril absurde et donc l’éviter. Mais celui qui part pour la survie, qui considère que la vie qu’il a à perdre ne vaut rien, celui-là sa force est inouïe, parce qu’il n’a pas peur de la mort ! »

Ces mots ont été prononcés à la télévision française en Avril 2015 par une paneliste d’un débat. Thème assez provocateur ‘Accueillir ou pas la misère du monde ‘.

Les mots que j’ai transcrits ici ne sont qu’un petit fragment de toute son intervention.

La voix de cette auteure Sénégalo-Française née dans une petite ile de 20.000 habitants près de la ville de Fatick au Sénégal, a instantanément et incontestablement conquis le monde entier et est devenue l’une des voix les plus fortes pour les sans voix dans cette thématique de la ‘crise des migrants’.

Sa diatribe a enflammé et continue à enflammer le web – trois ans après ce débat de France 2 – tant la justesse et le choix de ses mots, la puissance de son argumentaire et la manière dont elle ne laisse pas désarçonner même devant les propos cyniques qui ne se voilent même plus, a résonné chez beaucoup de personnes, surtout les gens en Afrique et dans la diaspora d’origine Africaine.

Sans le savoir et sans le vouloir, elle est devenue de facto la porte-parole de tous ceux qui se sont souvent senti frustrés par le fait que les africains et ces migrants de toutes origines qui s’aventurent dans ce voyage désespéré de la méditerranée, sont rarement invités aux nombreuses tables où l’on débat de leur sort et de leur avenir.

Aujourd’hui je suis inspiré par Fatou Diome du Sénégal. Fatou est née en 1968 sur la petite île de Niodior, dans le delta du Saloum, au sud-ouest du Sénégal. Née d’un amour ‘illicite’ entre deux jeunes de 18 ans dans une communauté musulmane conservative qui condamnait leur relation, la petite Fatou est élevée par sa grand-mère maternelle, Aminata.

Fatou décrit sa grand-mère comme une femme pragmatique dont la priorité était de la nourrir, la soigner et la préparer pour une vie sans ennuis, sans plus. Sa grand-mère venait d’une autre époque, une époque où les filles ne devait avoir d’autres ambitions que de fonder une famille.

Fatou elle, avait d’autres aspirations. Elle n’accepte pas les traditions de sa terre natale qui relèguent les femmes à préparer les repas et assurer les tâches ménagères. De la maison de sa grand-mère, Fatou voyait l’école et elle rêvait d’être comme les autres enfants qu’elle voyait là-bas. Sa grand-mère ne voulait rien entendre.

Le matin, Aminata amenait la petite fille avec elle dans son jardin potager et elles passaient des heures à arroser les légumes. Mais dès que sa grand-mère allait s’occuper d’autres taches ménagères, la petite fille s’enfuyait et allait à l’école.

«Je restais au fond de la classe, mais l’instituteur me renvoyait.»

Malgré tout, elle continuait à venir, en cachette. Finalement, voyant à quelle point la petite fille était déterminé et conscient qu’elle ne pourrait s’éduquer en cachette très longtemps dans cette petite communauté sans que sa grand-mère ne le découvre, l’enseignant décide d’aller la rencontrer pour la convaincre de laisser Fatou poursuivre ses études.

Sa grand-mère finira par accepter son choix, et l’année suivante, elle a inscrit officiellement la petite fille de 7 ans à l’école.

Fatou ne lui en a jamais voulu de l’avoir mis à l’école à contrecœur. Elle sait que sa grand-mère l’aimait plus que tout et voulait que sa petite-fille ait une belle vie, différente de celle de sa mère, mais elle ne comprenait pas ce que ce monde éduqué représentait.

Pour Fatou, l’éducation était tout: c’est là où elle découvre la langue Française et petite déjà, développe ce rêve de devenir enseignante.

Son petit village n’ayant pas d’école secondaire, Fatou est envoyée à 13 ans vivre dans la ville voisine de M’Bour chez des parents qui devaient normalement l’aider à aller à l’école. Mais c’était l’opposé.

«J’étais leur bête de somme. On me disait : aujourd’hui, tu ne vas pas en classe, tu fais le linge! Alors, à 14 ans, j’ai pris ma chambre, que je payais avec des petits boulots.»

Fatou commence ainsi ce qu’elle décrira plus tard comme une vie de ‘nomade’, faisant des petits boulots de bonne pour financer son rêve d’avoir un diplôme. Tant bien que mal, elle finira ses études secondaires au Lycée de M’Bour. Bien qu’elle reconnaisse la valeur de l’éducation, pour elle, c’est cette vie d’enfant qui s’est retrouvée livrée à elle-même qui a vraiment forgé son caractère.

« La rue ! Lorsque j’étais adolescente, je louais une chambre pour me débrouiller toute seule. Evidemment, lorsque vous vivez comme ça, vous êtes confrontée à la société brute, elle est sans fard et vous l’affrontez telle qu’elle est.»

Loin de l’aigrir, cette vie a libéré son esprit, lui a appris à questionner le monde, et questionner les adultes et leurs responsabilités dans les maux de la société.

Toujours à la recherche de moyen pour continuer à étudier, Fatou se retrouve en Gambie, pays voisin du Sénégal, où elle travaille comme bonne. Avec l’argent qu’elle gagne, elle revient s’inscrire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, mon ancienne université. Un petit fait qui n’a rien à avoir avec notre histoire: j’étais moi-même étudiant à l’université historique de Dakar à la même époque et j’ai peut-être croisé la jeune Fatou au campus sans le savoir.

Passionnée de la langue Française, elle rêve à devenir professeur de français. Elle confie qu’elle ne pensait pas à quitter son pays natal. Ses projets devaient quelque peu changer quand, à 22 ans, elle tombe amoureuse d’un coopérant Français, avec lequel elle se marie et suit en France, en Alsace.

Mais loin d’être un beau conte de fée, son histoire d’amour a rapidement tourné au vinaigre. Elle décrira plus tard sa relation avec beaucoup d’humour “C’était une erreur de casting” confiera-t-elle.

En entrant dans cette relation, il ne lui venait pas à l’idée que cela importerait à qui que ce soit que leur couple soit mixte. En fait, elle ne voyait pas son mari comme quelqu’un de ‘peau différente’. Mais le regard que les autres portaient sur son couple n’était pas aussi fan de la mixité. La famille de son mari l’a particulièrement maltraitée, et sous leur pression, leur couple n’a pas tenu.

En 1994, la jeune divorcée se retrouve pratiquement à la rue, une époque qui lui rappellera son adolescence, quand elle a décidé de quitter sa famille d’accueil de M’Bour. Et comme à l’époque de son adolescence, elle ne se laisse pas décourager par les évènements: Fatou se lance dans des petits boulots pour gagner sa vie. Et comme à l’époque de M’Bour, de Gambie et de Dakar, elle met tout ce qu’elle gagne, aussi minime que ce soit, dans son éducation.

Cela durera six ans, six ans pendant lesquelles elle va à la faculté à l’université de Strasbourg et fait le ménage pendant ses moments de liberté. Elle est tellement déterminée à se sortir de la précarité et de ne jamais plus dépendre de quelqu’un d’autres pour sa survie qu’elle continuera à faire des petits boulots même quand son parcours académique exceptionnel lui vaudra de décrocher un poste de chargée de cours pendant qu’elle complète son DEA.

Vous vous dites sûrement qu’une jeune étudiante qui passe des jours et des nuits à préparer un doctorat, faire de la recherche pour son sujet de thèse, passe les journées à donner des cours et faire des petits boulots ne trouverai pas le temps de faire autre chose?

Eh bien Fatou, elle a trouvé ce temps-là pour poursuivre une passion née en elle depuis son adolescence : l’écriture.

« Je ne suis pas venue à la littérature, c’est elle qui est venue à moi. J’ai commencé à écrire quand j’ai quitté mon village, j’avais treize ans. A cause du fait de devoir aller dans d’autres villes au Sénégal pour étudier j’étais souvent très seule, donc je lisais énormément et ça m’a donné envie d’écrire de petites histoires et c’est venu comme ça petit à petit. J’étais très jeune, j’ai commencé à écrire et je n’ai jamais arrêté depuis. Je ne savais pas forcément à quoi ça pouvait me mener. »

Amoureuse de la vie mais révoltée par les injustices de ce monde, vivant tous les jours les revers de ce rêve européens si dur à acquérir, la jeune femme décide de canaliser toutes ces émotions et expériences dans des histoires courtes tournant autour du thème de l’immigration, vue sous le regard d’une jeune fille qui lui ressemble et qui grandit au cours des récits.

En 2001, pendant qu’elle complète un doctorat de lettres modernes sur le thème du ‘Voyage, les échanges et la formation dans l’œuvre littéraire et cinématographique de Sembène Ousmane’, elle publie ‘La Préférence nationale’, un recueil de toutes ces nouvelles qu’elle écrit depuis des années.

‘La Préférence nationale’ a été bien reçue des critiques littéraires mais ce sera ‘Le Ventre de l’Atlantique’, son premier roman qu’elle publiera deux ans plus tard, qui mettra le nom de Fatou Diome sur toutes les lèvres et lui donnera une renommée internationale.

Là encore, elle puise dans son expérience personnelle et son vécu pour raconter l’histoire de la migration vue par les africains.

“Attirée, puis filtrée, parquée, rejetée, désolée. Nous sommes les Malgré-nous du voyage” écrit-elle dans ce livre qui a été un succès littéraire dès sa parution – avec plus de 200.000 exemplaires vendus – qui a en partie lancé ce que d’aucun appellent ‘le phénomène Diome’.

« J’en avais un peu assez des clichés : l’immigration ce n’est pas que des pauvres gens exploités, ce n’est pas toujours ça. L’immigration c’est aussi des gens qui partent pour leur émancipation, qui partent au nom de leur liberté…qui partent pour des tas d’autres raisons que la société d’accueil ne perçoit pas forcément. Vous avez donc certes des gens qui partent pour des raison économiques, mais d’autres qui partent pour des raisons plus vivables. Je voulais aussi parler des rapports qui existent entre les immigrés qui vivent en Europe et leurs familles restées au pays. On parle toujours des sans-papiers, mais on ne sait pas pourquoi ils sont partis. On ne sait pas ce qu’ils vivent quand ils reviennent sur place et je voulais dévoiler ces aspects-là. »

Fatou Diome fait le tour des plateaux télévisés et des émissions de radio, séduisant le public par son charisme, son franc-parler, sa facilité avec les mots et sa façon de vous amener malgré vous à voir ce qui était devant vous tout ce temps mais auquel vous n’aviez jamais vraiment prêté attention: les rêves de tous ces gens dont on ne voit souvent que la souffrance et misère.

D’étudiante qui fait le ménage pour payer ses études, Fatou devient une auteure a succès qui continuera à dévoiler le monde de la migration à travers des riches ouvrages littéraires.

Dans les années qui ont suivi la publication de ce roman qui lui a ouvert les mondes de la littérature française, Fatou Diome est petit à petit devenue la voix de référence pour tout ce qui est immigration et intégration en France.

Depuis cette émission d’Avril 2015 avec laquelle j’ai commencé mon article, la voix de Fatou Diome, et non plus seulement ses textes, ont franchi les frontières de l’Hexagone pour atterrir dans les coins les plus éloignés possibles, y compris son petit village de Nodior qu’elle a quitté à 13 ans.

Sa grand-mère, qui vivait toujours sur la petite ile, s’inquiétait à chaque fois qu’elle entendait parler de sa petite fille dans les nouvelles.

« Qu’est-ce que tu as fait? » lui demandait-elle quand elle l’appelait. Pour la vielle dame, on ne parle de vous comme ça que quand vous êtes dans les ennuis.

Mais Fatou la rassurait: « Non grand-mère, je ne suis pas dans des ennuis! »

Et pour la rassurer, elle a pris le temps de lui traduire chacun de ses livres dans leur langue natale, le sérère, afin de partager avec son aïeule un peu de ce monde magique qu’elle a découvert il y a plus de quarante ans, quand elle a franchi la porte de l’école primaire de Niodor.

Je ne peux compter le nombre de fois que des amis m’ont envoyé la vidéo de son intervention dans l’émission ‘Ce soir ou jamais!’ et à chaque fois, je suis accroché à tous ses mots, fasciné par sa facilité à dire tout ce que j’ai à l’esprit, ne se laissant jamais emporter dans des mots ou argumentaires creux.

Je ne vais pas vous dire plus. Aujourd’hui, j’ai juste voulu vous dévoiler un peu de la vie de cette femme admirable dont la vidéo a certainement dû atterrir dans votre messagerie favorite.

Fatou Diome doit s’écouter et se lire, et ne peux être appréciée que quand vous l’entendez de sa propre voix, avec ses propres mots. Je vous encourage à rechercher les images de ses interviews et conférences, cherchez ses livres si vous avez le temps de lire entre deux choses et découvrez la verve de cette femme de lettres exceptionnelle.

Je ne sais pas si vous aimerez nécessairement ce qu’elle dit mais je peux vous assurer qu’elle ne vous laissera pas indifférente.

«Vous ne resterez pas comme des petits poissons rouges dans la forteresse européenne. Au jour d’aujourd’hui, l’Europe ne sera plus jamais épargnée, tant qu’il y aura des conflits ailleurs dans le monde, l’Europe ne sera plus jamais opulente tant qu’il y aura des carences ailleurs dans le monde.
Alors trouvons une solution collective ou déménagez d’Europe car j’ai l’intention de rester.»

Bien dit, Fatou ! Tu es la voix de ceux privés de voix, ceux dont l’histoire n’est réduite qu’a quelques chiffres et à des images insoutenables de centaines de gens entassés sur des embarcations de misère ou se débattant dans la mer pour ne pas se noyer, entourés de morceaux de leurs pirogues et de corps sans vie flottant sur ces eaux loin de chez eux. Ceux dont l’histoire n’est que censée être vue d’aussi loin que possible et jamais entendue, et quand on l’entend, on ne daigne pas l’écouter.

Félicitation pour ta contribution à l’héritage de l’Afrique, Fatou! Que Dieu continue à entretenir ce talent extraordinaire et à toujours t’aider à trouver les mots justes pour réveiller même les consciences les plus endormies ! #BeTheLegacy #WeAreTheLegacy #Mandela100#UMURAGEkeseksa

Contributeurs
Um’Khonde Patrick Habamenshi