PDP-IMANZI et RDI-RWANDA RWIZA:une dénonciation de l'injustice au Rwanda

Monsieur le Ministre de la Justice

KIGALI

C/O Ambassade du Rwanda

BRUXELLES

 

Objet : Demande d’intervention pour mettre fin à un déni de justice flagrant.

Monsieur le Ministre,

Par la présente, les partis politiques PDP-IMANZI et RDI-RWANDA RWIZA ont l’honneur et l’obligation de demander à votre haute autorité de bien vouloir intervenir auprès des instances judiciaires compétentes, afin qu’elles mettent fin à un déni de justice flagrant et prolongé dont restent victimes les personnes condamnées par les tribunaux Gacaca qui attendent la révision de leurs procès.

Monsieur le Ministre, au Rwanda comme dans tout autre Etat de droit au monde, d’après le principe de la non-rétroactivité de la loi, une norme juridique nouvelle ne peut remettre en cause les situations anciennes nées de l’application de la règle antérieure[1]. Les actes de procédure accomplis sous l’emprise de la loi ancienne restent valables.

Nous nous inquiétons du sort des demandes de révision des procès tranchés par les juridictions Gacaca qui ont été introduites en application des dispositions de la loi-organique n° 16/2004 du 19/06/2004, avant qu’elle ne soit abrogée par la loi organique n° 04/2012/OL du 15/06/2012. Du temps des juridictions Gacaca, ces affaires pendantes n’ont pas été jugées et après la suppression de ces juridictions, la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (C.N.L.G) ne veut toujours pas les disponibiliser pour  qu’elles soient jugées.

Dans le respect du principe ci-haut énoncé, la loi-organique n° 04/2012 du 15/06/2012 portant suppression des juridictions Gacaca et fixant les mécanismes de résolution des litiges qui étaient de leur compétence, dispose en son article 22, alinéa 2 que « Cependant, sans préjudice des dispositions 8,9,et 10 de la présente loi-organique, les jugements rendus par les Juridictions Gacaca conformément à la loi-organique visée dans le paragraphe premier du présent article restent en vigueur ».

La loi-organique n° 04/2012/OL comme loi nouvelle de procédure est en principe immédiatement appliquée, dès son entrée en vigueur, aux litiges de révision hérités des juridictions Gacaca. Cette idée a été expressément reprise à l’alinéa 2 de l’article premier de la loi organique nouvelle susmentionnée qui dispose : «  Elle détermine également les mécanismes de résolution des litiges pendants qui relevaient de leur compétence et ceux qui pourraient survenir après ».

La suppression de la loi-organique n° 06/2004 sans que les procès tranchés par les juridictions Gacaca n’aient été révisés alors que les demandes de leur révision étaient enregistrées conformément aux articles 85 et 93 de la loi-organique no16/2004, a fait que ces demandes constituent des litiges directement pendantes devant les juridictions compétentes au regard de la loi-organique n° 04/2012/OL, laquelle s’y applique automatiquement.

Notre indignation face au déni de justice dont été et restent victimes ceux qui attendent la révision de ces procès se fonde sur plusieurs raisons dont nous aimerions citer quelques unes sans toutefois prétendre être exhaustifs :

–          Il y a déjà onze mois, les juridictions ordinaires ont succédé aux juridictions Gacaca mais au moment où nous vous écrivons, aucun procès n’a été révisé alors qu’il y a de nombreuses demandes en ce sens qui datent du temps des juridictions Gacaca. Pour édifier l’Etat de droit, la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide qui, aux termes de l’article 19 de la loi-organique n° 04/2012/OL du 15/06/2012 a bénéficié du transfert des documents, audio, vidéos et autres moyens  utilisés pendant des audiences des juridictions Gacaca devait immédiatement mettre à la disposition des tribunaux compétents les dossiers contenant des demandes de révision. Or, non seulement la C.N.L.G n’a pas mis ces dossiers à la disposition des juges de son initiative mais plus grave encore, elle s’obstine sciemment à ne pas fournir les copies desdits dossiers aux juridictions qui en font la demande sur l’ordre des tribunaux. Par ailleurs, la C.N.L.G. devrait prévoir des mécanismes permettant à toute personne et/ou organisme intéressé, l’accès à ces dossiers jugés.

A ce niveau, les questions qui surgissent sont nombreuses :

–          Comment a-t-on transféré les dossiers qui attendent le jugement à une Commission (C.N.L.G.) alors que la même loi-organique qui les confie à la C.N.L.G a prévu les juridictions compétentes pour les juger ? A notre humble avis, on aurait dû les remettre aux tribunaux et ainsi éviter les tractations fastidieuses et coûteuses que sont obligés de faire les personnes jugées par les juridictions Gacaca qui attendent la justice . Malheureusement encore, les efforts en vue d’obtenir ces dossiers auprès de la C.N.L.G ont toujours été couronnés d’échec.

–          Pourquoi l’obtention du dossier doit-elle incomber aux justiciables alors que l’article 164, alinéa 4 de la loi no.21/2012 du 14/06/2012 portant code de procédure civile, commerciale, sociale et administrative qui est aussi applicable en cette matière en l’absence de disposition contraire dispose que « Lorsque l’appel a été formé devant la juridiction d’appel, le greffier de ladite juridiction en avise immédiatement la juridiction inférieure et lui demande de transmettre le dossier complet ».

Nous considérons que cette même procédure devait être observée entre les greffiers des juridictions compétentes et la C.N.L.G. au lieu de demander aux justiciables de fournir les dossiers dont ils n’ont souvent aucune pièce.

La confiscation des fiches du prononcé et d’autres documents relatifs au déroulement des procès, a été l’un des problèmes majeurs que les prisonniers de Mpanga ont exposé à l’honorable Sénateur Bizimana Jean Damascène  quand la commission qu’il préside visitait la prison de Mpanga en 2012.

Malgré les recommandations faites par le Sénat et la chambre des Députés aux juridictions Gacaca avant leur suppression, rien n’a été fait pour y remédier.  Qu’on arrive maintenant à exiger des détenus qu’ils trouvent eux-mêmes les documents relatifs à leurs procès alors que le Tribunal Gacaca et le service national des juridictions Gacaca (S.N.J.G.) leur ont refusé catégoriquement de se procurer les copies desdits dossiers ; c’est un soutien indéniable au déni de justice dont sont victimes ces détenus de la part des autorités judicaires que nous tenons à dénoncer. Ces documents qui font toujours défaut aux justiciables se trouvent entre les mains de la C.N.L.G et n’étaient pas exigés pour la demande de révision lors de l’application de la loi ancienne.

Les conditions pour l’obtention de la révision d’un procès tranché par les juridictions Gacaca prévues par l’article 10 de la loi-organique n° 04/2012/OL sont indiquées pour les litiges à naitre en application de cette même loi-organique et non pour les litiges nés du temps de la loi-organique n° 16/2004 du 19/06/2004 abrogée. Il serait erroné d’exiger qu’il y ait des demandes de révision nouvelles en se conformant à la loi-organique n° 04/2012/OL du 15/06/2012 alors que pendant la conduite des procès dans les juridictions Gacaca, celle-ci n’avait pas encore été mise sur pied. On ne pèche pas contre une loi qui n’a pas encore été votée et promulguée en bonne et due forme, on pèche contre une loi applicable au moment de l’acte.

La régularité d’une procédure (délais, formalités, mode de preuve) s’apprécie au regard de la loi en vigueur au jour où cette procédure s’est placée[2].

Le fondement juridique des demandes de révision est à examiner au regard de la loi-organique no.16/2004 qui était applicable dans les juridictions Gacaca et non au regard des conditions prévues par la loi-organique n° 04/2012/OL du 15/05/2012.

Les demandes de révision valablement introduites avant la suppression des juridictions Gacaca font que la révision pour ces procès, constitue un droit acquis sous l’emprise de la loi ancienne dont l’exercice, pour la suite de la procédure, se fera conformément aux dispositions de la loi-organique n° 04/2012/OL. Ceci concerne exclusivement la compétence des juridictions.

La doctrine en cette matière prévoit : « Il y a survie de la loi ancienne lorsqu’il est déjà intervenu, dans une affaire, un jugement sur le fond. On estime qu’alors le procès est trop avancé pour qu’on puisse modifier les règles de son examen. La loi ancienne continuera donc de régir l’exercice des voies de recours »[3].

Monsieur le Ministre, à la lumière des arguments ci-haut avancés et des observations faites par les défenseurs des droits de l’homme qui vous sont parvenues sur les abus commis par les juridictions Gacaca, nous vous demandons de bien vouloir intervenir auprès de la C.N.L.G et des juridictions qui ont succédé aux juridictions Gacaca afin de mettre un terme au déni de justice infligé aux condamnés de ces dernières.

Nous tenons à vous rappeler que la justice retardée équivaut à un refus de justice (Justice delayed is justice denied). Il serait en effet aberrant que dans un Etat de droit, l’on soit condamné à des peines trop sévères sans pour autant disposer de son dossier.

Il ne serait pas tolérable de permettre à la C.N.L.G et aux juridictions de pérenniser la situation injuste qu’a parrainée le S.N.J.G à travers le bricolage juridique dont il s’est rendu auteur.

Il n’est pas sans intérêt de souligner ici que dans un Etat de droit, le principe de la bonne administration de la justice interdit de résoudre un problème juridictionnel par voie administrative. Cette erreur a été commise par le S.N.J.G. en réservant une «  lettre formulaire de refus » à toute demande de révision des procès tranchés par les juridictions Gacaca. Cette lettre formulaire n’est opposable à personne pour faire obstacle à des demandes de révision introduites valablement avant l’entrée en vigueur de la loi-organique n° 04/2012/OL.

La nullité dont est entaché cet acte n’est secret pour personne. Non seulement le S.N.J.G en tant qu’organe exécutif n’était pas compétent pour examiner les demandes de révision, mais aussi par sa lettre de refus , il s’est permis également de violer le principe constitutionnel consacrant l’indépendance du pouvoir judiciaire et sa séparation du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.

Monsieur le Ministre, le retard excessif qu’a connu et continue de connaitre la révision des procès tranchés par les juridictions Gacaca ainsi que le souci exprimé par les prisonniers de Mpanga dans leurs lettres adressées conjointement au Sénat et à la chambre des Députés respectivement en date du 03/10/2012 et du 31/10/2012, nous obligent de recourir à votre compétence pour que vous interveniez personnellement.

Nous demanderions également aux chefs des Etats, aux organismes internationaux, aux institutions de défense des droits de l’homme et aux autres institutions auxquelles la copie de la présente est réservée, de bien vouloir appuyer la présente démarche et plaider auprès des instances habilitées, la cause des détenus injustement condamnés qui attendent la révision de leur procès.

Dans l’espoir d’une suite appropriée aux préoccupations ici exprimées, nous vous prions, d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre respectueuse considération.

Bruxelles, le 13 mai 2013

 

Faustin Twagiramungu                                                                     Gérard Karangwa Semushi

Président de la RDI-RWANDA RWIZA                                        Vice-Président du PDP-IMANZI

 

Copie pour information à :

–          Président de la République du Rwanda

–          Président du Sénat

–          Président de la chambre des Députés

–          Le Premier Ministre du Rwanda

–          Société civile du Rwanda

–          Gouvernements partenaires du Rwanda (dont ceux qui financent les projets sur la Justice)

–          ONU

–          ONG : HRW, AI, ASF, FIDH, CICR, Amnesty International et autres,

 

 


[1] R.GUILLIEN et J. VINCENT, lexique de termes juridiques, 8è éd., Dalloz, 1990, p.337

 

[2] J.C., Soyer, Droit pénal et procédure pénale, 8è éd., L.G.D.J.

[3] Ibid., p. 71