Procés en appel Ngenzi-Barahira: Journée du 23 Mai 2018 (J10)

Audition de madame Véronique MUKAKIBOGO, partie civile.

Interrogatoire d’une Partie Civile Véronique MUKAKIBOGO 73 ans directrice des écoles à la retraite et ancienne Juge des GACACA

« Je suis venue ici pour dire ce que je sais sur BARAHIRA et NGENZI et que leurs agissements ont occasionné la mort des membres de ma famille » dit-elle. C’était mes voisins. On faisait ensemble les travaux communautaires. Je peux dire qu’ils ont préparé le plan du génocide. Ngenzi avait remplacé Tito au poste de bourgmestre. C’est RWAGAFILITA qui leur donnait des instructions. Après qu’il y ait eu les premières attaques de ceux qui voulaient délivrer le pays sois disant (le FPR) en 1990. Il faisait des réunions  chez lui et invitait tous les bourgmestres de la préfecture de KIBUNGO. Il y avait aussi des conseillers et d’autres. Ils ne s’en cachaient pas on voyait des voitures passer pour aller vers GASETSA.  Après ces réunions, les relations qu’on avait avec les conseillers prenaient fin.  Après les relations reprenaient et je les chahutais en leur demandant pourquoi ils ne nous parlaient plus, ils disaient qu’aux réunions on parlait de tusti. Ils avaient monté RWAGAFILITA contre moi. Ils étaient du PARMEHUTU. » commencera-t-elle son audition.

« Ce qui me pousse à dire qu’ils allaient à ces réunions c’est qu’ils avaient eu leurs postes grâce à RWAGAFILITA. Ils n’allaient donc pas se dissocier des autres alors que c’est lui qu’il fallait suivre. Au sujet du génocide, ils ont mis toute leur force ». affirmera -t-elle ensuite.

Le témoin va poursuivre en disant ce qu’elle sait sur BARAHIRA à partir de la chute de l’avion de HABYARIMANA.

Elle raconte qu’à partir du 7 avril, ils ont commencé à faire des réunions. Barahira a plutôt mis l’accent sur le secteur de CYINZOVU. Avant le 13 à RURENGE, BARAHIRA aurait tenu une réunion à l’endroit où habitait NTIRUSHAMABOKO François. Barahira l’aurait tué de ses propres mains selon le témoin. Il aurait tourné une épée dans son cœur en disant : « voilà, comment vas-tu encore parler? Anglais et Français ?». Et son fils qui n’était pas mort, il lui aurait dit de retourner dans l’église car il est tutsi.

Elle raconte ensuite qu’elle met sur la tête de BARAHIRA la mort de sa sœur et les enfants de cette dernière.  Et que sa méchanceté date d’il y a longtemps car il avait déjà tué quelqu’un.

Sur Ngenzi, il aurait changé lorsque « ceux qui sont venus libérer le Rwanda » sont arrivés le 1er Octobre 1990. (Drôle de manière de présenter le FPR comme des libérateurs alors qu’on sait tout le mal qu’ils ont fait et continuent à faire au peuple rwandais). Ses relations avec les autres ont changé mais on le voyait pas bien il le camouflait. Mais psychologiquement on pouvait le deviner. Il a par exemple dit à KAJANAGE de ne plus venir à son domicile, que s’il voulait s’adresser à lui il devait venir à la commune. (Ngenzi avait déjà réfuté cette fausse accusation car quelques mois avant le génocide NGENZI et sa famille sont allés les voir après la naissance de leur fille, pour offrir des cadeaux). Elle a ensuite ressorti l’histoire des chèvres qui date des années 59 que NGENZI aurait dit « ne mangez pas les chèvres des gens avant d’avoir tué leurs propriétaires ». Il reproche à NGENZI la mort de sa mère car il ne l’aurait pas transporté à l’église et elle a été tuée au village. Mais derrière, elle accuse Ngenzi d’avoir transporté les gens à l’église car pour elle c’était dans le but de les y rassembler pour qu’ils y soient massacrés. On se demande du coup ce qu’aurait dû faire NGENZI ? Car tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il n’a pas fait était mal.  Elle explique qu’elle aurait préféré que sa mère meurt à l’église.

Le témoin explique qu’il y a eu plus d’un million de morts à l’église de KABARONDO ! La présidente pense avoir mal entendu et repose la question : « vous êtes sûr de ce chiffre ? », elle réitère que c’était plus d’un million de morts à l’eglise de KABARONDO. On lui demande la capacité d’accueil de l’église et elle explique, pas plus de 500 personnes. Interrogée sur la différence entre ces deux chiffres elle explique que tout le monde n’est pas mort dans l’église mais aussi autour de l’église ! On lui rappelle que dans ses différentes auditions elle avait parlé d’autres chiffres 5000, 2000, 1000 ? Elle dit qu’on n’a pas le chiffre exact des morts.

Questionnée sur son ethnie, elle dit : « je suis tutsi bien sûr ». Puis revient sur RWAGAFILITA. Elle explique que pour accéder à n’importe quel  poste il fallait qu’il ait donné son accord, bourgmestre, directrices des écoles … Madame la présidente lui demande alors c’est RWAGAFILITA qui vous a nommé si on suit votre raisonnement ? Elle dit non moi c’était par rapport à mes mérites.

Sur BARHIRA elle explique qu’il était dans le parti PARME HUTU ! Et on lui demande pourquoi c’est la seule personne qui parle de l’histoire où BARAHIRA aurait tué une personne elle répond : ne vous inquiétez pas vous verrez les gens vont venir le dire.  (En effet là les futurs témoins sont déjà préparés pour venir rajouter cette histoire à leur témoignage initial alors que ce n’est pas dans leurs auditions. Et on risque de croire que c’est la vérité).

On lui demande des exemples qui montrent que NGENZI a changé son comportement à partir des années 90. Elle dit qu’elle ne vois pas les exemples qu’elle peut donner. Mais après réflexion elle dit qu’elle l’a déjà entendu dire sur « ceux qui sont venus libérer le Rwanda » nous attaquent pour déstabiliser la paix. Elle rajoute que parfois il lui jetait un mauvais regard.

Le témoin n’était pas à KABARONDO sur toute la période du génocide. Tout ce qu’elle dit, elle l’a entendu.

Sur question elle explique qu’elle n’était pas à KABARONDO depuis le 6 avril. Elle était à BUTARE jusqu’au 17 avril puis elle est partie au BURUNDI pour revenir à KIBUNGO en juillet où elle était dans les même camps que les gens qui rentraient de l’Ouganda et qui étaient partis en 1959. Elle reconnait que tout ce qu’elle a raconté sur la période d’avril 1994 lui a été raconté par les gens qui « s’acharnaient » à venir le lui raconter ». Que certains même en rajoutaient ou retranchaient des choses car ils avaient des choses à se reprocher. On lui demande comment elle a pu passer les barrières alors qu’elle était tutsi. Elle explique que sur les barrières, il y avait que deux personnes qui ne pouvaient pas arrêter la voiture.

Alors que dans ses auditions elle expliquait qu’elle avait participé au jugement des gacaca de Ngenzi qui l’ont condamné à 30 ans, peine donnée à tous les bourgmestres, aujourd’hui elle explique qu’elle n’a pas fait parti de l’équipe qui l’a jugé. Sur les différences entre les témoignages qu’elle a donné, ceux où elle dit que le donneur d’ordre c’est Ngenzi et ceux où elle dit que c’est BARAHIRA, elle explique qu’elle parlait de la personne sur qui on lui demandait de témoigner.

Elle explique que les bourgmestres ont tous tué à KIBUNGO sauf un. Sur question de son avocat si les bourgmestres avaient la possibilité de ne pas obéir aux ordres, elle répond que celui qui n’a pas obéi aux ordres a été tué par les INTERAHAMWE.

La défense de monsieur BARAHIRA lui rappelle qu’elle a dit avoir jugé le procès de ce dernier  et qu’elle aurait donné son dossier de GACACA à Alain Gauthier qui était venu l’interroger. Aujourd’hui elle dit ne pas avoir jugé le dossier de BARAHIRA. Réponse, c’est possible, j’ai dû le lui donner.

On lui demande si elle sait qu’il y a des bourgmestres de KIBUNGO qui ont été acquittés. Elle dit qu’elle ne sait pas ce qu’il se passe dans tout le pays. Que son travail de juge de GACACA s’arrêtait aux dossiers, qu’elle ne voulait jamais que les choses restent dans sa tête. On lui dit que c’est étrange qu’elle ait une chronologie précise de ce qu’il s’est passé en 1994 (ce qu’on lui a raconté) mais pas après (ce qu’elle a vu).