Projet de la diaspora rwandaise du Canada ou partie de poker en son nom?

Par Philibert Muzima

Au palmarès de la roue déjà inventée : « Agaciro Development Fund », « Bye Bye Nyakatsi », « One Dollar Campaign ». Et maintenant : « Des édifices à logements hauts de gamme » au centre-ville de Kigali. Décidément « la diaspora rwandaise » du Canada ne manque pas d’inspiration ! Les kermesses connues sous l’appellation : « Inama y’umushyikirano » deviennent de plus en plus une tribune annuelle où des vœux de réalisation de projets sont lancés à tout vent dans une ambiance délirante.

La diaspora rwandaise est désignée à la fois comme l’initiatrice et la contributrice principale. Paradoxalement, ce sont les contribuables rwandais qui, en fin de compte, deviennent les financeurs . Pourtant, sur papier et au micro de diversion, le citoyen du Rwanda est désigné comme le bénéficiaire, ce qui est loin d’être vrai !

Les cas de Bye-Bye Nyakatsi, One Dollar Campaign et Agaciro Development Fund sont des précédents qui ne laissent aucun doute sur les vraies sources de financement du nouveau projet de construction de logements luxueux annoncé lors de la dernière kermesse par la diaspora rwandaise du Canada. Tout a l’air du déjà-vu. Le contribuable rwandais risque fort bien de se voir encore engagé contre son gré dans une partie de poker qu’il perdra à coup sûr. Le vainqueur de cette partie de poker extirpera une bagatelle de la poche du perdant: 5,2 milliard de Francs rwandais ou 7 millions de dollars américains. Faramineux!

Attribuée ou mise dans la bouche de la diaspora rwandaise du Canada, le projet de construction de logements luxueux ne peut être réalisé par cette diaspora dont les représentants sont en déficit de crédibilité. De projets bidon qui ne voient jamais le jour, la diaspora rwandaise du Canada en a déjà jusque-là!

A titre d’exemple, le projet de la construction de logements luxueux à Kigali vient après celui qui visait la construction des hôtels cinq étoiles au Canada. Il avait été lancé en grandes pompes à Montréal en novembre 2012 en présence de l’ex-ambassadrice Edda Mukabagwiza. A ce moment-là, l’échéancier pour couper le ruban de l’inauguration des fameux hôtels avait été fixé pour 2013. Objectif d’alors : Cinq hôtels totalisant 500 chambres et emplois pour 500 ressortissants rwandais ! Alors que l’analyse élémentaire démontrait la non rentabilité de ce projet et que son échec était prévisible, son initiateur, friand du «m’as-tu vu? » public, avait réitéré l’annonce de même projet, en présence du Président P. Kagame, lors du « Rwanda day » organisé en Septembre 2013 à Toronto.

Ce qui risquait d’arriver arriva : Trois ans plus tard, Il n’y a pas eu de première pelletée de terre, les ciseaux ne trouvent pas leur ruban. Personne ne sait où sont ces hôtels, à Montréal ou ailleurs au Canada.
Il est à noter ici que le maître d’œuvre des deux projets, est plutôt passé Ingénieur en construction de châteaux en Espagne! Ne lui demandez surtout pas le document à la base de sa présentation. Il usera de ses différents titres pour vous convaincre de proclamer votre foi en lui et de croire à des données en sliding rapide de sa présentation au PowerPoint!

Lors de mon entretien avec lui début novembre 2012, je lui avais demandé de m’envoyer le draft du projet afin de me faire une idée sur sa faisabilité et jette un œil sur ses chiffres pour ensuite me présenter avec des idées basées sur la connaissance du dossier à la réunion qu’il organisait et à laquelle il me conviait. Il avait refusé de m’envoyer le document en ligne, ne me le promettant qu’une fois sur place et en mains propres. Je lui avais dit qu’il me serait alors difficile de participer activement sans avoir lu le projet sinon penser à haute voix et parler aux murs. J’avais donc décline l’invitation malgré son insistance comparable à celle des Témoins de Jéhovah!

On s’est permis quand même de discuter de l’aspect théorique du projet pendant plus d’une demi-heure. Je lui ai alors montré et démontré, statistiques à appui, qu’investir dans le secteur du tourisme n’était pas une idée du siècle. L’industrie survit très mal depuis 2008 et la tendance n’est pas du tout favorable, du moins pour de petits investisseurs qui n’ont pas de reins solides.

Je lui ai sorti les états financiers d’au moins quatre compagnies détentrices de grandes chaînes hôtelières en Amérique du Nord qui ont affiché des pertes, année après année durant les cinq dernières années. Les pronostics n’augurant alors rien de bon pour les cinq années subséquentes, j’ai réitéré mon intérêt et mon soutien indéfectible à l’idée de projets d’investissement inter rwandais ici au Canada et même au Rwanda, mais lui signifiais ma ferme opposition au choix de l’hôtelier comme domaine de prédilection.

Je lui recommandais plutôt les domaines pharmaceutiques dans un pays (Canada) où les coûts en soins de santé explosent à cause du vieillissement de la population, ou, pour la même raison, des résidences pour personnes âgées et même dans les assurances. Je lui demandais de faire de sa prochaine réunion celle d’échanges d’idées sur les domaines d’investissement possibles, de brainstorming quoi! Mais de grâce, disais-je, pas celle de présentation de son projet qui, à mes yeux, était voué à l’échec.

Malheureusement mon interlocuteur n’est pas du genre à acheter une idée d’autrui. Imbu de lui-même, il tient mordicus se présenter tel un professeur d’université devant une classe de simple écoliers-pas d’étudiants- pour livrer sa leçon que l’auditoire devait gober sans ruminer, avaler sans mâcher, lui faisant croire que personne ne souffrirait pas d’indigestion. Foi d’universitaire! Je n’ai pas voulu mordre à l’hameçon, j’ai refusé de m’impliquer dans le projet tel qu’il était présenté. La réunion a eu lieu en mon absence le long weekend du Jour du Souvenir et fut par la suite relatée par IGIHE.COM sous la plume de Karirima A. Ngarambe . Inutile de me répéter pour dire que les hôtels cinq étoiles, construits depuis lors par la Diaspora Rwandaise au Canada, se sont avérés n’être que des Châteaux en Espagne.

Honte bue au Canada. Succès assuré au Rwanda?

Dernièrement le même individu m’est revenu cette-fois-là pour me vendre un nouveau projet! Nous allons construire des condominiums de luxe au Rwanda. Aucun préambule sur ce qui est arrivé des Hôtels cinq étoiles au Canada. Est-ce le même projet qui déménagé au Rwanda? Je n’en sais rien. Mon interlocuteur ne répondra pas à cette question et tous ceux qui avaient répondu à son invitation trois ans auparavant n’en savent pas plus que moi.

Toujours tel un Témoin de Jéhovah muni de pamphlets aux slogans bibliques, il promet, pire que l’Enfer, la Pauvreté Éternelle et la Mendicité à quiconque qui ne se joindra pas à son projet. Et contre ceux qui mal y pensent, le verdict sera sans appel : « Je serai le juge et je serai le jury, dit Fury, le rusé compère. J’instruirai seul toute l’affaire et je vous condamnerai à mort » Lewis Carroll dans Alice aux Pays des Merveilles. Infatigable et habile à alterner la carotte et le bâton, mon interlocuteur est sans ignorer le vieil adage qui veut qu’ « on attrape plus de mouches avec du miel qu’avec du vinaigre. » C’est ainsi qu’il m’assure alors avoir déjà négocié et obtenu « à coût nul » des terrains de plusieurs hectares dans le quartier chic dit Le Plateau de la ville de Kigali.

Type conservateur que je suis en termes d’investissement et surtout très allergique aux bons diseurs, j’ai tenu encore une fois une bonne conversation avec lui qui dura plus d’une heure, d’abord sur Facebook puis par téléphone. Pour qu’il m’évite l’Enfer de la Pauvreté et de la Mendicité Éternelles, j’ai redit mon credo à l’idée même d’investir au Rwanda où, blagues à part, je reconnais qu’il y a d’excellentes opportunités d’affaires.

Mais comme pour le projet d’hôtels à Montréal (déjà tombé dans l’eau et noyé-ce qui n’est pas son avis bien évidemment-), je suis contre l’idée de construire des logements haut de gamme à Kigali, et à revenus épisodiques puisqu’il s’agit- selon le maître d’œuvre-, de maisons de passage. Je lui ai plutôt proposé la construction de maisons résidentielles à loyers abordables (dont le loyer ne dépasserait pas les 150,000frw/mois), des logements qui abriteraient une famille dont le revenu serait d’environ 400,000frw/mois…
… Et j’élabore mon argumentaire :

Kigali pullulent de logements de luxe et les locataires ne se bousculent donc plus. Dans un marché aussi saturé, un nouveau joueur ne fait que rehausser le taux d’inoccupation déjà élevé. En effet, « 6500 chambres d’hôtel ont été construits entre 2007 et 2013 au moment où avant cette date les hôtels du Rwanda avaient en tout rien que 300 chambres…Le taux d’occupation de ces chambres reste très peu élevés » , selon confié à la presse Sylvestre Mupenda, président du Rwanda Hôtel Group cité par IGIHE.COM qui parle de mises aux enchères d’une centaine de petits hôtels au Rwanda pour défaut de payement.

Un faible taux d’occupation dans l’immobilier (commercial, touristique et/ou résidentiel) est une prémisse d’un manque de revenus escomptés et, de mal en pis, de défaut de payement du prêt bancaire. Si l’on doit miser sur les revenus locatifs pour payer l’hypothèque, la faillite est à coup sûr au rendez-vous. Par contre, les logements abordables garantiraient une occupation plus longue et des revenus plus stables, du moins beaucoup plus sûrs que ceux qui seraient générés par des maisons de passage. La clientèle ciblée étant sédentaire, c’est plus prometteur que celle de touristes de passage et irrégulier.

Mon analyse du projet et l’étude de son marché se basent sur une lecture simple mais aussi vérifiable: Le Rwanda compte une population est très jeune. Fort de ses Sur un effectif de plus de 12 700 000 d’âmes à la fin de 2015, les moins de 15 ans représentent 42%. Les plus de 61 ans ne sont que 2,5% de la population et l’âge médian du rwandais est d’un peu moins de 19 ans. Plus encore, selon Madame Vivian Kayitesi du Rwanda Development Board (RDB) citée par l’AFP en avril 2014, environ « 70% de la population a moins de 25 ans ».

Ces données démographiques montrent que le besoin en logement ne pourra qu’augmenter. Notons tout de suite que les besoins de ces candidats en logements résidentiels ne sont pas à classer dans la catégorie des clients potentiels du haut de gamme que propose notre chère « diaspora du Canada » qui, de toute évidence, est très mal inspirée.

Promesse bidon ou partie de poker?

Nul ne peut prétendre que le nouveau projet ne verra pas le jour à l’instar de son prédécesseur qui devait ériger des gratte-ciels hôtelier au Canada. Tant que le projet a été endossé-reçu la bénédiction- de Kigali dans la kermesse d’Inama y’umushyikirano, il s’agit-il d’un Umuhigo que le contribuable rwandais sera invité, ou mieux encore forcé- à relever. Dans son contexte historique, « guhiga » signifie prendre un engagement ferme et solennel, un défi ou un pari dont la réalisation va jusqu’à mettre en jeu sa propre vie et/ou celle de sa famille. « Imihigo had its roots in a pre-colonial Rwandan cultural practice whereby leaders or warriors would publicly vow to achieve certain goals—and face public humiliation if they failed.”

Une promesse faite en présence du Président Kagame en personne, fait quasiment force de loi. Mais la diaspora rwandaise du Canada ne saurait relever le défi elle-même et elle seule. Réunir 7 million de dollars américain en argent sonnant ou par crédit n’est pas une partie de plaisir. Oublions tout de suite que la diaspora rwandaise (du Canada et d’ailleurs) puisse collecter la somme nécessaire pour réaliser le projet sans faire recours au prêt hypothécaire. Les institutions bancaires rwandaises exigent entre autres choses, en plus des questions légales notamment sur la personnalité juridique des contractants, de rentabilité etc., une mise de fonds (downpayment) de 30% du montant total du projet. Et 30% de $7 million US, c’est rien de moins que 2 100 000$US. Cela demanderait au 500 investisseurs qui débourse chacun 4 200$US ou près de 6 000$ Canadiens.

De nature axée sur l’optimisme, puisque je sais d’expérience que l’espoir fait vivre, je m’inquiète tout de même du succès du projet. Pas tant par le montant que par le nombre de participants! J’en connais pas 500 personnes au Canada capables de signer un chèque de 6 000$ canadiens pour un projet aussi risqué. Tant qu’à nous communs des mortels, nous aurions beau prendre nos lunettes et nos télés, nos Bibles et nos bagnoles et même les bijoux de nos mères et de nos femmes pour tout mettre au mont-de-piété, nous ne réunirions que très difficilement, voire même pas la cagnotte.

La diaspora canadienne mobilisera-t-elle celle du monde pour relever ensemble le défi? Permettez-moi d’être sceptique. L’opération charme lancée en grandes pompes devra d’ors et déjà penser à une autre source de financement.

Si le projet doit survivre à une noyade certaine comme celle qui emporta nos hôtels cinq étoiles, on verra d’ici peu le contribuable rwandais demander y investir comme il investit dans les fonds Agaciro Development et Ishema Ryacu, comme il a naguère investi dans One Dollar Campaign et dans Bye-Bye Nyakatsi.

Pour ainsi dire qu’en terme contribution et/ou investissement sur « mot d’ordre » voilé, le citoyen résidant du Rwanda n’est pas encore sorti de l’auberge. Ou en un bon Kinyarwanda, « Urwishe ya nka ruracyayirimo! »

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Source: EJCM Info