Où Vas-Tu, Rwanda?

Philibert Muzima

«Fausse critique historique mais vraie entreprise de falsification à des fins idéologiques, le révisionnisme n’est pas chose neuve. » Henri Deleersnijder

Lorsque les rescapés du génocide des Tutsi du Rwanda sont traités de négationnistes, de faux survivants et, par effet de ricochet, leurs êtres chers tués durant le génocide devenant de “fausses victimes”, cela donne des frissons et la question à se poser se résume à “Quo Vadis Rwanda ?” ou Rwanda uragana he?

Il y en a bien de bien entrainés et bien décidés à repousser, toujours davantage, toujours plus loin, les limites de la stupidité. Ils n’ont sûrement rien compris lorsqu’Albert Einstein énonça que dit : “Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue.’’ S’ils n’y voyaient pas que du feu, ils auraient alors compris que s’évertuer à repousser les limites de la stupidité revient à enfoncer une porte ouverte.

Le génie d’enfoncer une porte ouverte 

Tom Ndahiro, «auteur-chercheur» de son état, prétend avoir fait une grande découverte consistant à mettre la main sur la liste des “signataires d’un tract”. Efforts inutilement gaspillés visant à enfoncer une porte ouverte. En effet la lettre ouverte adressée au Président du Rwanda a été postée le 03 août 2019. LA grande découverte fut quant à elle publiée trois jours plus tard, à savoir le 6 août 2019.

Publiée où ?  Dans la revue Science ou Nature ? Que nenni. Elle fut d’abord affichée sur le blog “Umuvugizi” du pseudo l’auteur-chercheur sous le titre “Imyaka 25 yo kwibohora igwingira ry’imyumvire mu Rwanda (igice cya 9)“. Le lendemain, ce fut le tour d’IGIHE d’annoncer en grandes pompes la même découverte sous le titre “Ibyo wamenya kuri ‘tract’ y’abapfobya Jenoside banditse bibasira Dr. Bizimana wa CNLG.”

L’auteur-chercheur n’aura donc aucune honte ni scrupule de réclamer un brevet pour sa grande découverte. N’aura-il pas ainsi réinventé la roue, et pas n’importe quelle roue, la sienne étant une roue carrée ?

La seconde grande découverte de l’auteur-chercheur et journaliste d’investigation consiste à avoir réussi à obtenir la copie une lettre ouverte adressée au Président de la République. Le génie du chercheur est d’avoir fait l’exploit de mettre son nez sur le forum ibuka-l qui compte 502 membres et d’y piquer une lettre exclusivement ouverte. Un secret bien gardé par plus de 500 personnes, en voilà un bien cadenassé mais quand même percé par notre chercheur. Un secret de Polichinelle, c’est l’évidence même, mais notre chercheur croit avoir fait une grande découverte digne d’un second Prix Nobel ! Génial non ?

On se retrouve ainsi donc devant une double découverte méritant deux prix Nobel, pas juste un, mettant l’auteur au même niveau que Marie Curie, jusque-là la seule détentrice de deux Prix Nobel, l’un en Physique et l’autre en Chimie.

Plus sérieusement, ça prend un schizophrène pour accuser les rescapés de négationnisme du même génocide. Omettre de parler des tweets à l’origine de la lettre ouverte au Président relève, non de la mauvaise foi, mais de son absence tout court. Son pamphlet accusant les rescapés de nier génocide dont ils ont été victimes ne vient-il pas au secours de ces tweets classant les Tutsi qui étaient au Rwanda d’avoir été dans le même lit que Habyarimana ? D’être des collabos, voire même des génocidaires?

Ne sont-ce pas les mêmes tweets qui créaient, parmi les Tutsi qui vivaient au Rwanda pré-génocide, des classes de faux et de vrais rescapés et, par le même biais, ceux tués durant le génocide, de fausses victimes ? Le pamphlet au secours de tels tweets ne pouvait que les omettre, soi-disant pour manque de temps ! Mgr Alexis Kagame qualifierait un tel brûlot de “pamphlet boomerang !”

Sa rédaction, pire qu’une perte de temps, ajoute l’insulte à l’injure. Au lieu de redresser le tir ou corriger les erreurs, l’avocat et le chercheur spécialisé sur le génocide qui avaient déjà atteints le fond du baril, au lieu de rebondir, ils creusent et s’enfoncent.

Justice à géométrie variable

Adeline Rwigara, mère de sa fille et épouse de son défunt mari aura passé près de deux ans sous les verrous.

Accusée de quoi ? De négationnisme et de propagation de l’idéologie du génocide.

Sous quelle loi ? Elle était accusée de violer la LOI Nº 84/2013 du 11/09/2013 relative au crime d’idéologie du génocide et autres infractions connexes. Elle sera enfin acquittée de toutes les charges puisque les délits incriminés avaient été communiqués en privé, pas en public.

Et ensuite? Les tweets qui ont estomaqué les survivants -pas les faux survivants, sapristi- ainsi que les accusations de l’ « auteur-chercheur » tombent sous la même loi et sont publiques, contrairement aux échanges entre Adeline et sa sœur.

Mais cette fois, le Ministère Public Rwandais semble être en léthargie, sinon en congé, pour ne pas dire avoir les mains liées. L’impunité ne fera-t-elle pas, tacitement, jurisprudence ? Si nos deux intellectuels – l‘avocat et le chercheur- n’ont pas été poursuivis, pourquoi le serais-je ? Mais l’attitude inverse créerait plutôt l’effet inverse. Si les deux ont été punis, pourquoi pas moi ?

Que reste-t-il de la LOI Nº 84/2013 du 11/09/2013 relative au crime d’idéologie du génocide et autres infractions connexes ? Dans son article 11 qui incrimine la violence contre un rescapé du génocide stipule que la violence contre un rescapé du génocide est un comportement ou tout acte intentionnel qui consiste à harceler une personne, l’intimider, la déshumaniser, la ridiculiser, se vanter à ses dépens, la railler, l’insulter… au seul motif qu’elle est rescapée du génocide.

La même loi précise que “Lorsqu’elle est reconnue coupable de l’un des actes prévus à l’alinéa premier du présent article, elle est passible d’un emprisonnement d’au moins cinq (5) ans mais n’excédant pas sept (7) ans et d’une amende d’au moins cinq cent mille francs rwandais (500.000 FRW) mais n’excédant pas un million de francs rwandais (1.000.000 FRW).”

En attendant que le Ministère Public sort de son mutisme et de se saisir de l’affaire, nous sommes en droit de se poser cette question : Que reste-t-il des dispositifs de la loi ci-haut citée, plus précisément de son article 11 qui incrimine la violence contre un rescapé du génocide ? Poser une question, c’est y répondre. La non application de cet arsenal législatif dans l’affaire qui nous intéresse hypothèque notre système de justice et en fait une justice à géométrie variable.

La mémoire du génocide hypothéquée

Imaginons ce scénario catastrophe : Lorsque les rescapés du génocide ne nous sentirons plus à l’aise d’exprimer nos inquiétudes ou de donner notre opinion sur les affaires qui nous concerne au premier chef par peur d’être taxés de faux survivants et de collabos, que restera-t-il de la mémoire du génocide ?

Lorsque les rescapés du génocide ne pourrons plus raconter notre histoire parce que traités de collabos, de négationnistes et de faux survivants, que restera-t-il de la mémoire du génocide?

La réponse est que, les gardiens de la mémoire écartés du processus, il ne restera que les chercheurs pour témoigner du génocide. Avec des chercheurs sur le génocide comme Tom Ndahiro, sans qualification, sans éthique ni scrupule, bonne chance. Le tour sera joué.

A qui profite le crime ?

Aujourd’hui plus qu’hier et, -pessimistement- moins demain, les génocidaires et leurs amis négationnistes dorment heureux plus que jamais, sur leurs deux oreilles. Si un Juif était traité de collabo, l’offensant verrait le ciel lui tomber dessus. Mais si l’offensant était un Juif qui traiterait un autre Juif de collabo, les Nazis dormiraient le cœur très tranquille.

Les négationnistes-pas ceux de l’avocat et du chercheur-grouillent à l’extérieur du Rwanda. Au Canada et en Europe, ils nous gardent en alerte. Mais comment allons-nous encore nous battre contre eux du moment que certains d’entre nous sont eux-mêmes traités de négationnistes, de collabos et de faux rescapés ? Juste parce qu’ils ont fait leur devoir de citoyen, à savoir d’alerter la plus haute autorité du Rwanda des dérapages en cours sous les cieux placés sous sa gouverne ? Aurons-nous toute la marge de manœuvre et toute la confiance de militer côte à côte avec nos autres concitoyens, sachant qu’ils nous croient plutôt du côté des négationnistes ?

Et si d’autres rescapés, ici à Ottawa comme dans d’autres villes du monde, signataires de la lettre ouverte ou non, se sentent aussi visés par cette attaque ad hominem et restent chez eux ? Qui va alors militer contre le négationnisme? L’art de se tirer au pied, c’est quoi encore ?

Conclusion

Les brûlots de Tom et les tweets de Gatete sont la démonstration que “Négationnisme et cyber haine se déploient à visage découvert ; l’un et l’autre posent la question de la considération accordée aux rescapés et humilient une seconde fois les dix mille personnes mises à mort, chaque jour, au printemps 1994.

Le présent article en appel pour un réveil des consciences qui nous évitera que la cause du génocide soit mis au niveau du plancher des vaches. A l’heure qu’il est, la banalisation du génocide est en train de devenir un terrain de prédilection pour ceux qui font de la politique de bas étages, qu’ils soient anti ou pro-régime. De ce constat on ne peut plus amère et pessimiste, et ce en attendant le réveil de nos consciences, concluons sur cette question-titre : Quo Vadis Rwanda, Où vas-tu, Rwanda? Ends

Click to download the PDF version of the article Quo Vadis Rwanda-Philibert Muzima 8.8.2019

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About the Author: 

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Philibert Muzima is the author of ” Imbibé de leur sang, gravé de leurs noms“, one of the best memoirs written by a survivor of the 1994 genocide against the Tutsi in Rwanda. The book was published in 2014 by Izuba Edition, Paris, France.  Click here to order a copy.

2 COMMENTS

  1. Qui peut nier le génocide rwandais sans être malade mental? J’ai été au Rwanda comme étudiant et président de la communauté zairoise estudiantine. La première vague de génocide à commencé en février 1990. Beaucoup des tutsi avaient deja été tués dans un silence qui n’honorent pas la communauté internationale. Le génocide rwandais est une honte que d’autres hontes ne feront pas oublier. PLACIDE KAHENGA

  2.  » La première vague de génocide à commencé en février 1990″ dit Placide Kahenga.
    Le Rwanda dans lequel il séjournait en tant qu’étudiant congolais à l’époque qu’il précise n’a jamais existé. Il est purement imaginaire.
     » La première vague de génocide à commencé en février 1990. Beaucoup des tutsi avaient deja été tués dans un silence qui n’honorent pas la communauté internationale. » dit-il.
    En février 1990:
    Question:
    Où c’est-à-dire dans quels préfecture, commune, secteur et cellule?
    Il prétend qu’il était étudiant congolais au Rwanda. Je subodore qu’il était dans une des universités rwandaises.
    Question:
    Laquelle, depuis quand, en quelle année et en quelle filière? Où logeait-il?
    A l’époque évoquée par lui, les universités rwandaises étaient globalement de bonne qualité. Elles formait donc les universitaires.
    Selon Kahanga placide le génocide dit des Tutsi a commencé avant février 1990.
    Nul ne peut prétendre mieux connaître le problème des Batutsi rwandais que ceux-ci.
    A ce jour, aucun Rwandais Tutsi n’a jamais soutenu que le génocide des Batutsi a commencé avant février 1990. Il en est de même des étrangers sauf Kahenga.
    Ce dernier reproduit moutonnement le mot « génocide » sans préalablement se donner la peine de se documenter ne serait ce que pour lire sa définition telle qu’elle est donnée par notre code pénal actuel et le droit international. Question: qu’-a-t-il a appris dans l’université rwandaise? S’il lit The Rwandan.com, il peut répondre à ces questions que je lui pose. Les dires de Kahenga ne méritent pas de commentaire car ils manquent de substance c’est-à-dire n’apporte rien aux lecteurs de The Rwandan. On ne commente pas des assertions émotionnelles.

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