Opposition et petits dictateurs: too much ado

On l’appelle Rukokoma et ce surnom (qui signifierait « réunion de grand déballage ») a presque fait oublier son vrai nom. Pour s’être opposé avec virulence au régime du prédisent Habyarimana, Faustin Twagiramungu a symbolisé, malgré lui, une forme de résistance à la dictature. Il renforcera cette renommée en se présentant, au Rwanda, contre le général Paul Kagame aux élections présidentielles de 2003 ; consultation qu’il a logiquement « perdue ». Il entama alors ce que beaucoup croyaient être une traversée du désert alors que le concerné fourbissait patiemment ses armes pour s’attaquer, via une nouvelle formation politique, à son challenger de 2003.

Pendant neuf années donc, ce gendre du président Grégoire Kayibanda peaufinait un come back sur la scène politique rwandaise en s’appuyant sur la Rwandan Dream Initiative Rwanda Rwiza, un parti qu’il a créé et qui a su séduire une génération beaucoup plus décomplexée de Rwandais. Des jeunes talents comme Evode Uwizeyimana, Alain Ndengera et Ismaïl Mbonigaba intégrèrent très vite le directoire politique de la RDI. De réunion en réunion et de communiqué en interviews, les observateurs commencèrent à conjecturer sur le nouveau statut politique de Rukokoma. Ils ignoraient que ce combat était son tout dernier. Son chant du cygne en quelque sorte ; et, avec lui, la fin de toute une époque et d’une façon de faire la politique.

Pour les non avertis, la vraie face de ce politicien n’apparaît qu’avec la démission du duo Evode-Ndengera. Faustin Twagiramungu est pourtant bien connu des Rwandais qui l’ont vu émerger et s’imposer au sein du parti Mouvement Démocratique Républicain (MDR) dans les années 90. Comme si le fait d’avoir épousé la fille du grand Parmehutu Kayibanda lui donnait plus de droits que ses camarades, « Rukokoma » étala très vite son arrogance et le peu de cas qu’il faisait des débats internes utiles à chaque parti politique. Au sein même du MDR, il avait plus d’ennemis que d’amis. Donat Murego, Dismas Nsengiyaremye et j’en passe. Tous lui reprochaient de réclamer un vrai débat entre Rwandais au niveau national alors qu’il n’en acceptait pas le principe au sein même de son parti. Le résultat fut une suite de démarches qu’il mena solo, ce qui le conduit dans des trahisons qu’il doit aujourd’hui regretter.

Le départ de ces deux « espoirs » de la RDI annoncent aujourd’hui donc la fin de cette façon rwandaise de faire la politique en voulant être l’ami de tout le monde et donc l’ennemi de tous in fine. Rukokoma commence par démystifier le grand Kinani, puis s’acoquine avec le FPRr (niyo bafata Byumba!) pour ensuite retourner sa veste, le temps de voir son nom écrit, grâce entre autre au même Kinani, dans les Accords d’Arusha suivi du pompeux « premier ministre désigné » (c’est moi qui souligne). A la fin des courses, Twagiramungu aura juste contribué à l’éclosion de la pire puissance (Power) que le Rwanda ait connu à ce jour. Bien sûr qu’il n’en est pas responsable, mais sa façon de faire et d’être politicien (Politiki yo hejuru) a rendu possible cette course à la folie que certains de ses amis ont entrepris et qui finira par Ishyano en 1994.

Très éloquent, Rukokoma et beaucoup de politiciens de sa trempe (sa génération?) ont toujours confondu politique et intrigues (gusisibiranya). Face aux vraies questions, ils bafouillent, se défaussent sur les adversaires ou renient leur idéologie, quand ils en ont une. C’est ainsi qu’à entendre leurs discours, les paysans croient avoir affaire à des hommes d’Etat, là où des ambitieux sans scrupules lorgnent des portefeuilles qui affermiront la barrière qu’ils s’ingénient à ériger entre la base dont ils se moquent et eux-mêmes. Ils disent une chose et pensent invariablement le contraire. Rukokoma, ce n’est pas un secret, croyait utiliser le FPR pour s’en débarrasser après. Il croyait donner un sens à lui au mot rubanda (le peuple), un clin d’oeil hypocrite à l’exclusion. Il dit combattre la dictature, mais ne veut d’alliés que des béni-oui-oui.

Comment imaginer le recours par Rukokoma à un argument du genre « ni abantu biyita aba intellectuals » pour dénigrer et écarter ses partisans ? Cette improbité ramène les débats au temps du bush war en Ouganda où ceux qui rejoignaient la lutte en abandonnant leurs études étaient qualifiés d’intellectuals et, de ce fait, marginalisés et maltraités par les autres. Le « démocrate » Rukokoma empruntant la rhétorique des Museveni et autres Kagame ? Renversant. Tout simplement. Dans une interview avec Stephen Smith de Libération (27 février 1996), Gérard Prunier avait dit de Kagame qu’il se habyarimanisait à la vitesse grand V et il est à se demander le profit pour Twagiramungu de se kagamiser…

La récente implosion de son bureau politique pose ainsi, au-delà du seul RDI, une question essentielle à tous les opposants rwandais : une dictature peut-elle être abattue par la conjugaison des efforts consentis par d’autres petits dictateurs ? Car c’est ce que sont la plupart de nos opposants. Des petits dictateurs. Expliquez-moi sinon, cette absence récurrente de compromis dans des formations qui passent leur temps à réclamer sinon à exiger la démocratie au Rwanda. Et ces scissions qui n’en finissent pas. Et ces trahisons. Et ces redditions. Et ces démissions. Avant-hier c’étaient encore les risibles et interminables mues Nation Imbaga – ADRN Igihango à PDN Igihango, hier c’est un FDU quasi bicéphale qui ne savait où donner de la tête… Aujourd’hui, le spectacle est assuré par la RDI. En attendant le RNC (ça ne saurait tarder m’a-t-on assuré!).

Il est donc simple et sévère le constat : la politique telle qu’elle est conçue par nos opposants est tout sauf une alternative crédible au statu quo actuel. Un changement de « logiciel » s’impose donc à défaut de vrais états-généraux de l’opposition. Arguer l’expérience ou l’âge des acteurs ne suffit plus. Burya si buno comme diraient nos ancêtres. Rukokoma peut donc envisager de rentrer au bercail, mais si c’est pour finir comme le général Rwarakabije, Pierre-Celestin Rwigema (et Frank Habineza?), à quoi aura servi tout son tapage sur la BBC ? Et même ce faisant, il serait en train de tricher car, avant lui, une dame courageuse et un visionnaire hors pair avaient déjà tenté le coup. Abandonnés par leurs partisans qui n’ont pas fini de se chamailler, ils souffrent le martyr dans cette dictature dont on voudrait nous débarrasser.

Si les discours au vitriol du président Kagame choquent beaucoup trop souvent, il lui arrive de lancer, comme ça, une phrase que même nos « petits dictateurs » d’opposants ne savent pas analyser. « You cannot blame me for the weakness of the opposition » a-t-il un jour dit. Preuve par Rukokoma et consorts. Entre nous, et sérieusement, que peut-on encore attendre d’un Rukokoma (ou des Rukokomas), même version 2013 ?

Cecil Kami

1 COMMENT

  1. Pour moi le summum des trahisons de cet homme et sa déclaration lors de la conférence de presse qu’il a organisée à l’hôtel des Diplomates vers le mois de mars 1994: « N’Ingoma ya Kayibanda yarishe ».

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