Quand la Science-Fiction rencontre la Chirurgie

Imaginez que vous soyez né au Sénégal et que votre famille ait déménagé en France quand vous n‘aviez qu’un an. Imaginez que votre famille soit frappée par une double tragédie qui vous enlèvera vos parents et vous enverra vivre seul, à 14 ans, dans un refuge pour jeunes. Imaginez que vous aimiez les mathématiques et que vous deveniez ingénieur. Imaginez que vous vous spécialisez plus tard dans la robotique. Imaginez que vous rêviez de devenir un inventeur, que vous souhaitiez créer des robots pour aider les chirurgiens. Comment vous-y prendriez-vous, vous qui n’avez jamais suivi aucun cours de médecine de votre vie ? Quel genre d’invention développerez-vous qui fera que les chirurgiens acceptent d’avoir des robots à côté d’eux dans la salle d’opération ?

Aujourd’hui, je suis inspiré par Bertin Nahum. Bertin est né à Dakar en Novembre 1969, dans une famille de huit enfants. Ses parents, originaires du Bénin, décident de migrer en France quand il a à peine un an. C’est ainsi qu’il se retrouve dans la banlieue Lyonnaise où son père, un comptable de formation, ouvrira avec sa femme une petite épicerie de quartier.

Malheureusement, la tragédie devait frapper la famille Nahum de la façon la plus cruelle, avec le décès de sa mère quand il avait à peine 8 ans, puis de son père quelques cinq années plus tard, les deux succombant à des maladies cardiovasculaires.

N’ayant pas d’autres famille pouvant le prendre en charge, le jeune adolescent de 14 ans a été confié à la DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales), le service de l’état en charge entre autres de s’occuper des orphelins mineurs. La DDASS l’a placé dans un foyer de l’Ain, à quelques 2h de Lyon, où il restera jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge majeur.

Bertin revient rarement sur cette partie de sa vie, qui a sans nul doute été une période on ne peut plus difficile.

« Je ne veux surtout pas faire un récit larmoyant. Mais disons que, du fait de mon histoire, je me suis bâti une carapace. »

Le jeune homme, qui n’était pas encore trop passionné des études excellait en revanche dans le sport, plus précisément la boxe. Il s’y donne tellement qu’à 17 ans, Bertin est sacré Champion de France junior de boxe française !

Côté études, Bertin reconnait qu’à l’époque, il ne savait pas encore vraiment sur de ce qu’il allait faire plus tard.

« J’ai eu un parcours scolaire assez moyen. Comme bon nombre d’étudiants, j’ai fait des choix par défaut, sans grande conviction. »

Toutefois son professeur de maths remarque que le jeune homme a une prédisposition particulière pour les sciences et l’encourage à poursuivre des études d’ingénieur.

Ce seront donc les maths et non le sport qui finiront par attirer le jeune homme et lui ouvrir la voie à la carrière que nous lui connaissons aujourd’hui. Imaginez un mathématicien avec la ténacité et le caractère de fer d’un champion de boxe. Quels obstacles peuvent lui résister ?

Mais n’allons pas trop vite en besogne ; revenons en arrière un moment pour le suivre dans son parcours académique.

Après l’obtention de son baccalauréat scientifique, Bertin suit les conseils de son professeur et s’inscrit à l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Lyon. Considérée comme une école d’ingénieur de référence, l’INSA de Lyon le plus ancien – 60 ans – et le plus important des six instituts nationaux des sciences appliquées de France.

C’est en poursuivant ses études en électronique que Bertin va finalement trouver le domaine de ses rêves : la robotique. Bertin était fasciné en particulier par les évolutions scientifiques qui ont permis que des choses qu’on ne voyait que dans des films quand on était petit soient aujourd’hui matérialisées dans le monde réel.

« Les progrès scientifiques ont été tellement extraordinaires qu’aujourd’hui on est arrivé à réunir la science et la science-fiction. Aujourd’hui, les robots ont traversé nos écrans et nos livres pour entrer dans nos réalités. Demain, ces inventions qui nous paraissaient jadis impossible seront le lot de notre quotidien. »

Après l’obtention de son diplôme d’ingénieur en 1994, Bertin bénéficie d’une bourse d’Erasmus – le programme d’échange d’étudiants entre les universités Européennes et des établissements d’enseignement à travers le monde entier – pour aller faire une Maitrise en robotique à l’université de Coventry au Royaume-Uni.

C’est à Coventry qu’il découvrira la robotique médicale, lorsqu’il a l’opportunité de prendre part à un projet de conception d’un logiciel en collaboration avec le service de neuro-cardiologie de l’hôpital de la ville.

« J’ai participé à la conception d’un logiciel capable de détecter des lésions crâniennes à partir de scanners. Cela m’a donné envie de consacrer ma carrière aux patients, à travers la création de robots susceptibles d’accompagner les chirurgiens dans leurs opérations ».

C’était surprenant et exaltant à la fois de découvrir qu’un ingénieur, comme lui, pouvait lui aussi contribuer à la santé par le simple fait de mettre à la disposition des chirurgiens des outils leur permettant de réduire les risques d’erreur. L’ingéniorat au service de la santé, qui peut dire mieux ?

Dès cet instant, il sait qu’il a trouvé là où il fera sa carrière. Avec son ingéniorat de l’INSA et sa maitrise de Coventry en poche, les portes des entreprises les plus réputées en matière de robotique chirurgicale lui ouvrent grandes leurs portes.

Bertin est un ingénieur atypique : le jeune homme ne ratait jamais une occasion de se rapprocher des chirurgiens et de les accompagner durant leurs interventions afin de s’imprégner de la réalité du métier en bloc opératoire.

« Ces années m’ont permis d’affiner ma connaissance du secteur de la robotique chirurgicale et d’identifier des opportunités de contributions. »

Il applique ses connaissances dans le développement de solutions pour la chirurgie cardiaque, l’urologie, la chirurgie orthopédique et la chirurgie du cerveau (neurochirurgie).

Son vrai rêve est d’être un inventeur de plein droit, de créer un robot qui peut changer la manière de conduire les opérations chirurgicales. Au début des années 2000, il propose à son employeur de l’époque l’idée d’un robot d’assistance pour les chirurgies du genou, mais la firme n’est pas intéressée, jugeant que ce domaine n’avait aucun intérêt ni aucun avenir.

Frustré par leur manque de vision et de prise de risque, Bertin décide qu’il est temps qu’il vole de ces propres ailes. Il se présente au Concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes du ministère de l’Éducation, concours qu’il emporte haut la main.

C’est grâce à la prime et à la vente de sa voiture que Bertin Nahum va créer sa propre entreprise à Montpellier en 2002.
Retenez bien ce nom : Medtech.

Devinez quel est le premier projet qu’il a mené dans sa start-up ? Un robot d’assistance à la chirurgie du genou, robot qu’il appellera Brigit! J’aimerai bien vous dire que Brigit a tout de suite conquis les marchés et que notre héros s’est fait un nom et est devenu un millionnaire du jour au lendemain.
Malheureusement non !

Les banques et les sociétés d’investissements de la place étaient tout aussi frileuses que l’employeur qui avait refusé d’investir dans son invention. Sans capital, il était pratiquement impossible de produire cette machine coûteuse.

Mais rassurez-vous, l’histoire ne se termine pas là. Un beau jour de 2006, quatre ans après la création de Medtech, un représentant du leader mondial de la chirurgie orthopédique, le groupe américain Zimmer, débarque devant leur porte et lui dit qu’ils ont entendu parler de son invention et qu’ils désirent … racheter sa compagnie!

Bertin n’en revenait pas ! Et en fait ce n’est pas exactement ce qu’il voulait. Son rêve aurait été que son invention permette à sa boite de fonctionner pour qu’il puisse investir dans toutes les autres inventions qu’il avait à l’esprit.

Mais il était aussi conscient que sa boite avait du mal à lever des capitaux et qu’à la longue, il risquait de devoir fermer boutique.

Finalement, Bertin et Zimmer ont décidé de couper la poire en deux : Zimmer ne rachèterait pas toute la boite, juste les brevets de Brigit. C’est un moment de joie de voir son invention reconnue par la plus grande compagnie de robotique médicale du monde et en même temps de tristesse d’avoir eu à se séparer de sa première invention.

Toutefois, avec ces capitaux frais venus d’outre-Atlantique pour la vente de son robot de pose de prothèse de genou, le jeune inventeur s’est remis au travail sans plus se préoccuper des banquiers.

Cette fois-ci, il allait s’attaquer à la partie la plus sensible de notre corps: le cerveau !

Retenez le nom de son deuxième robot : Rosa ! La deuxième “fille” de Bertin, qu’il a mise sur le marché en 2009, est un robot disposant d’un bras articulé qui permet aux neurochirurgiens de positionner leurs instruments avec plus de précision afin d’atteindre une zone particulière du cerveau.

Bertin a confié qu’il donne systématiquement des prénoms féminins à ses robots « pour les humaniser. »

Et effectivement, Rosa est presque humaine, quand on regarde tout ce qu’elle peut faire. Son plus grand avantage est qu’elle permet d’insérer les instruments chirurgicaux à travers de petites incisions dans la peau, en minimisant ainsi la quantité de peau et de tissus devant être écartés, ce qui réduit l’exposition et la taille de la zone d’exploration. C’est ce qu’on appelle la chirurgie mini-invasive, à l’opposé de la chirurgie ouverte où le chirurgien ouvre la zone qu’il veut opérer en faisant une grande incision afin d’avoir un large champ de vision et un accès direct pour guider et manipuler ses instruments.

Ok, Bertin, qui est un orateur hors pair, va nous mettre tout ça dans des termes très très simples :

« Rosa comme une sorte de GPS pour la chirurgie du cerveau. Vous lui dites ou vous voulez aller et elle vous y conduit. »

C’est à l’air très simple n’est-ce pas ? Pourtant Rosa est tout sauf simple. Imaginez un robot créé par un ingénieur électronicien pour assister les opérations les plus compliquées du monde ! C’est extraordinaire.

Rosa est devenue l’instrument quasi-indispensable pour les opérations sur les patients souffrant de la maladie de Parkinson, les épileptiques et les opérations sur les tumeurs du cerveau. Et rassurez-vous Rosa a été homologuée par la très stricte FDA, le service américain qui autorise la mise sur le marché de tout ce qui touche à la santé humaine américaine, et elle a fait l’objet de plusieurs dizaines de publications scientifiques.

Cette fois-ci, Bertin décide d’attaquer simultanément le marché de la France, plus timide, et celui des Etats-Unis. A cet effet, Bertin déménage à New-York avec sa femme et ses deux jeunes fils, où il ouvre une filiale américaine. Il y passera deux années avant de revenir en France.

Ces deux d’immersion dans la vie américaine lui ont permis de se rendre compte de la manière plus décisive dont les Américains approchent les affaires par rapport à son pays d’adoption. Même l’enseignement de ses enfants, qu’il a inscrit dans une école à Manhattan, l’impressionne, “cette confiance en soi” qui est enseignée dès le plus jeune âge et qui fait la prise de risques devient leur seconde nature.

Préparez vos tambours et sortez le champagne : Rosa, elle, a rapidement conquis les marchés en France, en Europe et en Amérique du Nord !

En trois an seulement, Rosa rapportait déjà à Medtech la bagatelle de 2 millions d’Euros par an !

Et ce n’est pas n’importe qui peut se l’offrir : la belle Rosa coûte 300,000 Euros. Eh oui, c’est quand même la chirurgie du cerveau, non ?

Et ce n’est pas seulement nous qui célébrons notre génie Franco-Sénégalo-Béninois : en septembre 2012, le magazine scientifique canadien, Discovery Series, a classé Bertin Nahum parmi en quatrième position parmi les personnalités du monde entier les plus innovantes et dont l’innovation a amélioré la vie des gens. Devinez qui étaient les trois premières personnalités de ce palmarès ? Steve Jobs (Apple), Mark Zuckerberg (Facebook) et James Cameron (Avatar et Titanic).

En 2013, l’inventeur de Rosa a reçu la Légion d’honneur à Paris des mains de la Ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique de l’époque, Fleur Pellerin.

« Cher Bertin Nahum, j’ai l’honneur de vous remettre, par les pouvoirs qui me sont conférés, cette Légion d’honneur. Vous êtes l’exemple que tout est possible, qu’il n’y a pas de déterminisme pour faire les entrepreneurs et les innovateurs dont notre pays, dont notre économie, a besoin. »

Bien qu’ému par cet honneur extraordinaire, Bertin insiste que cette Légion d’honneur est avant tout « un encouragement professionnel et collectif ».

« La perspective d’une réussite n’a pas toujours été une évidence. Elle reflète les efforts et les intelligences des femmes et des hommes qui m’ont accompagné depuis la création, il y a plus de dix ans, de Medtech. »

En 2013 toujours, Medtech a reçu le Prix de la ´Société Européenne de l’année dans le domaine de la robotique en neurochirurgie’, prix décerné par le cabinet de conseil Frost & Sullivan. En 2014, Medtech a reçu le Prix Révélation du Palmarès Méditerranée Deloitte Technology Fast 50 et le Prix spécial de l’Académie d’Occitanie, des arts, lettres, sciences et traditions populaires.

La même année, Bertin Nahum s’est vu décerner un doctorat honoris causa en technologie par son Alma Mater, l’Université de Coventry.

Rosa continue à conquérir le monde. A ce jour, environ 4 000 procédures ont été réalisées avec le robot Rosa, et ce dans plus de 70 hôpitaux et cliniques dans le monde entier.

En 2016, Bertin a vendu Medtech a Zimmer, la compagnie qui avait acheté Brigit en 2009, et avec les recettes de la vente, il a lancé une nouvelle société en 2017. Retenez le nom : Quantum Surgical.

Quantum Surgical sera également spécialisée dans la robotique chirurgicale mais elle ambitionne d’aller encore plus loin que ses projets précédents, en utilisant par exemple la réalité virtuelle.

Nous n’avons aucun doute qu’il y arrivera.

Après Brigit et Rosa, on peut se demander le nom de ses prochaines créations. L’histoire nous le dira.

Quand on lui demande s’il est le symbole d’une minorité visible, sa réponse est catégorique : Non ! Il ne veut pas que son histoire fasse l’objet de récupération par qui que ce soit.

Pour ceux qui lui demandent s’il est Africain ou Français, Bertin répond en riant qu’il est un Français qui est né au Sénégal de parents Béninois. Autant il reconnait avec fierté que c’est le sang de ses parents commerçants du Benin qui coule dans ses veines, autant il reconnait que la France lui a donnée des opportunités scolaires, académiques et un milieu propice à l’innovation qu’il n’aurait probablement pas eu dans son continent d’origine.

De toute façon, pourquoi devrions-nous nous battre pour nous l’approprier alors qu’un génie pareil appartient au monde entier ?

Félicitations pour votre contribution à l’Héritage de l’Afrique, Bertin ! Vous êtes un vrai conquérant des temps modernes ! #BeTheLegacy#WeAreTheLegacy #Mandela100 #UMURAGEkeseksa

Contributeurs
Um’Khonde Habamenshi
Lion Imanzi