POSITION DU PARTI RDI-RWANDA RWIZA SUR LES TENTATIVES DE RÉVISION DE LA CONSTITUTION ET SUR LA PROBLÉMATIQUE DES ÉLECTIONS AU RWANDA

1. Introduction:

Depuis sa création en août 2010, le parti RDI-Rwanda Rwiza n’a cessé d’alerter les Rwandais et la Communauté internationale sur la gravité de la crise rwandaise et la nécessité d’y apporter de toute urgence une solution politique concertée. De façon particulière, nous avons régulièrement dénoncé et condamné le caractère dictatorial et criminel du régime en place au Rwanda depuis que le Général Kagame et son parti, le Front Patriotique Rwandais (FPR), ont pris le pouvoir par les armes en juillet 1994. Nous nous sommes aussi élevés contre l’impunité dont jouissent le Président Kagame et sa clique, alors qu’ils sont mis en cause dans des crimes abominables dont l’assassinat des Présidents Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira en avril 1994 et les massacres commis en République Démocratique du Congo (RDC) en 1996-1998, à l’encontre des réfugiés rwandais hutu et des populations civiles congolaises. Le parti RDI a également mis l’accent sur d’autres sujets de préoccupation, dont le changement politique attendu au Rwanda en vue du rapatriement volontaire des réfugiés rwandais qui se comptent encore par centaines de milliers en RDC et dans d’autres pays d’Afrique et d’ailleurs.

Bien que de nombreuses voix s’élevent de partout pour réclamer ce changement, le Président Kagame, fidèle à son arrogance légendaire, continue de les ignorer, poursuivant sa logique implacable de confiscation du pouvoir, au mépris des usages démocratiques universels et des dispositions pertinentes de la Constitution rwandaise. Face aux aspirations d’une majorité de Rwandais réclamant un nouveau régime, l’attitude on ne peut plus hautaine du Président Kagame et de sa clique rappelle étrangement celle des dirigeants monarchiques tutsi en 1957, qui opposèrent une fin de non recevoir aux revendications des leaders hutu ayant conduit à la Révolution sociopolitique de 1959 et à l’instauration de la République en 1961.

Aux yeux des observateurs avertis, la volonté du Président Kagame de s’éterniser au pouvoir ne fait aucun doute. A plusieurs reprises, il l’a exprimée implicitement dans des prises de parole publiques, soulignant qu’en aucun cas il ne pourra accepter que le Rwanda soit gouverné comme avant 1994, tout en ajoutant que, s’il le fallait, il reprendrait « le chemin du maquis », sous-entendant une reconquête du pouvoir par la force, au cas où il l’aurait perdu.

La confiscation du pouvoir est devenue chez le Président Kagame une véritable obsession. Lors de l’élection présidentielle de 2003, surpris par la victoire du candidat indépendant qui avait osé l’affronter, le Général-Président a dû recourir à une fraude grossière pour se déclarer vainqueur avec un score stalinien de 97%. En 2010, échaudé par sa défaite dans les urnes de 2003, le Président Kagame n’a pas osé prendre le risque d’une candidature concurrente. C’est ainsi qu’il a jeté en prison Madame Ingabire Victoire, Présidente des Forces Démocratiques Unifiées (FDU-Inkingi) qui était rentrée au Rwanda pour participer à l’élection présidentielle.
A l’approche de l’échéance de 2017, la nervosité du Président Kagame est de plus en plus visible. Alors que la Constitution lui interdit formellement un nouveau mandat, il a entrepris des manoeuvres visant à contourner cet obstacle majeur, invoquant une prétendue volonté du peuple selon laquelle la Constitution doit faire l’objet d’une révision pour autoriser au Président de la République un nombre illimité de mandats.

Le parti RDI voudrait unir sa voix à toutes celles qui s’expriment pour condamner les manoeuvres du FPR-Kagame visant à priver le peuple rwandais du libre choix de ses dirigeants. C’est l’objet du présent document, qui reflète les vues du parti sur les tentatives de révision de la Constitution rwandaise et sur la problématique des élections au Rwanda. S’agissant précisément de l’élection présidentielle prévue en 2017 et de toutre autre consultation électorale, nous subordonnons la participation de notre parti à la mise en place, au Rwanda, des conditions d’un scrutin libre, honnête et transparent, de préférence dans le cadre d’une transition démocratique gérée conjointement par l’ensemble des forces politiques du pays.

2. Considérations juridiques

2.1. De l’intangibilité de l’article 101 de la Constitution rwandaise

Il importe de souligner, d’emblée, que la limite des mandats du Président de la République est immuable. En effet, la Constitution en vigueur, dans son article 101, est absolument claire : « En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels » . Qui plus est, cette disposition s’est vu assigner par le constituant une intangibilité indiscutable, la mettant à l’abri d’une éventuelle révision constitutionnelle : selon la même disposition, aucune circonstance ne peut justifier l’extension du nombre des mandats du Président de la République.

Or, prétextant que la volonté populaire est au-dessus des lois, le FPR manipule sans scrupule certains individus qui, soi-disant s’exprimant au nom du peuple, demandent un nième mandat pour le Président Kagame. Cette manoeuvre a pour but de faire croire à l’opinion internationale que la révision constitutionnelle serait voulue par le peuple, et non par le Président lui-même.

Ces manipulations ne résistent pas à l’argumentation juridique. En effet, le FPR semble oublier que la Constitution ne reconnait au peuple rwandais aucune initiative de la révision constitutionnelle. En plus, la volonté du peuple, expression de l’intérêt général, n’a aucune prérogative quant à la révision de l’article 101 alinéa 2 de la Constitution car, en aucun cas, elle ne peut être prise en considération. Bref, l’article 101 alinéa 2 prévoit une interdiction absolue pour un Président de la République d’exercer plus de deux mandats.

Les faiseurs d’opinion du FPR ne s’embarrassent pas de ce « verrou constitutionnel » qu’est l’article 101 qu’il tentent de contourner par une interprétation abusive de l’article 193 de la Constitution. Selon eux, l’article 193 prévoit le référendum pour réviser l’article 101, ouvrant ainsi au Président Kagame la possibilité de se présenter encore aux prochaines élections présidentielles. Or, l’article 193 est clair à ce sujet : il ne permet, via le référendum, que la révision du mandat du Président, par exemple quant à sa durée, et non le nombre limite de mandats qui est impérativement fixé à 2.

2.2. Les Accords d’Arusha : une référence fort utile

Plutôt que de chercher à s’accrocher au pouvoir en violation de la loi fondamentale du pays et des usages démocratiques universels, le président Kagame ferait mieux de s’inspirer, sinon de la lettre, du moins de l’esprit des Accords de paix d’Arusha d’août 1993. En effet, ceux-ci prévoyaient l’instauration au Rwanda d’un Etat de droit où personne ne peut se placer au-dessus de la loi et où la constitution assigne au Chef de l’Etat la tâche d’être son gardien . Sinon, la violation de la constitution par son gardien lui-même serait prise pour un coup d’Etat constitutionnel que ces mêmes accords s’étaient résolus à combattre .

Si, à sa prise du pouvoir en juillet 1994, le FPR avait mis en application les Accords de paix d’Arusha, le pays aurait pu éviter une dérive totalitaire et bien d’autres maux qui ne cessent de miner la gouvernance et la vie nationale rwandaise. Parmi ces deniers, on peut citer, non seulement ladite tentative du Président Kagame de se maintenir indéfiniment au pouvoir, mais aussi son déni du caractère universel des principes démocratiques, si l’on en juge par son discours du 30 juin 2013. D’après ses dires, le Rwanda aurait son propre système démocratique, où des standards universels tels que l’espace politique, la liberté d’expression et d’autres droits fondamentaux ne seraient pas forcément applicables !

En tout état de cause, le Parti RDI, en association avec d’autres forces intéressées, notamment dans le cadre de la Coalition des Partis politiques rwandais pour le Changement (CPC) combattra énergiquement et sans réserve, toute manoeuvre de quelque nature que ce soit, tendant à conforter la démarche de confiscation du pouvoir par le Président Kagame à son profit ou en faveur de qui que ce soit d’autre.

3. Contexte politique national

3.1. Des leçons à tirer de l’histoire politique du Rwanda

En date du 24 mars 1957, une « Note sur l’aspect social du problème racial indigène au Rwanda » communément appelée « Manifeste des Bahutu » fut adressée au Gouverneur du Rwanda-Urundi et au Mwami Mutara III Rudahigwa. Par cet écrit devenu historique, les neuf signataires attendaient des destinataires qu’ils veuillent bien tenir compte de l’urgence des problèmes soulevés, afin que, pour la première fois au Rwanda, il y ait un changement politique pacifique.

Au lieu de considérer sérieusement les doléances exposées dans ladite note, un groupe de chefs tutsi extrémistes les déclara nulles et non avenues, et manifesta publiquement sa vive opposition sur fond d’idéologie raciste dans la fameuse « lettre des grands serviteurs de la cour » du 17 mai 1958. Dans cette lettre, il était clairement stipulé que les Bahutu n’ont aucune raison de réclamer aux Batutsi le partage du patrimoine commun, dans la mesure où les relations entre les deux groupes sont basées, non pas sur des liens de fraternité, mais plutôt sur des liens de servage. Contrairement aux mensonges véhiculés par la propagande du FPR, ce sont ces extrémistes tutsi qui donnèrent une tournure violente à la marche du Rwanda vers la démocratie et la république. Ainsi, les événements qui ont endeuillé le pays en 1959 lorsqu’une partie de la population a été massacrée et une autre condamnée à l’exil, tirent leur origine dans ce refus de la transition pacifique réclamée depuis mars 1957.

De même, durant les périodes qui ont suivi, chaque fois qu’un régime s’essoufflait, il y avait tout le temps une demande d’une partie de la population pour qu’il y ait une alternance pacifique et chaque fois un groupe de réticents proche du pouvoir s’y opposait. A deux reprises, précisément en 1973 et en surtout en 1994, la situation du pays a viré en drames, lorsqu’une clique assoiffée de pouvoir l’a pris par la force.

L’alternance dans la violence semble donc être devenue la règle générale dans la vie politique rwandaise. Un vieil adage rwandais ne stipule-t-il pas que « la main qui détient le pouvoir ne le lâche que si elle est coupée » ?
Quoi que discutable, une certaine opinion justifie le coup d’état militaire du 05 juillet 1973 contre le Président Kayibanda par la révision de la Constitution de mai 1973, qui lui ouvrait la voie à d’autres mandats. Son renversement par la force interviendra avant même qu’il promulgue la nouvelle Constitution. Il fut incarcéré avec une grande partie de ceux qui étaient en responsabilités avec lui et la plupart d’entre eux seront assassinés en prison dans des circonstances obscures au cours des années qui ont suivi leur arrestation. Le Président Kayibanda disparut lui aussi dans le plus grand secret en 1976, à son domicile où il était retenu prisonnier. Ses tombeurs mettront tout en oeuvre pour faire oublier son leadership historique et ses actions héroïques, concernant notamment l’émancipation du menu peuple, ainsi que l’abolition de la monarchie et son remplacement par un régime démocratique républicain.

Quant au régime du Président Habyarimana, sa fin fut marquée par une extrême violence sans précédent. La Constitution ne limitait pas le nombre de mandats présidentiels, mais, environ après 20 ans de pouvoir sans partage, une partie de la population commença à réclamer une alternance politique au MRND, parti unique qu’avait fondé le Président Habyarimana en 1975. La guerre déclenchée par le FPR en octobre 1990 en provenance de l’Ouganda, vint compliquer la donne, en affaiblissant politiquement le Chef de l’Etat, amplifiant ainsi la soif du changement à l’intérieur du pays. Il se forma autour du Président un bloc qui l’encourageait à ne céder aucune parcelle de pouvoir, pendant qu’un autre bloc rassemblait les forces de changement désireuses d’un véritable partage du pouvoir qu’elles réussirent à intégrer dans les Accords de Paix d’Arusha.

Bien que partie à ces Accords, le FPR fera de tout son possible pour bloquer leur mise en application, en vertu d’un agenda caché qui visait la prise du pouvoir et tout le pouvoir. L’assassinat du Président Habyarimana le 06 avril 1994 plongea le pays dans un chaos apocalyptique marqué par des millions de morts, un génocide et des millions d’exilés.

En ce qui concerne le régime actuel, force est de constater que le Président Kagame est en train de conduire le pays vers une nouvelle catastrophe. En 2017, il va terminer son deuxième et dernier mandat que lui autorise la Constitution de 2003. Cependant, un groupe de ses proches le persuade déjà de garder le pouvoir, soi-disant que personne d’autre ne peut diriger le pays, faisant fi du risque de violences que peut entraîner une telle tentative de s’accrocher au pouvoir.

Il ne fait point de doute que l’amendement de la Constitution en vue de permettre au Président Kagame d’exercer d’autres mandats, va créer une division profonde dans la population, voire même au sein de sa famille politique. Une fois Kagame déclaré éligible à vie, l’espoir de résoudre pacifiquement les problèmes politiques du Rwanda va s’estomper. Deux camps vont se constituer, qui finiront par s’affronter. Il y a donc un gros risque que le pays bascule à nouveau dans une horreur comparable à celle vécue en 1994.

3.2. Le développement économique du Rwanda : l’apport du Président Kagame exagéré !

Parmi les arguments avancés par la clique au pouvoir pour justifier leur souhait du maintien du Général Kagame à la tête du pays au-delà de 2017, figure son bilan économique que d’aucuns trouvent exceptionnellement glorieux alors qu’il n’en est rien.

En vérité, depuis sa prise du pouvoir en juillet 1994, le FPR ne s’est pas du tout préoccupé des conditions de vie de la grande majorité de la population habitant le milieu rural. Des rwandaises et des rwandais sont morts par dizaines de milliers par manque de nourriture, d’eau potable, de médicaments et de soins de santé primaires. Pendant ce temps, les dignitaires du régime s’enrichissaient scandaleusement, par le butin de guerre amassé au Rwanda et au Congo, par la spoliation du patrimoine de l’Etat et de certains particuliers, ainsi que par le détournement des deniers publics et de l’aide internationale.

S’agissant particulièrement de l’aide internationale, dans les années 1998 – 2000, le FPR a imposé aux ONGs de remplacer les projets d’urgence par des projets dits de “développement”. Pour cette nouvelle phase, il a fait adopter un système de COGESTION des projets qui a permis aux proches du pouvoir, surtout des militaires, d’avoir une main-mise totale sur les fonds alloués à ces projets. Comme la cogestion est censée se faire de commun accord entre l’Etat et l’ONG intervenante, le régime du FPR s’attribue tous les mérites de ce système, allant jusqu’à revendiquer la paternité de tous les projets exécutés dans le pays, même ceux initiés à l’extérieur, notamment par les Nations Unies et les grosses ONGs. C’est ainsi que les paysans se voient obligés d’adresser publiquement des louanges au Président Kagame pour le « remarquable développement » dont il les fait bénéficier et de réclamer qu’il reste à la tête de l’Etat, alors que n’importe qui d’autre au pouvoir ferait exécuter les mêmes projets ou pourrait même faire mieux.

Même si, à coup de propagande, le régime du FPR a réussi à donner du Rwanda l’image d’un pays « premier réformateur du monde » qui a atteint un bon niveau de développement économique et un taux de croissance très élevé après le génocide de 1994, les observateurs avertis savent que les quelques progrès accomplis sont dénués de justice sociale, dans la mesure où ils ne concernent pratiquement que la seule capitale Kigali. La vérité est que beaucoup reste à faire dans le sens d’une « démocratisation » de l’économie rwandaise, avec pour principal objectif une accélération de la croissance économique doublée d’une juste répartition des ressources et des investissements entre le milieu urbain et le milieu rural, au profit de la masse paysanne qui constitue plus de 90% de la population.

Par ailleurs, tout observateur averti sait que le FPR a verrouillé le système au profit des opérateurs économiques agissant pour le compte du président Kagame et de sa clique, notamment à travers la toute-puissante CRYSTAL VENTURES LTD, une compagnie d’investissements fondée en 2009 par les notables du FPR dont le Président Kagame lui-même et qui jouit d’une clause de préférence dans l’attribution de juteux marchés publics. Il est aussi de notoriété publique que ceux qui tentent de faire preuve d’indépendance dans les affaires, se voient compliquer l’activité par le régime à travers un harcèlement fiscal et d’autres tracasseries administratives qui en découragent un grand nombre, quand ils ne sont pas jetés en prison pour des délits économiques fabriqués de toutes pièces, ou même assassinés purement et simplement, à l’instar de l’homme d’affaires Assinapol Rwigara éliminé à Kigali en date du 4 février 2015.

Il faut aussi souligner que le FPR a hérité en 1994 d’un pays certes dévasté par la guerre, mais disposant d’une infrastructure socio-économique qui comptait parmi les meilleures de la sous-région des Grands Lacs.

L’apport du Président Kagame devrait donc être nuancé, surtout que les routes, les centres de santé, les adductions en eau potable et d’autres infrastructures communautaires dont la pays entier était fier avant 1994, souffrent d’un abandon ou d’un manque d’entretien flagrants.

4. Contexte international

4.1. Position de quelques pays démocratiques occidentaux

Dans les pays à tradition démocratique, la Constitution est sacrée et ne peut être révisée que si des circonstances graves et exceptionnelles l’exigent.

Le parti RDI-Rwanda Rwiza est d’avis que ce principe devrait être respecté partout dans le monde, y compris au Rwanda, puisque la démocratie n’est pas le monopole de l’Occident.

Plutôt que de se réfugier derrière une sorte de « démocratie à la rwandaise » qui n’est rien d’autre qu’une forme raffinée de dictature, le Président Kagame et son régime feraient mieux de s’inspirer des « bons élèves » en matière de démocratie et de suivre les sages conseils émanant des pays et des organismes soucieux du devenir politique du Rwanda.

Dans son discours à Accra en date du 11 juillet 2009, le Président Obama a souligné que la démocratie puissante et durable est façonnée par chaque nation à sa manière, conformément à ses traditions, mais il a ajouté que l’histoire prononce un verdict clair, à savoir : les gouvernements qui respectent la volonté de leur peuple, qui gouvernent par leur consentement et non par la coercition, sont plus prospères, plus stables et plus florissants que ceux qui ne le font pas. Le Président américain a également tenu des propos qui cadrent bien avec le contexte politique rwandais actuel, à savoir : l’histoire est du côté de ces courageux Africains (ceux qui font valoir le principe selon lequel le droit de vote d’un citoyen est sacré) et non dans le camp de ceux qui se servent des coups d’Etat ou modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin des hommes forts mais des institutions fortes.

Déjà en août 2003, à l’issue des élections présidentielles au Rwanda, le communiqué de la Maison Blanche avait souligné que la Démocratie est plus que la tenue des élections, qu’elle reflète la volonté du peuple, là où les voix minoritaires sont écoutées et respectées, là où les candidats de l’opposition participent à la course électorale sans menace ou intimidation, là où la liberté d’expression et de la presse est protégée.

Il convient aussi de mentionner ces quelques extraits du discours de Madame Susan Rice, Ambassadrice des USA auprès des Nations Unies, lors de sa visite officielle au Rwanda du 23 au 27 novembre 2011 :

“Au Rwanda, les avancées économiques doivent aller de pair avec l’ouverture de l’espace politique…
Le Rwanda doit mettre un terme au harcèlement des opposants politiques, afin de permettre au pays d’assurer son développement … La société civile, les journalistes et les opposants politiques ont peur d’organiser des rassemblements pacifiques, de s’exprimer … Certains d’entre eux ont été harcelés, d’autres ont été intimidés. Certains ont tout simplement disparu…
La démocratisation du pays sera le prochain grand chantier de ce grand pays et de ce peuple extraordinaire”.

Malgré leur pertinence évidente, ces propos de Madame Rice ont été mal accueillis par le Président Kagame qui a osé insulter la diplomate américaine, la traitant de « malade mentale », sans toutefois la nommer, et s’en prenant plus globalement à ceux qu’il a qualifiés de « donneurs de leçons de la démocratie ».

A plusieurs reprises, la France a exprimé elle aussi son point de vue sur l’état de la démocratie en Afrique. Plus récemment, lors du XVème Sommet de la Francophonie qui s’est tenu du 29 au 30 novembre 2014 à Dakar et auquel le Rwanda était représenté par la Ministre des Affaires Etrangères, Madame Louise Mushikiwabo, le Président François Hollande a prononcé un discours très instructif, dont voici un extrait :

Là où les règles constitutionnelles sont malmenées , là où la liberté est bafouée, là où l’alternance est empêchée, les citoyens de ces pays sauront toujours trouver dans l’espace francophone le soutien nécessaire pour faire prévaloir la justice, le droit et la démocratie.

A l’ issue de ce Sommet, les Chefs d’Etat et de Gouvernements des Pays ayant le Français en partage ont adopté une déclaration en 48 points dont le quatorzième, qui a particulièrement retenu notre attention, réaffirme notamment la nécessité d’enraciner une culture démocratique, d’asseoir la légitimité des institutions et de créer les conditions d’une vie politique apaisée.

4.2. Position de l’Union Européenne

L’Union Européenne est l’une des organisations internationales qui suivent de près l’évolution de la situation sociopolitique du Rwanda.

Dans une résolution votée en date du 23 mai 2013 par le Parlement européen, cette respectable institution dénonce, entre autres, les dysfonctionnements du système judiciaire rwandais, l’instrumentalisation de la loi de 2008 sur l’idéologie du génocide utilisée à des fins politiques pour museler les critiques à l’égard du gouvernement, ainsi que le déni des libertés et droits fondamentaux qui entraîne l’absence, au Rwanda, d’une opposition politique effective.

Plus récemment, l’Union Européenne s’est exprimée, à travers les conclusions des Ministres des Affaires Etrangères de l’Union en date du 16 mars 2015, sur le contexte pré-électoral au Burundi, pays voisin du Rwanda. Le parti RDI a noté avec intérêt quelques points de ces conclusions pouvant s’appliquer au Rwanda le moment venu, notamment les suivants :

L’UE appelle les autorités à faire des efforts supplémentaires afin d’assurer le caractère inclusif, paisible et transparent du processus électoral. Opposition comme majorité portent des responsabilités à cet égard, mais il incombe aux autorités de garantir l’exercice des droits civils et politiques, des libertés fondamentales, y inclus la liberté d’expression ainsi que l’indépendance de la justice dans le respect des lois et engagements internationaux. L’UE attache une très grande importance à la recherche de la paix, de la démocratie et de la réconciliation au Burundi pour éviter la détérioration de la situation dans ce pays.

4.3. Point de vue des Organisations humanitaires

Les Organisations telles que Human Rights Watch, Amnesty International et La Commission de l’ONU sur les Droits de L’Homme, entre autres, ont publié leurs rapports 2014/2015 sur le monde en général et sur le Rwanda en particulier. Il ressort de ces rapports, en ce qui concerne le Rwanda, que la liberté d’expression et d’association sont soumises à des restrictions abusives. Les Rwandais ne peuvent pas exprimer ouvertement leurs opinions critiques sur des sujets que les autorités considèrent comme sensibles et les défenseurs des droits humains ainsi que les membres de l’opposition politique évoluent toujours dans un climat de répression. A ce sujet, il a été indiqué que des agents de renseignement rwandais (civils ou militaires) ont été mis en cause pour des actes de torture, mais que des enquêtes dont ils faisaient l’objet n’ont jamais abouti.

Bref, toutes ces organisations sont unanimes pour exprimer leurs préoccupations en ce qui concerne le Rwanda actuel au sujet des détentions illégales, des prisonniers politiques ou d’opinion, des procès inéquitables, des assassinats politiques à l’intérieur et l’extérieur du pays, de l’absence de liberté d’expression et d’association, etc. En 2014, par exemple, à l’occasion du 20ème anniversaire du génocide, ces organisations ont reconnu que le Rwanda a accompli des progrès en matière de développement économique et social et ont par ailleurs soulevé l’existence de restrictions très sévères et le manque d’espace politique au Rwanda.

4.4. Des pays africains exemplaires

La démocratie et le respect de la Constitution ne sont pas le monopole de l’Occident. Il convient de saluer certains pays africains tels que le Sénégal, le Ghana, la Tanzanie, le Botswana et l’Afrique du Sud, qui respectent leur Constitution dans l’intérêt supérieur de leur peuple et qui, partant, font figure de « bons élèves ». Le Nigéria vient s’ajouter à cette prestigieuse liste, en raison de l’alternance pacifique que ce grand pays a connu pour la première fois de son histoire, à l’issue de l’élection présidentielle du 28 mars 2015.

Par ailleurs, il est à mentionner la courageuse réaction du peuple au Burkina Faso en octobre 2014 : il a poussé vers la sortie le Président Compaoré lorsque celui-ci a voulu modifier la Constitution pour s’arroger un nouveau mandat, après plus de 28 ans au pouvoir. C’était la première fois qu’un chef d’État était obligé de quitter le pouvoir après avoir tenté de modifier la Constitution. Osons espérer que le cas burkinabé va faire école dans d’autres pays africains où l’on sera tenté de modifier des Constitutions pour permettre à des Chefs d’État qui sont parfois au pouvoir depuis plus de vingt ans de devenir pratiquement des présidents à vie.

Dans cet ordre d’idées et dans le contexte pré-électoral de 2017, nous demandons au Président Kagame et à ses proches d’être assez raisonnables pour ne pas obliger le peuple rwandais d’emprunter le même chemin que les Burkinabé. En clair, le parti RDI préconise le respect scrupuleux de la Constitution, en son article 101, et demande instamment au Chef de l’Etat qui va achever son 2ème et dernier mandat en 2017, de cesser le mensonge grossier selon lequel c’est le peuple rwandais qui réclame pour lui un éventuel 3ème mandat présidentiel.

5. Nécessité d’une transition politique en vue des élections démocratiques

Comme précisé précédemment, les Accords de paix d’Arusha restent une référence utile à laquelle le Rwanda devrait recourir pour régler définitivement le conflit de pouvoir aujourd’hui aggravé par les agissements ant-démocratiques du Président Kagame et de son parti, le FPR.

L’article 5 du protocole d’accord relatif à l’Etat de droit stipule ce qui suit : « Les élections libres, régulières, transparentes et justes sont l’expression de l’exercice de la souveraineté par le peuple ». Or, nous savons tous comment se font les élections au Rwanda. Les éditions 2003 et 2010 de l’élection présidentielle sont suffisamment éloquentes à ce sujet. Cet extrait du rapport des observateurs de la Commonwealth fait état du déroulement des élections au Rwanda en 2010 : “ After the boxes left the polling center, what happened to the boxes and reports is a mystery. The district offices where the final consolidation was to take place was obviously not used for consolidation and it was done elsewhere” .

Pourtant, lors des négociations de paix d’Arusha, le FPR et le gouvernement rwandais étaient tombés d’accord sur le fait que les élections doivent être organisées de manière à en assurer la transparence et éliminer la fraude, grâce à la mise en place de mécanismes efficaces de supervision, y compris le concours d’observateurs internationaux.

En outre, les élections doivent être organisées périodiquement, à des intervalles suffisamment rapprochés pour que l’autorité du gouvernement continue de reposer sur l’expression libre de la volonté du peuple . Ainsi, avoir fixé le mandat du Président de la république à 7 ans au Rwanda viole de façon flagrante ce principe stipulé par le comité des droits de l’homme de l’ONU. Fort curieusement, le Général Kagame ne trouve pas suffisants ses deux mandats qui équivalent à plus de trois mandats sous d’autres cieux. Tout se passe comme si sa volonté est de rester Président à vie, ce qui est évidemment inacceptable.

Précisons aussi, au titre des caractéristiques d’une élection démocratique, que le droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association est une condition essentielle à l’exercice effectif du droit de vote, qui doit être pleinement protégé . Or, Ingabire Victoire, Ntaganda Bernard, Déo Mushayidi, Agnès Uwimana et d’autres leaders politiques et d’opinion, ont été emprisonnés parce qu’ils avaient osé exprimer leur opposition au régime du FPR. Pourtant, les accords de paix d’Arusha, que le même FPR a signés, considèrent comme légitimes les aspirations de tout rwandais à accéder au pouvoir par voie démocratique .

Les considérations précédentes prouvent à suffisance qu’aucune élection organisée dans le cadre du système politique du FPR ne peut remplir les critères d’une consultation libre, honnête et transparente. Par ailleurs, si la crise rwandaise perdure, c’est en grande partie parce que l’alternance pacifique n’est jamais entrée dans les moeurs politiques. Il est temps d’inverser la tendance, en instaurant la culture du changement politique sans violence, dans le contexte d’une démocratie complétement apaisée.

Pour ce faire, si l’on veut vraiment régler définitivement le conflit de pouvoir rwandais, les futures élections ne devraient être envisagées que dans le cadre d’une transition démocratique gérée conjointement par l’ensemble des forces politiques rwandaises. Une telle transition, qui irait de pair avec l’ouverture de l’espace politique rwandais, est indubitablement le seul mécanisme apte à garantir que la volonté populaire s’exprime librement à tous les échelons, au moyen d’élections locales, régionales et nationales se déroulant dans un climat de transparence totale.

C’est d’autant plus vital pour le Rwanda, que la culture et la pratique des élections libres, fiables et transparentes permettront de tourner définitivement la sombre page de la conquête ou de la confiscation du pouvoir par la force, et d’éviter au pays des situations tragiques générées par l’absence d’alternance politique pacifique.

6. Conclusion

La Constitution est la loi fondamentale d’une Nation qui régit les institutions et la vie nationale dans ses principaux aspects; elle est le cadre légal mis en place au bénéfice du peuple et de l’intérêt général, et auquel les personnes qui accèdent aux responsabilités doivent se conformer.

Le Président Kagame et son parti, le FPR, sont donc tenus de respecter la Constitution rwandaise, au moins par égards au peuple qui a voté ce texte en 2003. Faudrait-il souligner l’engagement des votants au point 3 du préambule, où ils se déclarent « décidés à combattre la dictature en mettant en place des institutions démocratiques et des autorités librement choisies par le peuple » ?

Par ailleurs, même s’il n’aime pas recevoir de « leçons » de l’étranger, le Chef de l’Etat rwandais ferait mieux de considérer positivement les sages conseils émanant d’éminents Hommes d’Etat ou d’institutions faisant autorité en matière de gouvernance démocratique. A ce sujet, nous avons précédemment cité les propos du Président Obama datés du 12 juillet 2009, selon lesquels « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais plutôt d’institutions fortes ». L’on pourrait mentionner aussi, à juste titre, la position de l’ONU telle que rappelée le 26 septembre 2014 par Monsieur Saïd Djinnit, envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations Unies dans la région des Grands Lacs africains, à savoir : «L’ONU encourage les États à respecter les constitutions et à créer les conditions les plus propices pour la tenue d’élections démocratiques et pacifiques ».

Le parti RDI est d’avis qu’en matière de gouvernance du pays, le débat sur la révision de la Constitution rwandaise n’a pas de raison d’être et qu’il devrait céder la place à des vraies questions d’intérêt national telles que les conditions à mettre en place pour l’organisation d’élections libres et transparentes au Rwanda. Parmi les préalables requis figurent, entre autres :

– l’ouverture de l’espace politique et la garantie des libertés fondamentales dans l’esprit du protocole d’accord relatif à l’Etat de droit signé à Arusha le 18 août 1992,
– la libération de tous les prisonniers politiques et d’opinion,
– l’instauration d’une transition politique gérée par l’ensemble des forces politiques rwandaises,
– toutes dispositions utiles en vue du retour volontaire au Rwanda, dans la sécurité et dans la dignité, des réfugiés rwandais en général et, en particulier, des acteurs politiques en exil.

Il est temps que les choses changent positivement et pacifiquement, pour que les Rwandais en détresse, de plus en plus nombreux, aient des raisons d’espérer des lendemains meilleurs pour eux-mêmes et leurs descendants. En effet, contrairement à une propagande savamment orchestrée par le FPR et ses relais, qui présente le Rwanda de Paul Kagame comme le paradis sur terre, une majorité de Rwandais vivent une frustration des plus profondes. D’aucuns trouvent même qu’en 20 ans de régime du FPR-Kagame, le Rwanda a fait un bond de 50 ans en arrière, lorsqu’ils considèrent le déni de dignité et de droits dont ils sont l’objet, comme leurs parents avant 1959. C’est d’autant plus grave qu’une majorité de la population rwandaise est victime de considérations « racistes » qui prévalaient à l’époque, selon lesquelles l’élite rwandaise se trouverait dans une seule ethnie, pendant qu’une autre catégorie de Rwandais ne serait pas faite pour gouverner, au nom d’une prétendue infériorité naturelle et d’une incapacité innée à assumer des responsabilités.

La RDI saisit cette occasion pour renouveller son appel à tous les Rwandais épris de paix et de démocratie, en particulier à la Jeunesse, afin qu’ils continuent d’oeuvrer avec détermination à l’avénement du changement politique pacifique dont le Rwanda a tant besoin pour redonner l’espoir à ses dignes filles et fils. En collaboration avec ses partenaires, notamment au sein de la Coalition des Partis politiques rwandais pour le Changement (CPC), le parti ne ménagera aucun effort pour que, dans l’intérêt supérieur du peuple rwandais, ce changement tant attendu intervienne le plus rapidement possible.

Fait à Bruxelles, le 4 avril 2015
Faustin Twagiramungu

Président de la RDI et ancien Premier Ministre du Rwanda

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