Procès Ngenzi/Barahira: Journée du 01 Juin 2018 (J 17)

Audition de M. Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal, Audition de M. Léopold GAHONGAYIRE, partie civile, Audition de M. Eulade RWIGEMA, partie civile.

Audition du témoin Manassé MUZATSINDA ex-policier communal

Le 13 au matin, il serait parti tôt pour aller voir sa femme qu’il avait laissée à l’église. Il voit une voiture d’un colonel qui vivait au camp HUYE qui lui demande pourquoi il y a autant de personnes sur la route. Le policier aurait répondu que ces gens vont dans une réunion sur la place du marché. Le colonel lui allait en direction de KIGALI. Il raconte l’épisode de la grenade lancée par les INTERAHAMWE qui a conduit les réfugiés à aller s’enfermer dans l’église. Par la suite, il aurait vu arriver une voiture Hilux en direction de KIGALI avec des gendarmes à bord. Ils auraient tiré sur l’église mais ils n’auraient pas tardé sur place. Ensuite le bourgmestre serait passé rapidement et lui aurait dit en se dirigeant vers son domicile à pied, que les militaires allaient passer et qu’il ne fallait pas s’opposer à ce qu’ils allaient faire.

Les militaires seraient arrivés et commencé à tirer sur les réfugiés. « Ils étaient sous le commandement de leur chef qui s’appelle MUGABARIGIRA » ajouta-t-il. Ils disaient qu’ils allaient vers MUTARA au combat et ils ont rencontré l’ennemi. Ils auraient installé des mortiers, pour pouvoir tirer des bombes. Ensuite ils seraient partis chercher le bourgmestre chez lui. Après, les Interahamwe seraient venus, ils sont rentrés dans l’église. Sur sa culpabilité personnelle, il explique qu’ils ont reconnu avoir été coauteurs des crimes. Qu’ils ont été puni car ils sont restés là sur place. Il a été emprisonné en 1996 et libéré en 2003. Quand les Gacaca ont commencé, il aurait été condamné 14 ans mais il en a fait que 7 parce qu’il a avoué.

Selon lui, aujourd’hui NGENZI devrait dire ce qu’il s’est passé, s’il était au courant ou si ça lui est tombé dessus. Le témoin dit qu’il avait été militaire avant 86. Et il a été recruté par le conseiller qui remplaçait BARAHIRA sur son poste de policier. Et si son poste a été influencé par son oncle RWAGAFILITA, il explique qu’il ne l’a même pas vu depuis qu’il est venu à Kabarondo. Sur sa relation avec NGENZI, c’était juste son supérieur, « lui pour nous donner des ordres, il passait par le brigadier ».

Le témoin raconte que depuis le 07 Avril, le premier évènement grave qui a eu lieu est celui de Murama, où ils sont tombés dans un embuscade des Interahamwes qui leur ont tiré une grenade. Il explique qu’il les a tiré dessus pour les calmer mais ne les a pas vus et ne pouvait pas les identifier car ils étaient cachés dans la population. Interrogé sur le fait que dans son audition par les gendarmes français au Rwanda il avait dit qu’ils n’ont pas tiré sur ces Interahamwe, Il explique juste qu’il a tiré en l’air.

Il explique qu’ils ont rendu compte à Ngenzi sur cet événement, qui n’a pas réagi et confirme ce qu’il a dit dans son audition, à savoir que Ngenzi leur aurait dit de ne pas retourner à Murama et qu’ils ont demandé à Ngenzi d’aller chercher du renfort auprès des gendarmes.

Il explique que dans la journée du 11 Avril, il a amené sa femme en sécurité, de chez lui jusqu’à l’église, puis, de l’église jusqu’au centre de santé. Les propos du témoin sont un peu confus sur la chronologie, il explique néanmoins que s’il a enlevé sa femme de l’église, c’est qu’il pressentait que quelque chose allait mal se passer suite ce qui s’était passé à Murama.

Interrogé sur la réunion du 11/04, le témoin explique qu’il est arrivé vers la fin de la réunion. Il explique que les participants étaient le prêtre, le bourgmestre et les policiers. Il explique que l’objet de la réunion, était d’assurer la sécurité des refugiés de l’église. La décision qui a été prise fut d’apporter les vivres aux réfugiés et que ces derniers feraient la cuisine à l’église.

Il explique aussi, que selon leur intelligence, ils avaient compris qu’ils devaient assurer la sécurité des réfugiés, et qu’ils ne pouvaient penser que quelque chose allait les menacer.

Le témoin explique que pour la journée du 13, il a quitté chez lui pour aller voir sa femme et sur le chemin a croisé les réfugiés qui se rendaient dans leur réunion de sécurité. C’est à ce moment-là qu’il a su pour cette réunion. Sur leur chemin, les réfugiés ont croisé les Interahamwe, qui leur ont lancé les grenades. Les grenades auraient tué environ 7 personnes. Vers 9h, longtemps après les tirs des grenades, les militaires seraient arrivés et attaqué l’église. Le témoin confirme ce qu’il a dit dans son audition, à savoir que Ngenzi lui aurait dit de rentrer chez lui, de ce fait il pense que Ngenzi savait.

Ngenzi ne s’est pas attardé sur la place et est rentré chez lui à pieds. Les militaires seraient venus de Kibungo dans un bus et se seraient garé plus loin, ils sont arrivés à l’église à pieds et étaient une trentaine. Le témoin pense que les militaires sont allés chercher Ngenzi chez lui pour que la population accepte ce qu’il allait se passer, pour rassurer les gens et pour qu’ils se sentent sans gêne. Le témoin ne sait pas si Ngenzi est venu de son propre gré.

Après les tirs, les militaires ont demandé à la population de rentrer dans l’église pour aller achever les réfugiés, il y avait déjà eu beaucoup des morts suite aux tirs. Il explique que c’était difficile de dire non aux ordres donnés par les militaires surtout qu’il y avait un lieutenant-colonel (Cyprien Mugabahigira) à leur tête. Le témoin dit qu’il connait bien M Barahira, il ne l’a pas vu ce jour-là, il ne sait pas si c’est lui l’instigateur de la réunion sur la place du marché, vu qu’il n’y avait pas de réunion ce jour-là. Il y a une contradiction entre les propos du témoin et ceux de M. Gatabazi, sur qui a tiré ou n’a pas tiré. Selon le témoin, les deux auraient tirés.

Questionné sur l’enterrement des corps, selon Pierre Kabashi (que le témoin connait), Ngenzi aurait dit aux gens que celui qui ne participera pas à l’enterrement serait tué. Le témoin affirme que Ngenzi n’a pas tenu ces propos.

Il explique que suite au départ des militaires, Ngenzi est rentré chez lui, il en a fait de même. Ensuite il explique comment lui-même a tiré sur un homme. Il ne répond pas à la question de comment Barahira a quitté le poste de Bourgmestre, ne sachant pas pourquoi. Il dit aussi qu’il ne sait pas si Ngenzi savait si les militaires allaient intervenir le 13/04.

A la question de savoir si Ngenzi bénéficiait des gardes du corps, il commence par répondre non, mais fini par confirmer ce qu’il a dit lors de son audition : à savoir que Ngenzi bénéficiait de la protection du policier Donatien Munyaneza.

Le témoin explique avoir croisé Ngenzi devant le camp militaire de Kibungo, ils lui avaient demandé de leur trouver du renfort. Le témoin dit ne pas se souvenir la date à laquelle, le FPR est entré à Kabarondo, mais confirme ce qu’il a dit dans son audition, à savoir une semaine après l’attaque de l’église. Les dirigeants (bourgmestres de Kayonza, Kigarama et Birenga) ont demandé à la population de sa battre contre le FPR, mais le FPR était plus fort qu’eux. Le témoin explique que les policiers n’avaient pas de kalachnikov et utilisaient des Fusils (Far ?) pour se battre contre le FPR.

Le témoin explique que la commune possédait deux Toyota une blanche et une rouge. Il dit que si Ngenzi leur avait dit de s’opposer aux militaires, ils n’auraient pas pu s’opposer à eux. Il explique que Ndoba (le brigadier-chef) n’était pas présent à la réunion du 11 (contrairement à ce que Ndoba avait affirmé la veille). Il dit que la seule chose qu’il a à reprocher à Ngenzi est son attitude durant le génocide contre les tutsi du Rwanda en 1994. Il explique aussi qu’il n’a pas connaissance d’autres réunions, à part celle du 11/04.

Audition de M. Leopold Gahongayire, Partie civile

Le témoin est né en 1958, il explique ne pas se souvenir des dates, le début de son témoignage est confus, il parle d’une lettre qui disait « pourquoi vous n’êtes pas encore tués »? Cette lettre aurait fait peur à son père. L’histoire étant confuse, la présidente l’arrête là.

Son frère, son père et lui, suite à cette lettre, ils seraient allés voir Barahira. A la question quand êtes-vous êtes allés voir Barahira ? Le témoin répond que son père leur avait dit d’aller demander clémence. Le témoin fini par informer que cette histoire de lettre s’est passé après la chute de l’avion. Le témoin dit qu’il avait oublié cette lettre lors de son audition. La présidente lui demande s’il était dirigeant de cellule, le témoin confirme qu’il était responsable de la cellule de Kinzovu, son responsable hiérarchique était le conseil Samson Musoni et au-dessus de lui c’était Ngenzi.

Le témoin dit n’avoir pas assisté aux massacres, n’avoir pas participé aux réunions, n’avoir pas été convié aux réunions. Il y a eu une réunion et il n’était pas là, mais son oncle Habimana lui a raconté cette réunion. L’objet de cette réunion aurait été de changer l’ethnie de Gacumbitsi, de tutsi à Hutu. Cette réunion est celle du terrain de foot. Lors de son audition, le témoin avait dit qu’il connaissait Barahira, « il dirigeait les Interahamwe pendant le génocide des tutsi du Rwanda en 1994 ». Aujourd’hui, le témoin dit juste qu’il savait que Barahira faisait partie du MRND. Le témoin dit que s’il est partie à l’église alors qu’il était hutu, c’est qu’en 1959, son père avait changé d’ethnie.

Le témoin dit qu’après la réunion, on est venu les chercher à l’église pour les ramener chez eux, le jour où l’on a tué les gens sur la place du marché et à l’église. C’est Barahira et Habimana, qui seraint venus les chercher car ils étaient hutus. Le témoin a perdu beaucoup des membres de sa famille dans l’église. Le témoin dit qu’il ne connait pas le rôle de Ngenzi dans le massacre de l’église, il n’a pas vu Ngenzi mais a vu l’abbé Incimata, ils n’ont pas non plus vu les policiers les protéger.

Aux questions des parties civiles, le témoin confirme qu’il était à l’église du 08 au 12 Avril, c’est son oncle qui a participé à la réunion pour les dédouaner. Il explique que Barahira avait les moyens d’épargner les gens pendant le génocide des tutsi du Rwanda en 1994. Il les a épargné eux et non les autres, surtout les Tusti.

Aux questions de l’avocat général : le témoin explique qu’il était membre du MRND car tout responsable de cellule faisait partie du MRND. Il explique que son oncle lui a dit que Barahira a tenu une réunion pour les épargner de l’église, car ils étaient hutu. Contrairement à son audition, il dit qu’il ne sait pas si Barahira a dit qu’il fallait tuer les tutsis. Le témoin dit aussi que Barahira était chef des interahamwe car il était chef du MRND dans la commune. Sur la personnalité de Barahira, le témoin dit qu’il n’est pas bavard et est calme, au point où il a tué un homme avec barbarie et cela les a étonnés.

Les questions de l’avocat de Barahira : le témoin confirme que François Habimana est son oncle paternel, son oncle ment sur son ethnie car leur famille est tutsi. A la question, « est-ce que ce n’est pas intéressant aujourd’hui d’être tutsi ?», le témoin répond « ni agaciro » pour dire que c’est « un valeur ».
L’avocate fait remarquer au témoin que Francois Habimana, a témoigné et confirmé ce qu’il a dit lors de son audition, à savoir qu’il n’a jamais assisté à une réunion et qu’il habitait à 90m du terrain de football et donc que s’il y avait eu une réunion, il l’aurait vue. Le témoin affirme que Francois Habimana a menti. Elle lui demande aussi s’il connait Etienne Numviyumukiza (le bourgmestre qui a précédé Barahira) et comment il est mort ? S’il a été tué par le FPR ? Le témoin ne répond pas à cette question. L’avocate l’informe aussi que l’abbé Incimata a dit que c’est sur le conseil de Rwassamirera qu’il a dit aux gens d’assister à la réunion en utilisant un sifflet.

Audition d’ Eulade Rwigema, partie civile

Le témoin commence par exprimer ce qu’il reproche à Ngenzi. Pour lui l’accusé est coupable de ne pas avoir assuré la sécurité de la population. Le témoin indique aussi s’être porté partie civile car même s’il n’a pas eu de séquelles physique, il a eu des « blessures de cœur », sa femme et ses 2 filles sont mortes à l’église de Kabarondo. La présidente de la cour lui fait remarquer que ce fait n’était pas dans le procès-verbal fait par les gendarmes français lors de l’enquête au Rwanda. Dans ce procès-verbal il est noté notamment que le père du témoin est mort à Gitarama.

Le témoin indique à la cour qu’il avait des bons rapports avec Octavien Ngenzi avant le génocide, des bons rapports au point de vue administratif, qu’il n’a jamais eu le moindre problème particulier avec le bourgmestre et qu’ils entretenaient de bons échanges dû à son commerce de lait avec Octavien Ngenzi. La présidente de la cour demande ensuite au témoin quels étaient les fréquentations de Ngenzi, question à laquelle la présidente ne pourra pas avoir de réponse, le témoin est assez floue et ne répond pas à la question.

Le témoin expliquera à la cour que Octavien Ngenzi avait changé à partir de 1990 (NDLR sur ce point, lorsque l’avocat de la défense reviendra sur cette précision le témoin niera en block, et parle de 1994 et ensuite refusera catégoriquement de répondre aux questions).

La présidente demande au témoin s’il avait assisté à des événements graves entre le 6 et le 13 avril. Le témoin commença par une réponse hors sujet avant d’être recadré par la présidente. Du 6 au 12 avril rien ne se passe, aucun événement particulier pour le témoin mais à partir du 12, il assiste aux attaques faites par les interahemwe dans sa maison ce qui le pousse à fuir avec sa famille et arrive le 13 avril au matin à l’église. Le témoin dit que le conseiller Rwasamira est venu parler à l’abbé pour aller à la place du marché, en y allant, le témoin indique être tombé nez-à-nez avec des assaillants armés de lances, leur réaction fut de retourner vers l’église. Une explosion de grenade a eu lieu faisant de plus de 20 morts (NDLR : le témoin est inccapable de situer le lieu exact de l’explosion). A partir de là le témoin voit les militaires qui tirent d’abord de loin et qu’à cause d’un trop grand nombre de réfugiés ils n’ont pas pu tous se réfugier dans l’église et certains ont été obligés de passer à côté dont lui-même. La présidente interroge le témoin sur la présence de Ngenzi ou sa ou ses voitures. Le témoin attribue la faute à Ngenzi car il représentait l’autorité, cependant, le témoin n’a pas été capable de citer ou de témoigner d’un quelconque ordre donné par Ngenzi lors de l’attaque de l’église. D’ailleurs le témoin dit ne pas avoir vu Ngenzi ce jour-là.