Rwanda : bilan mitigé pour la révolution verte

(Syfia Grands Lacs/Rwanda) La réforme agricole de 2007 au Rwanda a permis d’augmenter fortement la production globale du pays mais tous les agriculteurs ne s’y retrouvent pas. Les uns n’arrivent pas à vendre leurs récoltes, d’autres ont aujourd’hui une alimentation déséquilibrée. Découragés certains passent outre les directives gouvernementales.

Ces agriculteurs du nord du Rwanda se disent déterminés à ne plus cultiver de blé car ils n’ont pas vendu leur dernière récolte au prix escompté (420 Frw/kg, 0,8$) : ″Nous l’avons amenée au bureau de la cellule où elle devait être vendue. Et voilà qu’on nous a demandé, une semaine après de venir la récupérer faute de client″, se plaignent-ils.

Découragés, ils jurent aujourd’hui de résister aux directives gouvernementales : ″Nous avons décidé de vendre notre blé à n’importe quel prix pour l’écouler et cultiver par la suite des plantes qui nous procureront de l’argent″.

Depuis que le gouvernement rwandais a lancé en 2007 une nouvelle politique agricole, certaines récoltes devenues très abondantes ne se vendent pas ou mal. La nouvelle politique a, en effet, régionalisé les cultures et consolidé les terres afin de cultiver une seule plante sur de grandes étendues. L’objectif, selon le gouvernement, est ″d’augmenter la production et de faire passer les paysans d’une agriculture de subsistance à une plus commerciale ».

Intensifier la production

C’est sur ce volet « Intensification et développement des systèmes de production durable » que le gouvernement a concentré ses efforts. Il accapare 80% du budget consacré à l’agriculture, qui représente 6% du budget total de l’État. Aménagement des marais, développement de l’irrigation, mécanisation et gestion durable des ressources naturelles et conservation des sols… le chantier est vaste. Ce programme vise à améliorer la sécurité alimentaire de la population en augmentant la production vivrière. Les autres 20% du budget servent à la professionnalisation des producteurs et autres agents économiques et au développement de l’agri-business et de l’horticulture.

Pour atteindre ces objectifs, chaque province doit cultiver ce qui a été décidé par le ministère de l’Agriculture en fonction des spécificités des sols et du climat. Les paysans doivent aussi se réunir en coopératives où ils cultivent ensemble et ont ainsi droit aux semences sélectionnées et intrants subventionnés (ils ne payent que la moitié du prix).
« Durant les trois dernières années, grâce au quasi triplement des récoltes de maïs, de blé, et de manioc, la production agricole nationale a augmenté d’environ 14% par an, et les problèmes de disettes ne se remarquent plus », se félicite aujourd’hui Agnès Kalibata, ministre de l’Agriculture.

Déséquilibres alimentaires

Mais certaines de ces productions, comme le maïs et le blé peu consommés, traînent dans les greniers sans être payées au grand mécontentement des paysans.

″Il ne suffit pas de dire qu’on adopte telle culture il faut aussi expliquer aux simples gens pourquoi cette culture et non celle-là″, note un cultivateur de Kinigi à Musanze. Celui-ci a du mal à comprendre pourquoi la culture du sorgho, qui leur rapportait de l’argent depuis des années et évitait la malnutrition dans la famille, a été supprimée. Depuis lors le sorgho est devenu rare et cher (350 Frw(1/2$) contre 200 Frw) et dans certains cabarets, les bières sont devenues d’étranges et dangereuses mixtures : ″umurahanyoni, une bière frelatée composée d’un mélange du sorgho, d’engrais, d’alcools forts, remplace la bière de banane et enivre à mourir ici″, dit Ujeneza Aloys du centre de Gitare à Burera au Nord.

Les déséquilibres alimentaires s’accentuent dans certaines régions. « Dans tous les ménages de ce secteur, on ne mange que la pomme de terre. Pour acheter des haricots ou des légumes, il faut faire des kilomètres. Alors qu’avant chacun en avait dans sa parcelle », déplore un habitant du district de Musanze. Et ces denrées qui viennent de loin coûtent souvent cher. « On remarque une élévation des prix pour les produits dont la culture n’est plus permise localement et qui sont importés d’ailleurs », constate Jean Pierre Mpakaniye du syndicat Imbaraga, une fédération des agriculteurs et éleveurs du Rwanda.

C’est ainsi aussi que le succès de la production de maïs dans les marais a fait grimper le prix des légumes qui y étaient jadis cultivés et qui sont devenus rares. Les commerçants viennent les acheter pour les vendre dans les supermarchés et grands marchés comme à Kigali.

Si l’objectif d’augmenter la production globale est atteint, cette révolution verte pèse souvent sur l’alimentation des familles paysannes et le revenu des agriculteurs qui ne souhaitent qu’une chose : qu’à défaut de pouvoir manger leurs récoltes, le prix de vente de celles-ci couvre leur travail et leurs dépenses.

Fulgence Niyonagize, Venant Nshimyumurwa

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