Pour ceux qui osent rêver les rêves impossibles

Imaginez que vous soyez nés dans une région qui allait devenir le théâtre d’un des conflits les plus longs et les plus meurtriers de l’Afrique. Imaginez que vous deviez fuir et que vous vous retrouviez, un petit enfant seul, laissé à vous-même jusqu’à ce que vous soyez retrouvé et emmené dans un orphelinat dans la capitale du pays. Imaginez que vous deveniez passionnés d’athlétisme et, pendant votre adolescence, vous rejoignez l’équipe nationale de votre pays. Serait-ce enfin le début d’une vie meilleure pour vous?

Aujourd’hui, je suis inspiré par deux jeunes gens incroyables, Yolande Bukasa Mabika et Popole Misenga du Congo. Bien que les deux n’aient aucun lien de famille, la guerre a pratiquement fusionné leurs chemins, de cette façon étrange et unique que la guerre efface qui nous sommes et nous projette dans une vie presque standardisée que nous n’aurions jamais su aller devenir la nôtre.

Yolande Bukasa Mabika est née le 8 septembre 1987 à Bukavu, la ville du Dr Denis Mukwege, dans l’est de la République démocratique du Congo. Popole Misenga est né environ cinq ans plus tard, dans la même ville, le 25 février 1992.

Lorsque la guerre a éclaté dans leur région d’origine en 1996, Yolanda avait 9 ans et Popole avait à peine 4 ans. Un an après le conflit, Yolanda a été séparée de ses parents et de ses frères. Yolanda ne se souvient pas beaucoup de ce qui s’est passé, seulement qu’elle a été retrouvée et emmenée dans un refuge pour enfants à Kinshasa, la capitale.

La mère de Popole a été tuée à peu près au même moment et son frère a disparu. Le petit garçon de six ans s’est enfui dans une forêt voisine où il a erré pendant des jours avant d’être retrouvé. Comme Yolanda, Popole a été emmené à Kinshasa et a été élevé dans le même foyer pour enfants géré par l’UNICEF.

La vie au foyer était difficile pour les enfants, soudainement loin de chez eux et vivant avec des étrangers, des orphelins d’une guerre qu’ils ne comprenaient pas. Yolanda espérait que sa famille était encore en vie, mais elle n’a jamais eu de nouvelles d’eux.

Les deux ont trouvé refuge dans le sport. Le refuge proposait des cours de judo et ils ont rapidement maîtrisé cet art martial qui offrait alors un excellent moyen de surmonter leur douleur et leur chagrin.

«Le judo ne m’a jamais donné d’argent, mais cela a rendu mon cœur plus fort. Je me suis retrouvee séparée de ma famille et ca me faisait tout le temps pleurer. J’ai commencé le judo pour avoir une vie meilleure », a confié Yolanda.

Leur dévouement à ce sport exigeant les a amenés à etre retenu plus tard dans l’équipe nationale de judo du pays et à participer à diverses compétitions dans le pays et à l’étranger.

La vie dans l’équipe nationale s’est avérée être tout sauf un conte de fées. Les athlètes ont par la suite partagé qu’ils avaient subi beaucoup d’abus de la part de leurs entraîneurs.

«Ils voulaient juste que nous gagnions des médailles et, si nous échouions, nous souffririons», a expliqué Popole.

Après ce qu’ils avaient souffert de la guerre, ce qui aurait dû être leur chemin vers une vie meilleure s’était révélé être un autre type de cauchemar.

Leur vie allait changer de manière inattendue en 2013. L’équipe nationale s’était rendu à Rio de Janeiro, au Brésil, pour participer aux championnats du monde de judo.

Cependant, ils n’ont jamais pu participer aux jeux. Quand ils sont arrivés au Brésil, leur entraîneur a pris leurs passeports et tout leur argent et les a laissés enfermés dans leur chambre d’hôtel.

Ne comprenant pas ce qui leur arrivait et ne sachant pas vraiment quoi faire dans ce pays étranger, ils resterent cachés dans l’hôtel pendant quelques jours. Yolanda a fini par s’échapper et est sortie chercher de l’aide.

C’était une expérience bizarre. Yolanda se rappelle avoir marché dans les rues de Rio, arrêtant des étrangers dans la rue pour leur demander de l’aide. Quand elle voyait des Noirs, elle espérait qu’ils comprenaient le français, avant de se rendre compte que la plupart ne comprenaient pas ce qu’elle disait.

Quelqu’un l’a finalement dirigé vers un salon de beauté tenu par des immigrants africains. Elle est retournée chercher son ami Popole et ils ont dormi quelques jours sur le sol du salon. Pendant la journée, les deux amis marchaient dans les rues pour essayer de trouver une issue à cette situation intenable.

«Nous avions faim et personne ne nous aidait. Je m’approchais des Noirs comme moi dans la rue, je parlais français, je leur demandais s’ils étaient africains. Je ne pouvais pas comprendre ou parler le portugais à l’époque», dit Yolanda.

Un jour, ils ont eu la chance de rencontrer un réfugié d’Angola et il les a emmenés dans un quartier de Rio appelé Bras de Pina, une favela (quartier populaire) où vivaient de nombreux Africains, y compris des Congolais.

Yolanda et Popole décrivent cette partie de leur vie «la deuxième fois qu’ils étaient réfugiés», la première fois étant l’époque où ils ont été déplacés dans leur propre pays quand ils étaient enfants. Heureusement, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a reçu leurs demandes d’asile et leur a officiellement accordé le statut de réfugié en septembre 2014.

C’était une vie de petits boulots après de petits travaux pour les aider à s’en sortir sans surcharger les nouveaux amis qui les avaient accueillis. Yolanda ne voulait pas accepter qu’il n’y eût plus de place pour le judo ou les compétitions dans leur vie, juste pour survivre, jour après jour.

Elle a demandé à tous ceux qu’elle rencontrait s’ils connaissaient un endroit où ils pouvaient aller pratiquer ce sport qui était leur vie depuis leur enfance. Les médias locaux ont repris son histoire et diffusé leur histoire.

Les réactions ont été extraordinairement amicales. Yolanda et Popole ont été présentés à l’Insituto Reacão où ils devaient former le co-fondateur et vétéran entraîneur olympique de l’institut, Geraldo Bernardes.

Cela semble être une fin heureuse et parfaite a notre histoire, non ? Eh bien non, pas encore.

Quelque chose d’autre allait se passer, une annonce qui allait être faite à des kilomètres de Rio, sur un autre continent, mais qui allait éventuellement changer le cours de leur vie.
En octobre 2015, le président du Comité international olympique, Thomas Bach, a fait une annonce historique devant l’Assemblée générale des Nations Unies : dès l’été de 2016, une équipe de 5 à 10 athlètes réfugiés hautement qualifiés allait pouvoir participer aux Jeux olympiques sous la bannière du CIO !

Cent vingt ans après les premiers Jeux modernes à Athènes, des personnes qui ne pouvaient pas concourir non pas parce qu’elles n’étaient pas qualifiées mais parce qu’elles avaient fuit les persécutions dans leur propre pays, allaient maintenant pouvoir participer à la compétition la plus prestigieuse du monde !

Comme tous les autres athlètes de réfugiés (ou réfugiés athlètes – je ne suis pas sûr dans quel ordre on écrit ça ) dans le monde qui ont appris cela, Yolanda et Popole ont commencé à rêver ce rêve impossible de faire partie de cette sélection.

Essayez d’imaginer combien de réfugiés il y a dans le monde, combien d’entre eux sont des athlètes et faites le calcul pour déterminer leurs chances!

Yolanda et Popole étaient moins préoccupés par les calculs de probabilités que par le fait qu’ils ne s’étaient pas entraînés depuis deux ans. Mais rien ne les arrêterait maintenant! Ils se sont entraînés trois fois par semaine à l’Instituto Reação de Jacarepaguá, à deux heures de leur quartier, avec des membres de l’équipe olympique brésilienne.

Bien qu’ils aient été des athlètes professionnels au Congo, ils ont dû s’adapter à une culture sportive différente et désapprendre tous les abus auxquels leurs anciens entraîneurs les avaient soumis.

Encore une fois, leur dévouement a payé ! Le 3 juin 2016, le CIO a annoncé les 10 noms d’athlètes qui devaient participer aux Jeux olympiques d’été de Rio. Yolanda et Popole etaient tous deux retenus!!

Yolande devait concourir dans la catégorie de judo féminin des 70 kg et Popole dans la catégorie des 90 kg de judo masculin. Les huit autres membres de l’équipe comprenaient deux nageurs syriens, un marathonien éthiopien et cinq coureurs du Soudan du Sud.

Le 5 août, cinq mois après la création de la toute première équipe olympique de réfugiés, nos athlètes ont fièrement marché dans la cérémonie d’ouverture des jeux de Rio avec leurs collègues athlètes sous les applaudissements du public.

«Je ne peux pas me battre pour mon pays. Je vais me battre pour les Jeux olympiques. Je vais me battre pour tous les réfugiés dans le monde, pour défendre tous les réfugiés dans le monde », a déclaré Yolanda.

Elle espérait aussi que son apparence permettrait à sa famille, qui n’a pas été en contact depuis son arrivée au Brésil, de se reconnecter avec elle.

«Si ma famille me voit à la télévision, je peux tout donner. Parce que je veux un jour parler même avec mon père et mes frères.»

Popole aussi était conscient de ce que cet instant représentait pour eux et pour le monde :

«Je représente tout le monde!»

Ni Popole ni Yolanda n’ont gagné de médaille à Rio, mais leur vie a changé pour toujours. Ils savent que tout est possible lorsque vous êtes prêt à saisir les opportunités qui se présentent et à tirer le meilleur parti de toutes les situations.

«Quand je suis entré dans l’arène olympique, je pensais que personne ne m’encouragerait. Mais j’ai vu les Brésiliens m’acclamer. J’étais très ému. J’ai ressenti quelque chose de différent. Je suis aussi un gagnant. Je ne peux pas expliquer à quel point je suis heureux. Je n’ai jamais rêvé de participer à nouveau au judo et je suis revenu dans la compétition la plus célèbre du monde. J e reviendrai au judo après les Jeux olympiques, je m’entraînerai, participerai à d’autres tournois, remporterai des médailles.»

Bien que je termine l’histoire ici, ce n’est pas la fin du voyage pour ces deux jeunes. Qui sait où leur voyage nous mènera?

Félicitations pour votre contribution à l’héritage de l’Afrique, Yolanda et Popole! Vous êtes le rêve de chaque rêveur et de chaque réfugié ! Nos encouragements pour la suite ! #BeTheLegacy #WeAreTheLegacy#Mandela100 #UMURAGEkeseksa

Contributeurs

Um’Khonde Habamenshi